De notre envoyé spécial à Constantine, Kamel Amarni Abdelmalek Sellal inaugure sa rentrée politique et celle de son gouvernement à partir de Constantine où il était en visite officielle jeudi dernier. Officiellement, pour notamment présider les festivités commémorant le double anniversaire du 20 août. Réellement, pour surtout faire connaître la position de son gouvernement et les siennes propres, par rapport aux questions brûlantes qui agitent la scène politique nationale en cet été 2015. Pour ce faire, il choisira de s'exprimer à travers une déclaration à la presse, bien structurée et préalablement cogitée au niveau du Premier ministère. D'emblée, Sellal affiche la couleur, de par le «décor» déjà. Sa déclaration, une sorte de discours à la nation, il la fera en se faisant entourer de deux ministres. Celui de l'Enseignement supérieur, Tahar Hadjar et, bien sûr, la ministre de l'Education, Nouria Benghebrit. «J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt le débat engagé au titre de la Conférence nationale d'évaluation du système éducatif et je ne peux que m'en féliciter car il constitue un apport et une contribution au développement de l'école et du système éducatif», dira le Premier ministre. En fait de «débat» l'on assiste, depuis quelques semaines à une campagne de lynchage politico-médiatique d'une violence inouïe contre la ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit. Une campagne qu'elle subissait devant une étrange indifférence du gouvernement et des autorités officielles du pays. Or, comme c'est devenu une nouvelle tradition chez le pouvoir dès que les islamo-conservateurs et même les salafistes contestent quelque chose, l'on assistera au désaveu en règle du ministre «fautif». Hier, Amara Benyounès, aujourd'hui, Nouria Benghebrit donc qui subira un lâchage spectaculaire de la part de son Premier ministre. «Il ne faut pas faire l'amalgame entre les propositions avancées par une commission de pédagogues et les décisions de l'Etat algérien dans le cadre de la poursuite de la réforme du système éducatif». En clair, le gouvernement Sellal renie et dénonce même «une proposition de pédagogues et d'enseignants», objet de la colère de tout ce que l'Algérie compte comme islamo-conservateurs et qui a valu à la ministre une campagne au vitriol. S'adressant essentiellement au camp islamo-conservateur, désormais le seul dont l'opinion compte pour le gouvernement, Sellal adopte une posture malheureuse allant presque jusqu'à se justifier : «la langue arabe est une référence constitutionnelle, civilisationnelle et culturelle et un principe tranché de manière définitive, au même titre que tamazight qu'il importe de développer et de généraliser dans le cadre de la préservation de l'unité nationale.» Comme si la langue arabe avait été effectivement menacée par la ministre de l'Education ! Sellal qui estime «qu'il n'est dans l'intérêt de personne d'instrumentaliser les débats à des fins politiques et de les sortir de leur contexte éducatif et culturel», ne fait, là, pourtant que satisfaire, et exclusivement, ceux-là mêmes qui, justement, ne font qu'«instrumentaliser à des fins politiques et idéologiques», une proposition émanant d'un groupe d'experts et de pédagogues ! «Je n'ai aucune ambition ni arrière-pensée». La déclaration publique de Abdelmalek Sellal, faite ce jeudi à Constantine comporte un deuxième volet où l'on devine aisément la «patte» de Abdelaziz Bouteflika ! «Il n'y a pas de divisions ni problèmes au sein du gouvernement qui œuvre sous une seule autorité, celle du président de la République, Abdelaziz Bouteflika». Sellal fait allusion ici, certainement, au remaniement restreint de son gouvernement, le 23 juillet dernier qui n'était qu'un «déguisement» du limogeage qu'il avait lui-même exigé de l'ex-ministre du Commerce, Amara Benyounès. L'on ne peut également ne pas penser à ses rapports pour le moins tendus avec le ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, mais aussi et surtout, avec le ministre d'Etat, directeur de cabinet de la Présidence de la République, Ahmed Ouyahia. A ce niveau de la hiérarchie, et notamment entre Sellal et Ouyahia, les divisions et les problèmes sont quasiment de notoriété publique comme l'atteste si bien le remaniement du 23 juillet, particulièrement «ficelé» au détriment de Ouyahia. Cherchant à concentrer l'attention sur le seul aspect économique de la chose, Sellal dira, à juste titre, que «la situation est difficile» en raison de la crise qui frappe les marchés pétroliers. Il annoncera d'ailleurs les dates respectives des réunions gouvernement-walis, pour le 29 août prochain et de la tripartite, pour le 15 octobre à Biskra. Ceci étant, le message essentiel que voulait faire passer Sellal est de chercher dans cette phrase lâchée au passage, et que rien, a priori, ne justifiait : «moi, je n'ai aucune autre ambition, ni arrière-pensée.» Entendre : je n'ai pas d'ambitions présidentielles. Mieux que quiconque, Sellal sait qu'il s'agit là d'une ligne rouge que Bouteflika ne permet jamais de franchir. Bien des fois, il exige même de ses collaborateurs de le préciser publiquement... K. A. SELLAL ET L'ECOLE Ménager les uns et les autres A l'écouter sur les chaînes d'info de jeudi ou à relire ce qu'en a donné la presse écrite le lendemain (hier) les propos du Premier ministre Abdelmalek Sellal en déplacement à Constantine se voulaient une réponse à la polémique créée par les islamistes suite aux recommandations de la conférence nationale sur l'éducation, organisée par la ministre, objet d'attaques en règle par tous ceux qui ont contribué au déclin de l'école et à la situation catastrophique du système d'enseignement qu'a trouvé Nouria Benghebrit. Des propos de Sellal bien réfléchis, une intervention sur ce sujet, bien préparée et qui constitue un monument de réponses retorses. Il voulait manifestement contenter tout le monde. Il a surtout fait une réponse de jésuites. Brève lecture de ce tissu de non-dits. Pour le symbole et juste pour ça, Abdelmalek Sellal s'est entouré pour livrer ses propos face à la presse, de sa ministre attaquée aujourd'hui sans discontinuer, par les islamistes mais pas seulement, par le FLN dont le Premier ministre est membre et par le RND, le deuxième parti au pourvoir. Quelle explication à la présence de Nouria Benghebrit ? Sellal a tenté de nous dire, à dire à tous ceux qui la soutiennent dans son combat pour une école moderne : «Moi, responsable de l'exécutif, je la soutiens». Cela aurait suffi et nous ne serions pas allés à d'autres décryptages, si Sellal n'avait pas gâché ce moment par les propos qui ont suivi et qui ne lui ont pas été arrachés par la presse mais qu'il a volontairement asséné : «J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt le débat engagé au titre de la conférence nationale d'évaluation du système éducatif et je ne peux que m'en féliciter, car il constitue un apport et une contribution au développement de l'école et du système éducatif.» Jusque-là, l'on peut créditer le Premier ministre d'une volonté de voir éclore de grands débats sur notre devenir, ce que personne ne peut lui reprocher. Sauf que Sellal poursuit en appelant «à ne pas faire l'amalgame entre les propositions avancées par une commission de pédagogues et d'enseignants et les décisions de l'Etat algérien... il y a une différence entre une proposition, une interprétation et une décision». Ce ne sont, a-t-il dit encore «que des propositions et recommandations qui feront l'objet d'un examen minutieux afin d'en tirer les meilleurs avantages au profit de la communauté éducative». Tranquillisez-vous bonnes gens qui avez crié au scandale Benghebrit et l'introduction de la derdja. Dormez sur vos deux oreilles, vous qui avez squatté toutes les tribunes que vous a offertes l'Etat pour déverser votre venin sur un projet d'école qui ne convient pas à vos desseins et à ceux qui vous orientent de contrées lointaines, les propositions de la conférence ne sont que des chimères qui ne passeront pas. Ceux-là auront eu bien là, par ses propos, la certitude que leur rejet des recommandations de la conférence aura bien été entendu. Quant aux autres, ceux qui ont toujours défendu et continuent à le faire une réforme en profondeur de l'école pour la faire sortir de son marasme actuel, Sellal leur a fait une fleur. Il a pris à ses côtés pour faire cette déclaration, la ministre contestée pour leur dire qu'il la maintenait au pouvoir et qu'il ne cédait pas à ceux qui ont demandé son départ. Une réponse de jésuite qui consiste à satisfaire par un discours des plus équivoques les uns et les autres. Beaucoup ne sont, cependant, pas dupes. La ministre, certainement pas aussi. Peut-elle toutefois, continuer à avancer dans son projet entourée de tant d'incertitudes, d'ambiguïtés et de jeux malsains ?