Nouria Benghebrit ne s'attendait certainement pas à devoir autant se justifier, en annonçant, fin juillet dernier, les recommandations issues de la Conférence nationale sur l'évaluation de la mise en œuvre de la réforme du système éducatif. Dans cet entretien, le Conseil des lycées d'Algérie (CLA) et le Syndicat national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Snapest) reviennent sur la polémique. Les deux syndicats appellent à laisser l'école loin de la politique et de l'idéologie pour la confier aux spécialistes et aux pédagogues. IDIR ACHOUR, PRESIDENT DU CONSEIL DES LYCEES D'ALGERIE (CLA) : «Ce sont des défenseurs de l'échec» Le Soir d'Algérie : Que pensez-vous de la polémique autour de l'introduction des langues maternelles dans le cycle primaire ? Idir Achour : Nous considérons que la polémique autour de cette question relève de l'idéologie et non de la pédagogie. L'approche actuelle n'a pas donné les résultats souhaités et c'est un constat d'échec. Comment défendre un constat d'échec ? Ce sont les ennemis du nationalisme et de la langue arabe elle-même qui veulent maintenir le système actuel. Pourquoi faire de la manipulation pour maintenir un système qui a prouvé son échec. L'expérience actuelle a donné de mauvais résultats, le débat doit être orienté dans ce sens. Plus grave encore, actuellement, sur le terrain, les enseignants du primaire et du moyen enseignent avec l'arabe classique, arrivé au lycée, l'élève reçoit un enseignement en arabe dialectal car ni l'élève, ni l'enseignant ne maîtrisent l'arabe académique de l'école notamment pour enseigner les mathématiques et la physique, alors que c'est l'inverse qui doit se faire. Les recommandations de la Conférence nationale ne sont pas des expériences à expérimenter mais elles sont issues des expériences réelles et rationnelles qui peuvent amener le changement. Alors vous soutenez cette recommandation ? Nous sommes avec la position des spécialistes et des chercheurs dans le domaine qui ont démontré que l'adaptation de l'élève se fait pendant la 2e et la 3e année primaire à l'environnement scolaire et l'accessibilité à une langue académique devient plus facile lorsqu'on communique avec l'enfant par sa langue maternelle. Cette approche est utilisée dans le monde entier et de ce point de vue, le CLA est d'accord pour l'utilisation de la langue maternelle dans les classes d'apprentissage. Quelles sont les recommandations issues de la Conférence nationale de l'évaluation de mise à niveau de la réforme que vous souhaitez voir se concrétiser dans l'immédiat ? Au-delà des recommandations pour l'enseignement obligatoire, les recommandations pour l'enseignement secondaire que nous souhaitons voir se concrétiser est la mise en place d'un processus de réforme de l'enseignement secondaire par l'allongement de sa durée de trois ans à quatre ans en utilisant la première année secondaire comme tronc commun de remise à niveau et d'adaptation des élèves pour une préspécialisation à l'enseignement secondaire. Car au niveau du cycle primaire et secondaire, on incite l'élève à apprendre par cœur sans lui inculquer le principe de réflexion. C'est pourquoi l'orientation des élèves vaut mieux qu'elle se fasse en première année secondaire vers l'enseignement général, technique ou professionnel. L'élève passe actuellement au secondaire sans aucune passerelle et sans qu'on puisse détecter ses compétences pour savoir dans quelle filière il peut réussir. Nous sommes aussi en faveur de l'introduction de la fiche de synthèse qui permettrait une évaluation continue de l'élève. Et pour un examen de bac en deux sessions ? Un examen de baccalauréat en deux sessions tel que présenté actuellement nécessite un débat. Deux sessions signifie qu'on devrait passer un examen en juin et un rattrapage en septembre pour les recalés. Or, un examen en deux parties veut dire que l'élève passe les matières dites non essentielles en deuxième année secondaire, et en troisième année, il sera évalué sur les matières essentielles. Ainsi, on va réduire des jours d'examen étalés actuellement sur cinq jours et c'est très long. Nous sommes favorables pour un bac en deux sessions mais l'argumentation du bac en deux parties pour réduire les jours d'examen est tout aussi intéressante. Nous devons approfondir le débat pour trouver la meilleure formule. Pourquoi un cursus de quatre années au moyen ? Parce que nous perdons actuellement une année de scolarité. Auparavant, l'élève suivait un cursus de six ans au primaire, quatre ans au moyen et trois ans au secondaire mais avec la suppression de la 6e année au primaire, on se retrouve avec 12 années de scolarisation au lieu de 13. Alors, ou on introduit une année de plus au secondaire ou on revient à l'ancien système de 6 ans au primaire pour être aux normes. La quantité des connaissances est doublée depuis toutes ces années alors que la durée de scolarisation a diminué, ce n'est pas normal. Cela répond beaucoup plus à une logique de limitation des dépenses qu'aux conditions pédagogiques et au niveau de l'élève. Un mot sur la ministre de l'Education ? Nous avons une ministre qui a osé et qui affronte les problèmes et les polémiques publiquement, ce qui est une qualité importante. On peut ne pas partager ses idées mais le débat doit être constructif. S. A. MEZIANE MERIANE, PORTE-PAROLE DU SYNDICAT NATIONAL DES PROFESSEURS AUTONOMES DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ET TECHNIQUE (SNAPEST) : «C'est un problème idéologique et politique» Le Soir d'Algérie : Que pensez-vous de l'introduction des langues maternelles à l'école ? Meziane Meriane : L'introduction des langues maternelles est une orientation de l'Unesco et jusque-là toutes les recommandations de cette organisation ont été respectées par nos responsables. Il n'y a pas lieu de soulever une polémique puisque actuellement certains enseignants de matière de physique ou mathématiques expliquent aux élèves les cours avec la langue qu'ils utilisent quotidiennement. La langue parlée de l'enfant lui permettra d'acquérir des notions scientifiques et des notions d'enseignement en général. Lorsque l'enfant étudie une langue étrangère, le français ou l'anglais, on utilise l'arabe et on interdit à l'enseignant l'utilisation de l'arabe dialectal pour enseigner l'arabe et permettre à l'enfant d'acquérir des notions par sa langue maternelle. Quelle recommandation vous voulez voir se concrétiser en urgence ? Le plus urgent, c'est de lever cette interdiction faite aux enseignants de ne pas parler l'arabe dialectal et nous appelons aussi à la refonte du bac, certaines matières doivent disparaître ou examinées en deuxième année secondaire car cinq jours d'examen, c'est trop long pour l'élève. Il faut aussi revoir le coefficient des matières essentielles à la hausse. Il y a beaucoup de matières, ce qui permet à l'élève d'avoir son bac sans qu'il soit vraiment fort dans les matières essentielles. Un scientifique, par exemple, peut avoir son bac sans être fort en sciences car il récompense avec les autres matières. Votre point de vue sur la ministre de tutelle... Je trouve qu'elle a pris des décisions courageuses loin de toute pression politique. Jusque-là, il y avait une mainmise sur l'école algérienne et lorsqu'on touche à leurs visions, nous avons ce genre de réactions. Il faut laisser l'école algérienne loin de toute bataille politique et idéologique et redonner la parole aux spécialistes de l'éducation pour que l'on puisse remettre l'école algérienne sur les rails. Pensez-vous qu'elle arrivera au bout de ses projets pour révolutionner l'école ? Il faudra qu'il y ait une politique d'accompagnement de cette vision mais surtout il ne faut pas casser cette dynamique pour sauver ce qui reste de l'école algérienne. C'est une réalité, tout le monde se plaint du niveau bas des élèves et que nos enfants ne maîtrisent pas les langues car dès le départ, il y a un rejet. Pour ce qui est d'une révolution, il ne s'agit pas d'une révolution, ce n'est que la réforme de Benzaghou.