Reportage réalisé par Saïd Aït Mébarek Vous souhaitez vous divertir, prendre un bon bol d'air pur en montagne ou tout simplement admirer un spectacle visuel mettant en scène la rencontre de l'homme et de la nature, tout en assistant à des ostentations ludiques et festives sur fond de témoignages spirituelles, allez à Azrou N'Thour, un lieu-dit vénéré, Aâssas (entité protectrice) investi de pouvoirs d'oracle capable de miracles et auprès de qui on vient implorer une surhumaine protection et demander la baraka, faire des invocations en tous genres : femme mal mariée, jeune fille inquiétée par un long célibat où vieille femme éplorée par l'absence trop longue d'un fils, on vient à Azrou N'Thour faire un vœu, une offrande et attendre une récompense. Mais ce n'est pas tout. Azrou N'Thour ou le rocher de la deuxième prière du jour qui est situé en même temps que tout le périmètremontagneux qui l'entoure, allant de Tizi-Ldjamaâ jusqu'au célèbre col de Tirourda sur la dorsale nord du Djurdjura, sur les hauteurs d'Iferhounène, à une soixantaine de kilomètres à l'est de Tizi-Ouzou, peut être aussi une destination de rêve pour un tourisme climatique, une halte pour les amoureux de dame nature et autres amateurs de villégiature et de solitude cosmique. Un prétexte pour une échappée estivale et touristique Durant trois vendredis consécutifs, au mois d'août, comme ce fut le cas vendredi dernier, Assensi d'Azrou N'Thour organisée par le village Aït Atsou, fête patronale dédiée à ce rocher, est un prétexte pour une échappée estivale en pleine montagne. On y vient de presque toute la Kabylie, d'Alger et d'autres wilayas limitrophes. Pour accéder au site situé à quelques encablures de la RN 15 qui va jusqu'à Bouira, on prend une route sommairement aménagée et rocailleuse. A mesure que l'on avance, l'œil est subjugué par le décor chaotique et féerique, à la fois. Un panorama fascinant par son panache, mélange de hauteur rocailleuse parcourue par une maigre végétation constituée, ça et là, de quelques cèdres rabougris et de chênes-lièges. Dans la description du rocher, le rédacteur d'un guide touristique de l'époque coloniale se plaisait à trouver des similitudes avec le fameux pic du Midi de la France. Azrou N'Thour, selon le même document est un long cône culminant à 1 900 mètres d'altitude. L'oratoire qui couronne son sommet où fut érigé un simulacre de mausolée domine un impressionnant abîme et permet au regard de découvrir un panorama contrasté et compliqué de reliefs vallonnés avec des villages qui se jettent, ça et là, comme sur un damier accidenté. Faute de documentation et de repères biographiques, la vulgate populaire tresse des récits apocryphes et des légendes à ce lieu-dit que l'on dit investi, on se sait à quelle époque, par un groupe de tolba pour y vivre en ermitage et à l'écart du monde leur religion. Ce qui est sûr et vérifiable, est que ce lieu sert jusqu'à présent de lieu d'estivage pour le cheptel des trois villages qui revendiquent la tutelle sur ce vaste espace de pâturage doté de plusieurs sources d'eau. Liturgie et sens d'une célébration Le temps de trois journées aoûtienne, l'espace devient la destination d'un pèlerinage, mélangeant l'ambiance bigarrée, d'une fête foraine ou d'une rencontre mondaine au sens religieux du terme, et l'atmosphère grave et mystique d'un voyage initiatique. Le cérémonial qui s'y déroule revêt l'éclat solennel d'une spiritualité diffuse, mélange de rituels oscillant entre le profane et le sacré. Dès les premières heures de la journée, ce sont les familles du village organisateur qui arrivent sur les lieux déjà occupés depuis la veille par les organisateurs. Vieilles femmes ou mères de famille, escortant des enfants et, surtout, des jeunes filles ouvrent le bal des arrivants et jettent leur dévolu sur des endroits à l'ombre du feuillage léger et maigre des cèdres et des chênes-lièges. On prend ses quartiers toute la journée. Au fur et à mesure qu'elle grossit, la foule part à l'assaut du pic. Dans un va et vient incessant de la base au sommet du pic, la procession chemine à travers un sentier escarpé envahi de pierres et bordé, par endroits, de ronces et d'arbustes sur lesquels, jadis, les femmes accrochaient des fanions et des pièces d'étoffe qui sont des ex-voto, des fétiches à qui elles prêtent une heureuse influence. Le spectacle visuel de l'ascension devient des plus prenants, un véritable panache joyeux et animé de mouvement et de couleurs constituées de nuances vives et chatoyantes des vêtements des femmes où se côtoient les robes traditionnelles des anciennes et les tenues modernes et estivales des jeunes filles dont l'élégance et l'attrait ne manquent pas d'exciter le regard le plus pudique. En bas, au pied du rocher, les organisateurs s'affairent à servir le couscous pour tous. Juste à côté, réunis sous une tente autour de l'Imam, les sages du village reçoivent des dons en argent et prodiguent remerciements et «baraka» aux donateurs, surtout les femmes dont certaines portent des bébés et des enfants en bas âge. A cette séquence de la cérémonie qui se déroule au pied du rocher, s'ajoute une autre qui se joue sur son sommet. A travers les attitudes et les gestes accomplis par les visiteurs, c'est le mystère et la liturgie de cette fête patronale qui dévoile une partie de son sens. Pendant que les hommes, jeunes et moins jeunes s'agglutinent sur la terrasse pour admirer les splendeurs chaotiques qui entourent le pic, les femmes investissent le mausolée, une vieille bâtisse presque en ruine qui fait office de lieu de culte. Le décor est sommaire et dépouillé. En guise de représentation pieuse ou funéraire, deux trous dans le mur, à travers lesquels les femmes font leurs invocations. En bas de chaque mur, une surélévation qui fait office d'autel sur lequel on allume des bougies. Au-delà de toutes ces manifestations de dévotion exprimées au cours de ce pèlerinage, les visiteurs repartiront avec l'espoir de voir tous leurs vœux exaucés, d'autres avec la certitude d'avoir retrouvé ce qu'ils sont venus chercher. «Dagui, Yella zhou, yella rabbi», traduisez, ici on vient prendre du bon temps et s'amuser et manifester sa piété et sa foi en Dieu», dira une vieille femme interrogée sur les raisons de sa présence sur les lieux. «Cette manifestation qui s'inspire de nos traditions et de l'islam populaire auquel sont attachés les gens d'ici est une forme de résistance à toute forme d'intolérance religieuse ; c'est une réponse aux menées déstabilisantes du wahhabisme et de l'islam salafiste», dira Salah, PES de français dans un lycée de la région qui n'hésite pas à donner un sens politique à sa participation à cet événement qu'on a jugé nécessaire de soumettre à l'investigation scientifique. S. A. M. Ramdane LASHEB, doctorant à l'université de Pau (France) : «La célébration cyclique liée à la sacralité d'Azrou-n-Thor obéit à la symbolique de la réactualisation du temps pur, celui du commencement» Le Soir d'Algérie : Commençons d'abord, par quelques observations d'ordre sémantique : qu'est-ce qu'un espace sacré ? Ramdane Lasheb : La sacralisation d'un espace est fortement liée à la religiosité ou non de l'homme. Contrairement à l'homme non religieux qui conçoit l'espace comme homogène, l'homme religieux des sociétés traditionnelles le conçoit non homogène. Pour ce dernier, l'espace présente des ruptures et des coupures et il est constitué d'espaces sacrés et profanes. Le sacré se manifeste à travers des hiérophanies, une manifestation de quelque chose de «tout autre», d'une réalité qui n'appartient pas au monde profane. Il peut s'exprimer par exemple par la porte d'une mosquée, d'une église, d'un temple qui s'ouvre vers l'intérieur, le seuil qui sépare les deux espaces indiquant en même temps la distance entre les deux mondes d'être, profanes et religieux. Ces hiérophanies se traduisent par des manifestations sacrées qui vont de la simple, de la plus élémentaire hiérophanie dans un objet quelconque (un arbre, une pierre), jusqu' à la hiérophanie suprême qui, est l'incarnation de dieu. Par quel truchement la sacralité d'un espace est-elle consacrée ? La consécration d'un espace commence toujours par rompre le chaos de l'homogénéité en établissant un repère, un point fixe (le centre du monde), qui équivaut à la création du monde. Quelque soit l'espace sacré, sous n'importe quel aspect, mosquée, église, maison, montagne, nous rencontrons partout le symbolisme du centre du monde de l'ouverture qui permet la communication cosmique (Terre-Ciel-Ciel-Terre). Un lieu peut être consacré avec d'autres signes qu'on qualifie de volonté de Dieu à l'exemple cette légende rapportée par René Basset dans Revue des traditions populaires : Lors de sa halte près d'une source, un pèlerin planta son bâton et le lendemain, voulant le reprendre pour continuer son chemin de pèlerin, il trouva qu'il y avait pris racine et des bourgeons avaient poussé. Il y vit l'indice de la volonté de Dieu et fixa sa demeure à cet endroit. Dans le cas où, aucun signe ne se manifeste, il arrive qu'on le provoque comme l'illustrent les nombreuses légendes populaires de fondations de villages de Kabylie. De nombreux villages furent fondés en des endroits révélés par des animaux comme le montre cet exemple puisé dans les légendes populaires de Kabylie : Le saint marabout Sidi Salem Ou-Makhlouf, qui, le long de son chemin trouva une lionne couchée, il lui ordonna de partir et il s'y installa à l'endroit même où était couchée la lionne. Autour de ce «point fixe» on bâtira le village Tamaghoucht. Comme on vient de le voir, le «point fixe» a été révélé par un animal. Ce ne sont pas donc les hommes qui ont fait libre choix de l'emplacement sacré, ils ne font que le chercher et le découvrir à l'aide de signes mystérieux. Un espace sacré, quelque soit l'aspect sous lequel il se présente, maison, grotte,montagne, on retrouve le symbolisme du «centre du monde», d'une «ouverture», par laquelle est possible le passage, la communication entre régions cosmiques (terre/ciel-ciel-terre). L'image de la montagne cosmique symbolise le centre du monde, elle exprime très bien le lien entre le Ciel et la Terre. Qu'est ce qui explique du point de vue de l'anthropologie ce genre de relations qu'on observe dans notre société qui voue un culte, une vénération aux lieux dits, à la montagne et qui se manifestent dans des événements rituels comme celui d'Azrou N'Thour ? L'homme fait recours aux rituels, à un ensemble d'actes, de conduites et de comportements symboliques, pour dissiper l'angoisse, l'inquiétude que génère quelque chose qui ne peut être saisie. Les rituels de sacralisation de lieux comme les rochers et les montagnes sont très liés aux croyances et aux mythes. Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, la montagne par exemple est consacrée (vénérée). Les montagnes Meru en Inde, le mont des pays en Mésopotamie, Haraberezaite en Iran, Gerizin en Palestine nommé «nombril de la terre» ou le mont de l'Atlas au Maroc pour ne citer que ceux-là, sont tous perçus comme des espaces sacrés, auxquels de nombreux rites sont consacrés. Le mont Atlas ou la «colonne du ciel» comme le nommaient les gens du pays au temps d'Hérodote est l'objet de vénération comme nous le souligne Pline : «Une crainte religieuse saisit les cœurs quand on s'en approche, surtout à l'aspect de ce sommet élevé au dessus des nuages et qui semble voisin du cercle lunaire».De nos jours, le culte de la montagne existe comme l'écrit Gabriel Camps : «Aujourd'hui encore, la montagne est siège de croyances diverses. Certains sommets sont tellement hantés de génies (djinn, pluriel djnoun) qu'ils sont pratiquement interdits aux hommes. Cette croyance est particulièrement forte chez les touaregs au Hoggar (Garat ed-Djnoun), comme dans l'Air mont Greboun». En Kabylie, de nombreuses montagnes sont consacrées à l'image du mont Yemma Gouraya à Béjaïa, d'Azrou-n-Thour de la chaîne montagneuse du Djurdjura qui culmine à 1 900 mètres d'altitude. Quel sens peut-on donner à la célébration rituelle et cyclique du rocher Azrou N'Thour et en quoi les ostentations, les manifestations ludiques et spirituelles qui s'y déroulent contribuent-elles à rehausser la sacralité de cet espace ? L'espace sacré d'Azrou-n-Thor est commémoré le mois d'août de chaque année ; Cette manifestation cyclique d'une année à la gloire des dieux de la montagne obéit à la symbolique de la réactualisation du temps «pur», celui du commencement. Il s'agit du renouvellement d'un événement sacré qui a eu lieu dans le passé mythique. Chaque commémoration est perçue comme étant le moment du renouveau, de la purification, de la restauration du Temps primordial, du Temps «pur», celui du commencement, de la création du monde. Tout comme le nouvel An, on procède à des purifications rituelles, signe de l'abolition des péchés, des souillures et des impuretés. Il faut renouveler le cosmos, ce que le temps a usé, a souillé. C'est le retour en quelque sorte au temps «pur» de la création du monde, au temps originel. Azrou- n-Thour, ce lieu divin, haut de 1 900 m d'altitude, reliant la terre au ciel devrait symboliser pour les ancêtres, le «centre du monde». Le sacrifice de plusieurs bêtes, la purification qu'on vient chercher sont des indices, des indicateurs de la réplique de la création du monde. Mais au delà de l'aspect sacré de cet espace, le rituel d'Azrou-n -Thour, revêt aussi un aspect festif. On vient pour passer du bon temps et rencontrer des gens. Si la fonction explicite de ce rituel est la médiation avec le divin, il n'en demeure pas moins que le rituel remplit aussi une fonction non consciente de communication, et de régulation. Il permet le renforcement des liens sociaux. Entretien réalisé par S. A. M. Dr Boudarène (psychiatre) : «Le rituel annuel d'Azrou N' Thour, une forme de catharsis sociale parce qu'un certain nombre de barrières tombent momentanément» Le Soir d'Algérie : Que signifie aux yeux du psychiatre, que vous êtes, les manifestations d'ordre spirituel et ludique qui émaillent le rituel annuel d'Azrou N'Thour, ces actes et ces gestes exprimant la piété ou ceux qu'on peut qualifier de jeu de séduction qui se mettent en œuvre dans les comportements des jeunes gens des deux sexes qui se croisent lors de la procession constituent-ils une forme de catharsis ou d'exorcisme collectif ? Dr Boudarène : Le rituel annuel d'Azrou N' Thour, comme toutes les autres manifestations populaires de ce genre, est un événement qui a, de mon point de vue, une double signification. C'est à la fois un rendez-vous social et un rendez-vous sociologique. 1/ C'est un rendez-vous social parce qu'il s'agit, en effet, d'un moment convivial qui réunit la communauté autour d'un événement festif qui autorise les rencontres entre les personnes, notamment les jeunes gens, qui peuvent l'espace d'un instant, d'une journée – loin des interdits sociaux habituels –, se parler, échanger, se connaître et,pourquoi pas, créer des liens et anticiper un avenir en commun. C'est l'occasion propice pour forger de nouvelles alliances entre les familles et d'agrandir la communauté. L'ambiance festive sert de cadre licite (je ne sais pas si c'est le mot qui convient vraiment) à tous les jeux de séduction qui s'y déroulent et d'une certaine façon – je le disais – les interdits habituels qui régissent et codifient les relations sociales, sont suspendus pour la circonstance. Est-ce que cet événement constitue une catharsis ? Oui, sans doute. Puisque «tout ou presque» est permis durant cet événement. En tout cas, concernant l'expression des émotions et des affects –quand bien même cela se fait dans les limites de la bienséance et de la convivialité qu'autorise le partage momentané, par les jeunes des deux sexes (je veux dire la mixité), de l'espace physique et social. Les chants et les danses et tout le folklore qui va avec servent de support ludique(d'alibi) pour créer ce climat. Chacun comprendra que de ce point de vue, la spiritualité passe au second plan. Et j'en viens au deuxième point. 2/ Voilà un événement qui est également un rendez-vous sociologique. La spiritualité est ici au cœur de l'organisation de la manifestation. Quoique la signification des choses va au delà de la spiritualité, même si c'est cette dernière qui nourrit le rituel et qui sert d'énergie mobilisatrice. Il ne faut pas oublier que ce type d'événement est organisé autour d'un personnage ou d'un lieu saint auquel le groupe social organisateur s'identifie. Une famille ou un groupe de familles revendiquent, en effet, un lien de filiation avec le Saint, une espèce d'appartenance généalogique qui n'est pas innocente dans la mesure où l'héritage spirituel constitue une revendication permanente. Les familles initiatrices de l'événement sont de la lignée et sont donc dépositaires de la permanence de la baraka de leur ancêtre; laquelle baraka est offerte à tous à l'occasion de cet événement à mi-chemin entre le magique et le spirituel. Une analyse des comportements pour percer le sens des quêtes, au sens psychologique, de chaque visiteur est-elle possible ? Peut-on parler d'une forme de thérapie de groupe dans le sens où les individus (pas tous) viennent pour se décharger de certaines peurs, pour trouver un refuge face aux contraintes de la vie ? Il y a autant de comportements que d'individus. Est-ce une thérapie de groupe? Non, je ne le pense pas dans la mesure où une thérapie de groupe est une technique de soins codifiée et menée selon des principes bien définis. Ce qui n'est pas le cas ici. Il y a, toutefois, des manifestations psychologiques – qui peuvent d'ailleurs être bruyantes – qui sont similaires à celles qu'on observe chez les personnes en quête des soins chez les exorcistes ou les talebs. Je veux bien aussi accepter l'idée qu'il y a une forme de catharsis sociale parce qu'un certain nombre de barrières tombent momentanément et les jeunes gens – je le soulignais – peuvent se regarder, se parler, exprimer des sentiments sans tabou, sans interdit. La soupape est levée, les jeunes n'étouffent plus, ils peuvent en quelque sorte respirer... A mon sens, c'est là que le spirituel croise le psychologique dans la mesure où cet événement sert d'alibi à l'émancipation des affects et à l'expression des émotions. Ce que tu évoques comme comportements plus spécifiques et propres à certaines personnalités fragiles – comme les transes observées à l'occasion de pratiques de soins traditionnelles – ne sont pas fréquentes durant ce genre de rendez-vous populaire. Ces comportements dissociatifs (c'est le terme approprié) sont par contre souvent observés dans des cérémonies sacrées organisées dans les zaouias, à l'occasion de rituels très particuliers dédiés spécifiquement aux soins. Seuls les malades fréquentent ces lieux. Les personnes qui ont des problèmes d'immaturité affective (immaturité psychologique) peuvent, dans ce cas, présenter des comportements particuliers, bien connus des psychiatres, et qui expriment un profond malaise psychologique. Non, il n'ya pas de cérémonies de ce genre, il y a seulement des invocations, certaines personnes, surtout les femmes, viennent formuler des prières et attendent des récompenses ( cela se passe à l'intérieur du mausolée...). Oui, les invocations peuvent réduire les tensions psychologiques du moment, parce que la personne qui prie Dieu pour alléger sa souffrance ou pour trouver un mari croit fermement à cela. Il s'agit d'une démarche psychologique opérante, en tout cas momentanément. S'en remettre au Saint pour qu'il intercède auprès de Dieu. C'est le principe même de la rokia. Durant cette pratique, c'est l'imam qui a le rôle d'intercession auprès de Dieu. Toutes les personnes qui ont la foi et qui construisent leurs croyances sur un destin prescrit fonctionnent comme cela. C'est là une disposition psychologique particulière qui fait que le sujet s'en remet toujours à une force extérieure, ici, Dieu. D'autres fois, les sujets pensent que le destin est entre leurs mains et qu'il (le destin) se façonne et se construit par la seule volonté personnelle. Ces sujets pensent qu'ils sont maîtres de leur destin. Ceux là n'iront pas prier dans ces lieux. Pour vous donc, l'intercession entre Dieu et l'individu est la seule fonction accordée à ce lieu, à ce rocher... Oui, d'une certaine façon, c'est l'objectif de la démarche de l'individu. Le pouvoir de guérison est dans la force de la quête qui fait se mouvoir l'individu. Nous connaissons bien cela en psychologie et nous savons que les personnes qui sont convaincues que le Saint va les aider à guérir en intercédant en leur faveur, pourront guérir. Du moins concernant certaines affections où la composante psychologique est prépondérante. Une cécité brutale, une paralysie des membres inférieures, une stérilité primaire quand elles sont d'origine psychique peuvent guérir, dans ce cas. Un miracle se sera accompli. comme par miracle. La disposition psychologique à guérir, cette espèce de conviction intérieure profonde, modifie l'espace biologique de l'individu et crée alors une disposition physiologique à guérir. C'est un peu comme l'effet placébo du médicament. Cela signifie-t-il, en définitive, qu'il y a survivance de la pensée magique chez certains sujets ? Une logique psychologique qui est, dans l'absolu, à mi-chemin entre le magique et le spirituel. Il est juste de dire que l'individu est pétri d'un certain nombre «d'arguments culturels» qui lui permettent de construire une relation rassurante à son environnement, extérieur mais aussi intérieur. Des valeurs qui lui permettent de vivre en harmonie et sans crainte avec le monde (inquiétant) qui l'entoure. Ces valeurs peuvent avoir une coloration religieuse ou mystique mais elles peuvent être tout à fait nourries par des considérations plus matérielles, si je peux dire les choses comme cela. Comme c'est le cas, par exemple, des sujets athées ou agnostiques.