Ass netkourbabine (le jour de thikourbabine), organisé et célébré chaque été par les villageois de Tizi Medjber, n'est pas une action de citadins en mal de nostalgie de thamourth, mais une activité socioculturelle qui prend racine dans les profondeurs culturelles de la région des Yalaouis. L'idée de cette journée culinaire est née en 1998, dans les moments dramatiques que traversait le pays. Les jeunes qui avaient lancé le concept ont certainement réagi, d'instinct, à la nécessité, devenue impérieuse, de reconstruire un espace social et identitaire apaisé, donc sécurisé. L'ambition était en effet le regroupement des familles du village disséminées, pour des raisons économiques, à travers les quatre coins du pays, à Alger notamment et même à l'étranger mais qui ne pouvaient, pour des raisons politiques et, surtout, sécuritaires, se regrouper et se ressourcer de valeurs puisées dans leur espace culturel naturel. Un concours familial autour d'un plat du terroir était la motivation pour rassembler ces familles et redonner vie à leur localité. L'idée a immédiatement pris. Les joutes avaient été entamées par seulement 8 familles. C'était déjà une performance pour l'époque. «Depuis 1998, le concours ne s'est arrêté que deux fois, et ce, pour des raisons majeures. La première c'était à la suite de l'horrible assassinat d'un enfant du village par les terroristes. La seconde en 2003, lorsque le tremblement de terre de Boumerdès avait endeuillé le pays», dira Allaoua Aoun, adjoint du président Aïd Nacer, également chargé de la communication de l'association El Ihsane, maître d'œuvre de cette rencontre familiale. En 2015 le concours a atteint l'âge de l'adolescence puisqu'il en est à sa 17e édition. Un cas unique en Algérie en matière de pérennité. Les organisateurs ont enregistré, cette année, la participation de 56 familles. Ass netkourbabine est célébré chaque été par les familles originaires de Tizi Medjber. Durant le week-end du 20 août passé, la pittoresque mosquée de Tizi Medjber, village accroché au flanc de l'une des montagnes du pays des Ith Yala (Guenzet), dans le nord de la wilaya de Sétif, est devenue le centre du savoir-faire culinaire berbère ancestral, un espace familial convivial et un lieu d'activités culturelles. L'engouement populaire était tel qu'il était pratiquement impossible d'entrer au village en voiture. Quant aux familles concurrentes, pour espérer séduire les papilles gustatives de Said Debaili et des cinq autres membres du jury et par là même décrocher la première place, elles se soumettaient à des règles culinaires strictes. L'association a cumulé une expérience lui donnant la capacité d'innover, rendre le concours plus exigeant et intéressant et les délibérations des membres du jury crédibles. Tous les arbitres sont effectivement des hommes du village et nécessairement de très bons connaisseurs de la cuisine du terroir yalaoui. Il est exigé d'eux par ailleurs d'être habillés en tenues kabyles, c'est-à-dire d'une gandoura et d'une chechia. Les ménagères qui concourent au nom de la famille doivent observer des règles culinaires pour composer le plat qui plaira. Le jury tient en effet compte de 5 paramètres gastronomiques pour attribuer des notes sur 20. Les membres du jury observent l'aspect général du plat, la forme des boulettes de semoule, la senteur des arômes, la fermeté de ces boules et enfin la saveur qui est notée avec un coefficient de 3. Cette année c'est la famille de Zoheir Labsi qui a gagné le concours. Elle est suivie des familles de Abdellah Guezout à la seconde place, Saïd Bouhafs à la troisième place tandis que celle de Larbi Zeroule qui a un beau palmarès par le passé dans ce concours décroche la quatrième place. Il est demandé aux familles concurrentes de cuisiner pour cinq personnes. A la fin de ces joutes, une zerda de thikourbabine à l'intention des visiteurs et des villageois s'est déroulée dans une ambiance bon enfant. Une association qui date de 1936 Ass netkourbabine a débuté la veille avec la récompense des lauréats, originaires de la localité et qui ont réussi aux différents examens nationaux dans leur cursus (de la 6e au doctorat). Dans la journée précédant le concours culinaire, les enfants du village, garçons et filles, habillés en tenues traditionnelles kabyles, ont fait la tournée du village dans un processus ancestral appelé tamelat n'tzouight (les apprenants du Saint Coran) pour lancer louanges et prières en direction des occupants des maisons. Ces derniers leur font des offrandes qui, une fois collectées, sont remises à l'imam du village. Il y a lieu de souligner que l'association El Ihsane a été créée, rappelle son président actuel, en 1936 à Belcourt (Alger), lors de la vague des revendications nationalistes. Après avoir été mise entre parenthèse durant la guerre de Libération et la période du boumediénisme, elle a été réactivée. Elle joue le rôle de tadjemaâth traditionnelle, avec une structuration moderne.