La présente contribution aurait pu s'intituler «La crise en Algérie : sens et non-sens».(1) Un tel intitulé présente l'intérêt de souligner l'opportunité de s'interroger sur le contenu qu'il convient de conférer à la notion de crise dans le contexte spécifique de l'Algérie. Son inconvénient est qu'il relègue, en ne l'évoquant pas de manière explicite, le caractère rentier de l'économie algérienne au second plan. Dans ce qui suit, nous nous proposons de fournir, en nous appuyant sur une approche empruntée à l'Ecole de la régulation, une spécification de la crise structurelle du régime rentier à l'œuvre en Algérie. L'analyse nous permettra d'en identifier les sources et les principales manifestations au plan macroéconomique et au niveau du comportement des acteurs de l'accumulation(2). Crise du régime ou crise de la régulation ? Dans le régime rentier qui est le nôtre, les périodes de crise donnent souvent lieu à des changements économiques et sociaux profonds. Cependant, les compromis sociaux fondateurs du régime d'accumulation restent fondamentalement les mêmes, dans le sens où leurs configurations concrètes respectives ne permettent pas l'émergence d'une dynamique productive indépendante de la rente. Telle semble être la caractéristique première de la trajectoire économique de l'Algérie depuis au moins quatre décennies. Mais avant d'aller plus loin, revenons sur les acceptions de la notion de crise. D'une manière générale, la croissance économique est l'expression de la cohérence d'un ensemble de régulations partielles. Il en découle que les crises structurelles, lorsque crise il y a, sont la traduction même des caractéristiques du mode de régulation et du régime d'accumulation(3). La notion de crise semble de ce fait indissociable de celles de mode de régulation et de régime d'accumulation. C'est ainsi qu'on distingue, dans la typologie générale des crises, deux types de crises structurelles, selon que leur origine est dans la régulation ou dans le régime d'accumulation : la crise du mode de régulation et la crise du régime d'accumulation. Dans le premier cas, les enchaînements conjoncturels peuvent être défavorables mais le régime d'accumulation demeure viable. Par contre, dans le second, c'est le principe même du régime d'accumulation qui est en cause dès lors que les contradictions entre les formes institutionnelles les plus essentielles, c'est-à-dire celles qui conditionnent le régime d'accumulation, atteignent leurs limites. Cette distinction peut sembler abstraite. Néanmoins, sa pertinence se révèle amplement dès lors que l'on considère des régimes concrets, comme celui auquel nous nous intéressons ici, à savoir le régime rentier à l'œuvre en Algérie. Dans ce dernier, deux sources de crises peuvent être identifiées, chacune renvoyant en fait aux deux types de crises ci-dessus évoqués. La première source provient du fait que les flottements du marché international des hydrocarbures agissent comme une force exogène capable de bloquer ou d'autoriser, selon le cas, la poursuite de l'accumulation. L'action de blocage peut survenir de deux manières principales : - une pénurie de biens de capital, suite à la baisse de la capacité d'importation, devenue insuffisante ; - un blocage de la dynamique de la demande interne suite à la baisse des revenus des agents rentiers. Les deux procédés peuvent se combiner simultanément. Tel semble avoir été particulièrement le cas au lendemain de la chute des prix du pétrole en 1986, quand les problèmes d'approvisionnement en équipements et matières premières ont commencé à se faire sentir. La seconde source de crise peut survenir de la faible création de débouchés internes, quand bien même les capacités d'importation (de biens d'équipement, de matières premières et autres) sont suffisantes. Des phénomènes de concentration des revenus, des blocages d'ordre institutionnel..., entre autres, sont susceptibles de s'opposer à l'apparition des processus auto-entretenus de création de débouchés. Cette situation semble caractériser les années 2000. En somme, les crises peuvent résulter à la fois de l'insuffisante capacité d'importation et de la faible création de débouchés, ces deux situations pouvant se présenter simultanément ou séparément. Dans le premier cas, nous sommes en présence d'une crise du régime d'accumulation, et dans le second, d'une crise du mode de régulation. Outre la dimension exogène qui renvoie principalement au caractère instable, volatile et éphémère des revenus pétroliers qui servent de source de financement à l'accumulation interne (crise du régime d'accumulation), la crise revêt une dimension endogène (i.e. crise du mode de régulation). Celle-ci présente, cela va sans dire, des particularités par rapport au modèle de référence du capitalisme fordiste. En effet, par rapport à ce dernier, la crise en Algérie est aux antipodes : - d'abord, l'évolution de la productivité dépend pour l'essentiel de l'importation et de l'adoption des technologies incorporées dans les équipements et les biens intermédiaires produits par les économies avancées. Ces gains de productivité n'ont pu, pour diverses raisons, être mobilisés par le secteur domestique, à l'exception du seul secteur exportateur, le secteur des hydrocarbures, qui reste une enclave ; - en second lieu, le régime de demande est fortement dépendant des importations. A la différence des pays à économie avancée, le salaire ne contribue pas à la formation de la compétitivité et n'est pas non plus un facteur moteur de la demande domestique. Globalement, le bouclage de l'accumulation est déconnecté par rapport à l'espace domestique, déconnexion accentuée par la plus grande ouverture de l'économie nationale survenue ces dernières années. Enfin, le caractère ambigu de l'institutionnalisation du rapport salarial conduit à l'instauration de mécanismes concurrentiels en matière de formation des salaires. A l'évidence, la crise dans ce contexte ne peut s'expliquer par les effets déstabilisateurs liés à l'approfondissement et l'institutionnalisation croissante du salariat. Elle semble, au contraire, liée aux blocages qui s'opposent au mouvement de salarisation(4). En somme, l'ensemble des éléments qui viennent d'être évoqués nous conduit à admettre la nécessité d'appréhender la problématique de l'accumulation au-delà de la simple analyse classique de la reproduction, du surplus et de l'accumulation, analyse qui met l'accent sur la relation profit-accumulation. La prédominance des comportements rentiers, résultante de l'environnement institutionnel en vigueur dans la société et dont l'émergence n'est pas étrangère à la disponibilité de la rente pétrolière, justifie que l'on s'intéresse aux déterminations des rapports sociaux autres que celles liées à l'accumulation productive. En d'autres termes, il y a lieu de prendre acte du fait que nous sommes en présence d'une situation où les rapports sociaux et économiques ne sont pas déterminés exclusivement par les normes de profits qui découlent de l'activité productive. La crise survenue au lendemain de la chute des prix du pétrole en 1986 est révélatrice de la fragilité du régime rentier d'accumulation. Il s'agit d'une crise structurelle qui a nécessité un ajustement dont la finalité immédiate fut de mettre l'économie nationale en état de faire face aux contraintes extérieures qui découlent de son mode d'insertion internationale. Les mesures d'ajustement prises en réponse à la crise ne pouvaient manifestement pas avoir pour but de favoriser un dépassement du régime rentier, mais visaient plutôt à créer les conditions d'une reconfiguration institutionnelle à même de rétablir la viabilité, sur le moyen terme, du régime. La reprise des cours du pétrole sur le marché mondial, d'abord timide au milieu des années 1990, ensuite vigoureuse et soutenue à partir de 1999, allait renforcer cette tendance à la consolidation des conditions de viabilité du régime rentier. «Chaque économie a la crise de sa structure. Et il ne faut pas confondre, par ailleurs, les facteurs qui déclenchent une crise avec la crise elle-même», écrit C. Ominami (1986) dans son œuvre pionnière Le tiers-monde dans la crise. Ceci est particulièrement vrai de l'économie algérienne durant la décennie 2000. En effet, alors que les revenus tirés de l'exportation du pétrole enregistrent des niveaux jamais égalés, l'économie domestique peine à redémarrer. Pis encore, nous assistons depuis plusieurs années à un paradoxe : à une disponibilité jamais observée de ressources de financement font face un déclin continu et inéluctable des activités productives (et de l'industrie en particulier) et une aggravation du problème du chômage. Le paradoxe dont il est question ci-dessus a constamment alimenté le débat économique en Algérie ces dernières années. D'aucuns en effet ne s'expliquent pas qu'une telle situation ait pu survenir et durer aussi longtemps. Manifestement, si l'on se réfère à la typologie des crises décrite précédemment, ce paradoxe apparaît comme l'expression d'une crise du mode de régulation, à l'œuvre depuis le milieu des années 1990. C'est là une interprétation qui met davantage l'accent sur le facteur institutionnel. Ce dernier se cristallise, dans le contexte présent, dans le comportement rentier de l'ensemble des acteurs de l'accumulation. Quoi qu'il en soit, et par-delà la diversité des approches auxquelles l'on peut faire appel pour interpréter la trajectoire économique de ces dernières années, il semble que cette dernière définit un régime d'accumulation dont la dynamique n'est nullement affectée par une quelconque désarticulation entre sections productives et qu'il est surtout nécessaire d'appréhender la crise en en recherchant l'origine ailleurs que dans la dynamique intersectorielle. La crise du mode de régulation, caractéristique de la trajectoire économique de la décennie 2000, a une dimension macroéconomique qui s'exprime par un blocage de la transformation de l'épargne en investissement. Du blocage de la transformation de l'épargne en investissement Commençons d'abord par dresser, en quelques chiffres, un état des lieux. L'épargne nationale est essentiellement le fait du secteur des hydrocarbures. La hausse du prix du pétrole a, cela va de soi, entraîné une augmentation de l'épargne nationale ; celle-ci est constituée de l'épargne budgétaire, directement liée à la fiscalité pétrolière, et de celle de la compagnie nationale des hydrocarbures, Sonatrach, bien entendu. Depuis 2000, le taux d'épargne nationale en proportion du PIB n'a cessé de croître. Depuis cette date, ce taux est en effet supérieur à 40%. Comparé au taux de l'investissement, qui oscille autour de 30% sur la même période, on mesure aisément les capacités de financement inemployées du pays. L'excédent d'épargne sur l'investissement revêt plusieurs formes : thésaurisation, épargne oisive, des dépôts auprès des banques et le Fonds de régulation des recettes. Cette aisance financière observée au plan macroéconomique n'a cependant pas eu pour effet un allègement de la contrainte de financement au plan microéconomique. Ainsi, au niveau des entreprises, le recours au financement externe (financement bancaire et autre) n'intervient que faiblement dans l'exploitation et l'investissement (respectivement 25% et 30%). Par ailleurs, malgré le contexte d'excès d'épargne sur l'investissement qui caractérise le cadre macroéconomique, le ratio «crédit à l'économie/PIB» reste faible puisqu'il ne dépasse pas 25% en moyenne, tandis que le ratio «crédit au secteur privé/PIB» ne dépasse pas 12% en moyenne. Manifestement, ces quelques chiffres montrent qu'il y a difficulté à absorber productivement l'épargne. Il en résulte une situation paradoxale dans laquelle des ressources financières considérables mais oisives coexistent avec un sous-investissement dans les entreprises. Plusieurs explications sont avancées, parmi lesquelles l'inefficacité de l'intermédiation bancaire et financière. Publiques pour l'essentiel, les banques sont devenues, après l'Etat, le lieu où la rente est immédiatement disponible. La gestion de cette dernière par les banques semble n'obéir à aucune logique économique. L'absence d'une politique active de l'Etat en matière d'investissement productif, politique qui se justifierait par le caractère public de la majorité des institutions bancaires, fait que ces dernières apparaissent, dans leur gestion des ressources financières disponibles, comme livrées à elles-mêmes. Dans ces conditions, la faible mobilisation, à des fins d'investissement, des ressources disponibles au niveau des banques publiques est un phénomène qui s'apparente à la faible mobilisation des capacités de production, observée dans le secteur public industriel. N'étant pas configurées pour prendre des risques, les banques se contentent de s'orienter vers des marchés lucratifs et moins risqués. Par ailleurs, on ne peut faire l'impasse sur l'importance des interférences de tous ordres dans le contrôle de l'accès à ces ressources. Des considérations extra-économiques constituent un critère-clé dans l'accès au crédit. La banque publique est, à l'instar de l'entreprise publique, traversée par les mêmes logiques politiques qui en font un instrument, une ressource de pouvoir politique. Le secteur bancaire continue ainsi de subir de lourds handicaps, sous forme de financement contraint, sur injonction formelle du gouvernement ou sur injonction informelle émanant de certains centres de pouvoir, d'entreprises publiques structurellement déficitaires et celui d'entreprises privées ne remboursant que partiellement leur emprunts. Quant au secteur privé ne bénéficiant pas de la protection de réseaux clientélistes, son développement est lourdement handicapé par la difficulté d'accéder au financement bancaire en raison, entre autres, des défaillances managériales des banques publiques. Si la crise du mode de régulation s'exprime par le blocage de la transformation de l'épargne en investissement, il serait cependant naïf de réduire les causes de ce blocage à la seule inefficacité de l'intermédiation financière. En fait, le problème est beaucoup plus complexe. La théorie du «dutch disease», même si elle ne traite de la question de l'usage de la rente que dans le cadre restrictif d'une configuration institutionnelle d'ensemble particulière, permet cependant de poser la problématique de la gestion de la rente pétrolière en termes de capacité d'absorption qui, en l'occurrence, semble manifestement limitée. Comparativement à la situation qui a prévalu lors de la phase «étatiste» de l'expérience de développement où, en raison de l'insuffisance de l'épargne nationale, l'Etat a eu recours au financement monétaire et à l'endettement externe pour réaliser les vastes programmes d'investissements productifs, la situation actuelle est aux antipodes. Dans ce contexte d'excédents d'épargne qui caractérise l'économie algérienne depuis le début de la décennie 2000, la question se pose de savoir si la politique budgétaire de relance par la demande est de nature à favoriser l'enclenchement d'un processus d'autonomisation de la croissance par rapport au secteur des hydrocarbures. La réponse à cette question contient des éléments qui sont à rechercher dans la configuration des compromis institutionnels que véhicule le mode de régulation de l'économie. En d'autres circonstances, le blocage de la transformation de l'épargne en investissement aurait nécessité, à juste titre, des politiques keynésiennes (budgétaire ou monétaire). Cependant, celles-ci reposent toutes sur l'existence d'une offre locale disponible et efficace, ce qui ne semble pas être le cas en Algérie où les structures de l'offre demeurent encore rigides et inefficaces. Dans un article intitulé Keynes est mort, Benachenhou (2009) conclut que, pour l'Algérie, une politique de reprise ne peut pas être une politique de demande, mais une politique de l'offre. C'est là une conclusion qu'on retrouve logiquement dans les analyses se réclamant de la «théorie de la régulation». Par ailleurs, la question du blocage de la transformation de l'épargne en investissement n'est pas sans lien avec la logique qui fonde le comportement des acteurs de l'accumulation, logique qui découle grandement de l'environnement institutionnel dont la vocation principale est de définir les contraintes et les incitations qui encadrent et régulent ces comportements. Du comportement rentier des acteurs de l'accumulation L'analyse du comportement des principaux acteurs de l'accumulation, dans le cas de tout régime d'accumulation, permet de montrer jusqu'à quel point ces comportements peuvent être déterminés par les compromis institutionnels en vigueur dans le contexte social considéré. Des expériences montrent par ailleurs que des arrangements institutionnels spécifiques sont nécessaires pour orienter et stimuler l'action de ces acteurs dans le sens souhaité. En Algérie, le comportement des principaux acteurs de l'accumulation semble s'inscrire dans la logique du nouveau mode de régulation mis en place depuis le début des années 1990. Schématiquement, ce comportement est d'essence rentière : la captation de la rente semble être son mobile premier. Ce type de rationalité caractérise l'action de l'ensemble des acteurs, du secteur public au capital privé, national ou étranger. Dans le secteur public, la situation n'a fondamentalement pas changé. Les entreprises publiques sont restées majoritairement destructurées et un grand nombre d'entre elles sont structurellement déficitaires. Si elles arrivent à se maintenir en activité et à financer leur cycle d'exploitation, c'est, comme par le passé, grâce au recours systématique au découvert bancaire. Mais s'il en est ainsi, c'est parce que le mode de gestion des entreprises publiques n'a fondamentalement pas changé ; ces dernières continuent toujours de subir les injonctions politico-administratives. Les mesures à caractère juridique prises à partir de 1988 en vue de leur procurer davantage d'autonomie en matière de gestion se sont avérées vaines et purement formelles puisque les fonds de participation, structures de gestion du secteur transformés ultérieurement en holdings publiques, puis en Sociétés de gestion des participations (SGP) de l'Etat, ne sont en réalité que des courroies de transmission des décisions des autorités publiques en charge des secteurs d'activité concernés. Ainsi, pour ne prendre que cet aspect, le mode de désignation des responsables de l'ensemble des structures intervenant dans la gestion des portefeuilles publics (essentiellement la cooptation) et le caractère limité des prérogatives qui sont conférées à ces structures font que le secteur public est resté ce lieu où la gestion du capital s'apparente à une gestion de carrières et de distribution de prébendes. La gestion des entreprises publiques n'a donc pas connu de changements notables. La description qu'en fait L. Addi dans L'impasse du populisme, bien qu'antérieure à la période dite des «réformes», demeure encore étonnamment valable. Il va sans dire qu'une telle situation ne tient que parce les revenus pétroliers permettent de combler les déficits chroniques d'exploitation, expression de l'inefficacité économique de ces entreprises. Quant au secteur privé, dont on attendait qu'il prenne les commandes de l'accumulation, ses performances sont peu convaincantes et ses résultats fragiles, et ce, en dépit des changements opérés en faveur de son développement. Ainsi, malgré la possibilité donnée, à partir de 1994, aux entreprises du secteur d'accéder aux ressources en devises, l'investissement productif privé n'a pas décollé. Sur la longue période, l'incitation à investir est contrariée par des conditions macroéconomiques défavorables dont la plus importante est sans doute le rétrécissement du marché intérieur suite à l'ouverture et la «déprotection» de l'économie nationale. En somme, nous assistons durant la décennie 2000 à une évolution qui peut paraître paradoxale puisqu'elle fait coexister une libéralisation relative et une stagnation de l'investissement privé productif. Une telle situation n'est pas étrangère au fait que la régulation mise en place durant cette période confère aux activités commerciales une profitabilité supérieure à celle qu'on retrouve dans les activités de production. L'essor du secteur privé est donc à relativiser. Sa contribution dans l'ensemble de l'économie reste encore limitée. Le secteur, constitué à 90% de microentreprises, souvent de type familial, opère essentiellement dans l'industrie manufacturière (en particulier dans l'agroalimentaire), le transport terrestre, le BTP et les services. Selon des données récentes, la présence sectorielle des petites et moyennes entreprises (PME) privées confirme la faiblesse relative du nombre de PME industrielles. A titre d'illustration, en 2008, à peine plus de 18% de l'ensemble des PME privées sont de type industriel, le reste étant pour l'essentiel des entreprises de service (46%) et de BTP (35%). Cette structure, qui n'est pas sans rapport avec le mode de régulation de l'économie, montre bien que l'investissement privé s'oriente vers les activités naturellement peu ouvertes à la concurrence étrangère (secteur des biens non échangeables, pour reprendre la terminologie utilisée dans la théorie du dutch disease) et où les délais de récupération sont très courts. En réalité, le chiffre d'affaires du secteur est, pour l'essentiel, l'œuvre d'un nombre réduit de groupes privés qui prospèrent aux alentours du pouvoir politique, dans des zones grises, et dans des conditions qui sont loin de celles qui caractérisent la libre concurrence. Enfin, pour conclure, on ne peut ne pas évoquer le rôle du capital étranger comme acteur nouveau de l'accumulation depuis l'adoption de la politique d'ouverture aux investissements directs étrangers. Au regard des faits observés et des chiffres enregistrés, notamment durant la décennie 2000, il y a tout lieu de penser que sa présence semble davantage relever du discours politique que d'une réalité économique tangible. Très courtisé dans le discours économique des autorités politiques, l'investissement direct étranger (IDE) s'est révélé dans les faits décevant. Les chiffres disponibles montrent que son apport est pour le moins insignifiant et marginal. Mais en dépit de la modestie de son apport, l'IDE continue d'être présenté dans le discours officiel des autorités comme la panacée aux problèmes d'investissement. Outre son apport faible qui s'apparente à une défection, le capital étranger en Algérie s'inscrit, quand il se déploie, dans une logique ostensiblement extractive, dans le double sens du terme. Sa présence se cantonne surtout dans les hydrocarbures, les télécommunications, les travaux publics et le bâtiment. Les investissements industriels (hors secteur minier) sont modestes, pour ne pas dire insignifiants. La conséquence en est que les revenus versés au reste du monde, essentiellement constitués au départ des bénéfices exportés par les entreprises pétrolières étrangères, n'ont cessé de croître pour atteindre des niveaux considérables, niveaux qui se trouvent manifestement en disproportion comparativement aux montants investis. Ces dernières années, les transferts au titre des bénéfices expatriés ont tendance à représenter une ponction non négligeable sur les réserves nationales en devises. Nous devons enfin souligner que s'il en est ainsi, c'est sans doute parce que l'IDE en Algérie n'est pas soumis à des priorités nationales. L'absence de régulation étatique tant au niveau des orientations sectorielles des investissements qu'au niveau du régime des participations dans la propriété expliquent sans doute la prédominance du caractère essentiellement «extractif» des IDE. Conclusion En Algérie, le caractère rentier du régime de croissance semble s'être davantage renforcé, notamment du fait des nouveaux arrangements institutionnels que véhicule le mode de régulation. La crise du régime rentier d'accumulation se manifeste davantage par des blocages internes qu'externes, d'où la persistance, au niveau macroéconomique, de la difficulté de transformer l'épargne en investissement. Par ailleurs, le comportement des principaux acteurs de l'accumulation semble s'inscrire dans la logique du mode de régulation mis en place depuis le début des années 1990. Ce comportement demeure d'essence rentière dans la mesure où la captation de la rente se révèle être son mobile premier. S. B. (*) Maître de conférences, université de Boumerdès. [email protected] 1) Titre d'un article de Rachid Boudjema, publié dans les colonnes du Nouvel Hebdo, semaines du 5 au 11 et 12 au 18, décembre 1990. 2) Cette contribution est extraite d'une communication, présentée par l'auteur, lors du colloque international «La théorie de la régulation à l'épreuve des crises», qui s'est tenu à Paris du 10 au 12 juin 2015. http://theorie-regulation.org/colloques/colloque-rr-2015/programme-rr2015/. 3) Boyer R. [2004], Théorie de la régulation. 1. Les fondamentaux, Paris, La Découverte. 4) Ominami C. [1986], Le tiers-monde dans la crise, Paris, La Découverte.