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Relation Université-Entreprises
Les passerelles de l'avenir
Publié dans Le Soir d'Algérie le 24 - 10 - 2015


«Les grandes réalisations dans ce monde ont pour
dénominateur commun le savoir et le savoir-faire.»
(Anonyme)
Notre pays est en passe de vivre une crise économique induite par la baisse du prix du pétrole qui, faut-il le rappeler, représente 98% de nos recettes en devises. Nos réserves de change (environ 160 mds de dollars) peuvent être épuisées en seulement 2 à 3 ans au vu du rythme des importations des matières nécessaires à notre survie et services, mais aussi à cause d'une machine nationale de production en panne. La dévaluation du dinar par rapport aux monnaies fortes n'arrange pas les choses.
Par conséquent, il est temps que la fibre patriotique s'exprime et s'engage afin de sauver notre pays d'une dérive économique et de ne pas faire subir de malheurs aux générations futures.
Un des leviers pouvant être mis à contribution pour sortir du marasme et éviter cette dérive économique est le couple Université-Entreprise. En effet, l'université est considérée comme le centre de la connaissance, le lieu où des processus sont expérimentés dans des laboratoires de recherche et de terrain et dont les résultats sont, normalement, mis en pratique dans le monde socio-économique pour résoudre des problématiques, accéder à l'innovation et améliorer la production. Ceci n'est possible, cependant, que grâce à des passerelles d'échange ,entre l'Université et l'Entreprise. De son côté, l'entreprise économique doit être destinataire, prioritairement, de ces recherches qui sont basées sur des approches prouvées et pratiquées, suite à une forte collaboration.
Une université dépassée...
Actuellement, l'université algérienne est considérée comme un simple relais pour un avenir professionnellement incertain pour des jeunes ayant sauvé leur mise (à coup de milliers de dinars en cours de soutien et au prix de moult sacrifices des parents) d'un système éducatif de plus en plus remis en cause. Cette année, 51% des bacheliers (l'un des taux de réussite les plus élevés dans l'histoire de notre éducation nationale) ont rejoint les bancs de l'université. Ces derniers vont subir, à l'instar de leurs aînés depuis quelques années, une formation statique avec des méthodes peu innovantes avant de sortir avec un diplôme, en général, peu empreint d'employabilité.
En effet, cette formation repose, essentiellement, sur de la théorie évaluée périodiquement par des épreuves ne sollicitant aucun esprit de synthèse et apparentées à de simples occasions où l'étudiant restitue juste son cours. De ce fait, ce dernier continue dans cette logique bi-phasique, acquise depuis sa première scolarité, la réception-restitution des connaissances avec des méthodes peu élaborées et dépassées. Une fois sorti de cette phase, il affronte un monde socio-économique complètement méconnu qui le mettra à mal et où il va devoir se battre durement pour trouver une place et se maintenir dans la société.
Plusieurs générations ont été formées, à coup de milliards et de milliards de dinars, à partir de ce moule durant les 20 dernières années. Pourtant, profitant de la manne pétrolière, l'Etat a entrepris des réformes afin de doter d'un minimum acceptable l'université en termes de rénovation, de matériels pédagogiques, de recherche et formation continue. Cependant, les résultats escomptés ne sont toujours pas atteints au vu de la position très médiocre de l'université algérienne dans les classements mondiaux. Ce qui l'inscrirait, de facto, en porte-à-faux par rapport à une université digne de ce nom contribuant à une économie florissante.
Relation Université-Entreprise...
Que dire alors des relations existant entre l'université et le monde socio-économique, lequel devrait, logiquement, recevoir des milliers de jeunes diplômés de différents secteurs ?
Le monde universitaire algérien est composé de 92 universités/écoles supérieures affectées d'environ 1,8 million d'étudiants toujours en lice(1).
Ces derniers devraient rejoindre, dans les 3 à 5 années à venir, le monde du travail qui, naturellement, devrait les absorber en grande majorité. Or, les entreprises algériennes (plus de 1 million de PME en Algérie sans compter les grands groupes étatiques et privés connus) sont, généralement, fermées sur elles-mêmes et, pour la plupart d'entre elles, non productives car orientées vers une logique commerciale réduite à la simple vente des objets importés et très peu enclines à recevoir des stagiaires. De plus, quelques entreprises finissent par déposer le bilan à défaut de compétences locales et de marchés locaux et extérieurs. De ce fait, l'étudiant qui doit, en toute logique, faire ses stages dans ces entreprises afin de s'en imprégner, voit sa mobilité très réduite envers elles et finit avec un projet de fin d'études manquant cruellement de pratique. De même que l'enseignant-chercheur ou le chercheur tout court finit par se rabattre sur des recherches très peu au fait des réalités du monde socio-économique car ses travaux sont peu valorisés par les opérateurs économiques. Pourtant, l'université doit être considérée comme un vivier d'experts, de conseillers et formateurs qui participent à l'innovation et au développement des entreprises dont la très grande majorité sont dépourvues de département «Recherche et Développement». Cette dynamique collaborative est, malheureusement, presque inexistante en Algérie entraînant un déphasage entre les deux entités, comme l'a dévoilé M. Barti : «C'est normalement par la recherche-développement que les entreprises arrivent à se déployer, à étendre leurs activités, à rendre exportables leurs produits ou leurs services. C'est ce à quoi devrait aspirer l'entreprise nationale, qu'elle soit privée ou publique. Mais la réalité est tout autre, on en est encore au stade des intentions, des prises de contacts et, dans le meilleur des cas, des prestations de services»(2).
Le PNR... un moyen collaboratif
Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS), par le biais de sa direction générale de la recherche, a élaboré, entre autres, un programme national de recherche (PNR) afin d'associer des laboratoires de recherche de différentes universités à des partenaires économiques pour résoudre des problématiques inhérentes aux réalités du pays. Cependant, si l'intention était bonne, la non-participation du partenaire économique au financement du projet a affaibli l'implication et la prospection conjointe des résultats. De plus, les lenteurs administratives pour le financement de ces recherches, au demeurant peu conséquent, et le manque flagrant des produits de laboratoire (dont la grande majorité est importée) n'ont pas donné les résultats escomptés en termes de collaboration Université-Entreprise. Si bien que ce programme s'est apparenté, pour certains, à un simple moyen attribuant des primes supplémentaires aux enseignants chercheurs considérés comme faisant partie de l'élite nationale aux salaires relativement peu élevés. Par conséquent, au vu des résultats peu probants de ces programmes collaboratifs, il est impératif de continuer à travailler d'arrache-pied pour élaborer de nouveaux mécanismes et améliorer ceux déjà existants afin de mettre en action et de manière efficace le couple Université-Entreprise. Ceci passera par la création de passerelles entre ces dernières, lesquelles doivent obéir à des textes et à des règles à établir.
Injaz El Arab et FIE, des programmes de formation à essaimer...
L'espoir est, pourtant, permis au vu des initiatives prises par quelques universités et grandes écoles, grâce au MESRS suite aux accords signés avec des partenaires étrangers avec pour objectif de mettre en place des programmes de formation afin d'initier des étudiants, en fin de cycle, à la création d'entreprise et au management. En effet, depuis 2010, les programmes Injaz El Djazair (une filiale de Injaz El Arab, une ONG qui s'adresse aux jeunes des 14 pays du MENA) et la FIE (Filière ingénieur-entreprendre, de l'Institut national des sciences appliquées-INSA de Lyon), pour ne citer que ces deux programmes car les plus en vue, ont pu regrouper plusieurs universités (32 pour Injaz), grandes écoles (9 pour la FIE) et des chefs d'entreprise de renom autour d'un intérêt commun qui est celui d'imprégner l'étudiant algérien d'une culture entrepreneuriale. Ce qui lui permettra, suite à la formation, d'acquérir des compétences transversales nécessaires pour une meilleure appréhension du secteur économique et professionnel avec possibilité d'être un acteur créateur de richesses et d'emplois. Par ce biais, l'Université algérienne élargit ses prérogatives en étant pourvoyeuse de compétences pouvant s'insérer dans le plan d'économie de croissance, établi par l'Etat, qui inscrirait l'Algérie dans le giron des pays émergeants en 2019.
Ces programmes qui ont permis la formation de plusieurs centaines de jeunes étudiants (6 800 étudiants pour Injaz depuis 2010 et environ 400 étudiants pour la FIE depuis 2012) devraient faire l'objet d'un essaimage à travers tout le territoire national afin d'inculquer la culture entrepreneuriale et managériale nécessaire à l'essor de notre économie qui est en passe de vivre les plus durs moments de son histoire.
Des modèles inspirants en termes de collaboration Université-Entreprise...
Par ailleurs, des modèles de collaboration, qui permettent de faire travailler les compétences universitaires avec les acteurs économiques, existent dans des pays développés ou en voie de développement. Un modèle qu'on peut citer en exemple, parmi d'autres, est celui de notre partenaire français représenté par l'université de Lyon (UdL).
En effet, cette dernière regroupe plusieurs universités, écoles, instituts et centres de recherche, au nombre de 12, afin de créer une synergie coopérative dans différents domaines. L'UdL contribue, de cette façon, au renouvellement du tissu industriel de sa région et est devenue un levier en termes d'impact économique. Toute sa composante travaille à la création et à la consolidation d'un véritable écosystème d'innovation multipliant les interactions entre les différents acteurs du campus : laboratoires académiques, industriels, start-up, étudiants.
Par ailleurs, l'UdL porte, prioritairement, tous ses efforts sur l'insertion professionnelle des docteurs et doctorants en déployant des dispositifs favorisant leur embauche en entreprise. Parmi ces dispositifs, «Doctor'Entreprise» permet, par exemple, à ces dernières de recruter un doctorant dans le cadre de sa thèse en collaboration avec un laboratoire de recherche public.
Le doctorant mène un projet de recherche dédié à une problématique posée par l'entreprise sur des enjeux stratégiques et innovants. Une mutualisation de financement (UdL-Entreprise concernée) permet d'octroyer une bourse au doctorant durant les 3 années. Un autre dispositif phare de l'UdL est celui de «Docteur-Conseil» où les entreprises confient à un jeune docteur, fraîchement diplômé, une mission à forte valeur ajoutée dans le domaine de l'innovation en signant un contrat de travail de six mois minimum et en versant à son jeune cadre un salaire convenable en échange d'une subvention forfaitaire qui représente 50% de l'ensemble des salaires attribués durant les 6 mois. Bien sûr, ce dispositif est encouragé par le Medef (l'équivalent de notre FCE : Forum des chefs d'entreprise) qui accompagne et met en relation les entreprises voulant augmenter leur potentiel d'innovation et améliorer un domaine de compétence, avec les laboratoires de recherche. D'ailleurs, le Medef, partie prenante de ce dispositif, se charge lui-même de la diffusion des offres établies par les entreprises concernées auprès des étudiants.
Il va sans dire qu'il existe, aussi, d'autres dispositifs mis en place pour sensibiliser les étudiants, inscrits en deuxième cycle, à l'entrepreneuriat et les amener jusqu'à la création d'entreprises. En guise de conclusion, il est important de dire que l'université algérienne, au même titre que les institutions et organismes de l'Etat, se doit d'apporter son concours à l'effort national. Elle représente un des leviers déterminants dans la crise économique qui s'annonce avec acuité, et ce, en mettant en action sa matière grise au service de la nation. L'université doit être un moteur dans la production du savoir et surtout du savoir-faire applicable dans le monde économique, et ce, grâce à des passerelles facilitant la collaboration. Ces passerelles devraient, d'ailleurs, s'inscrire dans un cadre que déterminerait le législateur sur la base d'une réalité nationale et que devrait veiller à son respect l'exécutif dans toute sa composante (MESRS, Université, Entreprises). L'Université contribuera, ainsi, à une meilleure productivité de nos entreprises pour atteindre l'autosuffisance, dans un premier temps, et l'exportation hors hydrocarbures à un niveau rassurant, dans un second temps. Ce qui permettra à l'Algérie de retrouver sa place dans une économique mondiale difficilement accessible.
A. L.
* Maître de conférences à l'ENSV. Gestionnaire de plusieurs programmes d'entrepreneuriat.
(1) El.Djazair.com, avril 2015 ; N°85.
(2) Barti H., Relations entreprise-université, une chimère ?, Le Quotidien d'Oran (22 juin 2011).


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