Par Rachid Grim, politologue La présente étude est une reprise — mise à jour — d'un article paru en avril 2007 dans le blog de l'auteur «problemesalgeriens.blogspot.com», sous le titre de Algérie : choc des générations et système scolaire bloqué. Les problèmes décrits à l'époque sont aujourd'hui encore d'actualité. Rien de vraiment fondamental n'a changé, sinon cet immense espoir mis dans l'activité et la combativité de la nouvelle ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit, une vraie spécialiste des problèmes d'éducation, mais surtout femme de cœur et de conviction, décidée à affronter – et, espérons-le, à vaincre – tous ceux, et ils sont une multitude cachée dans et en dehors des rouages de l'Etat et des partis politiques, qui militent pour le maintien en l'état d'une école hors normes, basée sur la négation de l'universalité et de la modernité. Une école créatrice de générations entières de «citoyens à la tête ni bien faite ni bien pleine» dont la seule qualité est leur attachement aux «thawabet », ces constantes créées et entretenues par le système politique en place depuis l'indépendance, pour les maintenir dans un état de sous-développement intellectuel, qui les rend plus faciles à manipuler. Benghebrit a été nommée, à la surprise générale, en 2014 en qualité de ministre de l'Education nationale avec pour mission de mettre un terme à la dérive, déjà ancienne, de l'école algérienne et de la remettre sur les rails de la modernité et du rationalisme abandonnés depuis le milieu des années soixante-dix. Depuis, elle s'est mise à l'œuvre, déclarant ouvertement ses objectifs iconoclastes par rapport à la situation du système éducatif tel qu'il existe et en s'affrontant durement à tous ceux qui cherchent le statu quo et qui font tout pour la faire trébucher (y compris les nombreux syndicats qui ont pris l'école en otage pour maintenir et développer les avantages matériels qu'ils ont conquis grâce à de longues grèves illégitimes, qui ont contribué très fortement à faire chuter le niveau des élèves). S ans parler de la sale guerre de positions que lui ont déclarée tous les tenants de l'immobilisme et de l'idéologie islamiste qui, tous les jours que Dieu fait, tonnent contre elle à partir des minbars et des tribunes mises à leur disposition, pour tenter de la disqualifier en la traitant, pour les uns de juive, et pour les autres, d'ennemie de la langue arabe classique et d'ennemie de l'islam. Sans chercher à entrer dans une polémique stérile avec les défenseurs du modèle de développement économique et social choisi par les pouvoirs publics depuis le début de la décennie quatre-vingt-dix, il nous paraît évident que l'Algérie est très mal engagée dans le chemin qui doit la mener au développement, à la modernité et à l'universalité. Son avenir est très largement compromis par la faute d'un système scolaire et de formation, adopté au milieu des années soixante-dix, vampirisé par une idéologie qui a les yeux rivés sur un passé idéalisé à outrance et qui n'a d'autre finalité que de produire des têtes bien pleines (de connaissances sélectionnées de manière à ne rien remettre en cause du système de gouvernance mis en place depuis l'indépendance) plutôt que des têtes bien faites (trop dangereuses pour la pérennité du système). L'école algérienne actuelle, ainsi que ses prolongements naturels que sont l'université et la formation professionnelle, sont le fruit de la réforme du système scolaire démarrée en 1976 sous le vocable d'école fondamentale ; ils en portent encore les stigmates, malgré les quelques replâtrages introduits au cours des deux dernières décennies, pour tenter de rattraper partiellement une modernité qui a fui le pays. Les cadres supérieurs produits par l'université algérienne et tous ses appendices que sont les grandes écoles et les instituts depuis cette date fatidique sont censés être aujourd'hui aux commandes de toutes les institutions et entreprises du pays. Il n'en est rien, pour la raison très simple que le système scolaire en place a été incapable de mettre sur le marché du travail les compétences nécessaires à une gestion moderne et efficace des organisations nationales, tous types et secteurs confondus. L'Algérie, ses entreprises, tout comme ses différentes institutions, devraient être gérées aujourd'hui dans leur grande majorité par les deux ou trois générations qui ont été au bout des cycles scolaires de l'école fondamentale. La première promotion de cette école a actuellement autour de quarante-cinq ans, c'est-à-dire un âge déjà assez avancé pour accéder aux postes de haute responsabilité dans les différentes organisations nationales. L'âge idéal étant de trente à trente-cinq ans, âge ouvert aux innovations et aux décisions hardies et courageuses. Or, une analyse rapide de l'encadrement des entreprises, institutions ou autres organismes nationaux montre que cette génération est restée en marge de la haute responsabilité. Les seuls postes d'encadrement qui reviennent à cette génération sont des postes subalternes n'exigeant pas un très haut niveau de compétence managériale. Et, quand par miracle quelques quinquagénaires sont aux manettes de grandes entreprises, de grandes structures ministérielles ou de wilayas, soit c'est parce qu'ils font partie de clans du pouvoir qui les imposent, soit, plus rarement, parce qu'ils sont membres de familles d'intellectuels qui ont investi beaucoup de temps et d'argent pour éduquer leurs enfants en dehors ou à côté de l'école publique algérienne. Ceux qui ont eu la chance de faire des études supérieures à l'étranger, et qui y ont acquis des compétences techniques ou managériales, sont le plus souvent perdus pour leur pays d'origine, ou au mieux, viennent y travailler quelque temps comme «expatriés» pour le compte d'entreprises étrangères. La faute revient d'abord au lamentable échec de l'imposition, sur des seules bases politiques, de la langue arabe comme unique langue d'enseignement et de travail qui a déstabilisé, et continue encore de le faire, des générations entières d'écoliers, de lycéens, d'étudiants et de stagiaires ballottés entre un enseignement primaire et secondaire dispensé en langue arabe et un enseignement supérieur et professionnel dominé par le français. La conséquence directe en a été une chute vertigineuse du niveau d'ensemble de l'enseignement qui est resté à la traîne de l'évolution mondiale. L'école algérienne a perdu, en l'espace de deux décennies, sa capacité antérieure à former une élite de haut niveau capable de prendre en main les destinées du pays et de le faire évoluer au même rythme que le reste du monde. Et plus le temps passera et plus les générations victimes de l'école fondamentale et de ses avatars des années quatre-vingt-dix et deux mille arriveront à maturité sans avoir acquis les capacités scientifiques, techniques et même comportementales qui peuvent leur permettre d'occuper les postes de direction qui leur reviennent de droit. Et ce n'est pas cette instruction de l'actuel Premier ministre qui consiste à mettre à la retraite tous les cadres (moyens et supérieurs) qui ont atteint l'âge légal de soixante ans, pour laisser «la place aux jeunes» qui réglera le grave problème de relève qui se pose de manière tellement urgente. La plupart des «vieux» mis à la retraite n'ont toujours pas de remplaçants compétents et bien formés. Si on n'y prend pas garde, et si rien n'est fait pour infléchir l'effet dévastateur de cette école, le pays se retrouvera sans élite pour le manager. Il faudra alors se contenter de ce qui existe, c'est-à-dire une «élite» qui est incapable d'acquérir les compétences voulues pour bien gérer les organismes qui lui seront confiés et dont le résultat inéluctable sera une stagnation, puis un recul social, mortels pour le pays. Soit, et c'est tout aussi dangereux, se résoudre à «importer» les compétences pour gérer le pays, de la même manière qu'on importe des équipements industriels ou des produits manufacturés. Parce que même les «vieux» qui un temps constituaient une solution acceptable, à condition qu'une relève soit formée entretemps pour leur succéder, sont en train d'abandonner le bateau parce que trop âgés pour supporter indéfiniment la fatigue de postes éminemment stressants, soit sont en train de disparaître physiquement, fauchés par la mort. Un système scolaire à l'origine d'un conflit de générations La question se pose de savoir si les cadres sortis des gouffres de l'école fondamentale, laquelle s'est attachée à former des têtes bien pleines mais mal faites, sont en mesure d'accompagner le développement parallèle des nouvelles technologies et des compétences managériales. Il est permis d'en douter, tant les approches sont différentes, pour ne pas dire antinomiques. L'évolution du monde moderne est fille de la rationalité et de la science. L'école algérienne en est l'ennemie. Les Etats modernes ont su adapter leur système scolaire aux réalités évolutives du monde ; l'Algérie et son école ont pour seule référence un passé nostalgique, figé dans les grandes heures de gloire des dynasties omeyyade, abbasside, ottomane et de l'Andalousie arabe. Avec l'apparition et le développement de l'islamisme conquérant, elles se sont fixé pour nouvel idéal le retour aux «vraies valeurs», celles qui avaient cours au sein de la seule société véritablement idéale qui a été fondée à Médine par le Prophète et les quatre premiers califes. Les écoles modernes regardent résolument vers l'avenir et s'adaptent en permanence aux évolutions du monde dans lequel elles activent, tandis que l'école algérienne continue obstinément de regarder vers le passé, en ignorant l'avenir, tout comme le présent d'ailleurs. La seule chose que l'école algérienne et la société qui en est issue acceptent de la modernité, c'est sa technologie ; mais elle refuse toute la culture qui en est à l'origine et dans laquelle elle baigne ; elle refuse aussi la science qui en est le vecteur. Les graves événements des dernières décennies qui ont vu l'avènement du mouvement terroriste islamiste mondial a montré à quel point les militants du retour à la société idéale sont des adeptes de la maîtrise des applications des technologies modernes : tant qu'elles peuvent participer à servir leurs desseins, les technologies modernes sont les bienvenues. Elles doivent être totalement maîtrisées pour pouvoir les utiliser pour l'atteinte des objectifs qu'ils se sont tracés. Il est très fortement recommandé au système scolaire de les enseigner, ou plutôt d'enseigner la manière d'en maîtriser les applications. Les apprenants des écoles proches de l'école algérienne (il y en a malheureusement beaucoup dans les pays du monde arabe et islamique) peuvent être, et ils le démontrent en permanence, d'excellents utilisateurs des technologies modernes ; mais ils sont incapables de les faire évoluer ou de les adapter à leur propre réalité. Il n'y a pratiquement aucun domaine des TIC dont les générations issues de l'école fondamentale algérienne, celles qui ont entre vingt et quarante ans aujourd'hui, ne maîtrisent pas les applications : informatique et toutes les technologies qui en sont issues, internet, robotique, téléphonie mobile, etc. Mais c'est toute une autre affaire que d'entrer dans les logiques scientifiques qui sont à l'origine de la révolution des TIC et de participer à leur développement et à leur évolution. L'Algérien, et tous ceux qui ont opté pour le même type de système scolaire, sont d'excellents pirates informatiques, d'excellents copieurs, mais de piètres inventeurs. Ce n'est que quand il s'agit d'appliquer des recettes que les produits de l'école fondamentale sont imbattables. Le système scolaire algérien, comme l'avait si bien décrit Mme Malika Greffou, est de type pavlovien ; c'est-à-dire qu'il reproduit à l'infini des recettes toutes prêtes, censées s'adapter à toutes les circonstances. Mais dès que les conditions d'application diffèrent de celles apprises en milieu scolaire, rien ne va plus : la personne se trouve totalement inapte à régler les problèmes posés avec des données différentes de celles apprises à l'école ou à l'université. La responsabilité des anciennes générations dans la situation actuelle Très souvent, les jeunes générations reprochent, avec raison d'ailleurs, aux générations passées, celles qui ont bénéficié d'une formation de bon niveau (avant l'école fondamentale), d'être à l'origine du gâchis actuel. Elles les accusent d'avoir été les complices volontaires ou forcées de ceux qui ont mis sur pied le système politico-social qui a mené le pays à la ruine. Par conviction ou par lâcheté, elles ont contribué à la consolidation de ce système. Parfois même, elles ont agi avec un zèle incompréhensible pour servir une cause dont elles connaissaient par avance les résultats désastreux pour le pays. C'est encore le cas quand il s'est agi, au nom d'une efficacité économique toute théorique, de détruire un outil industriel mis en place au prix d'efforts et de difficultés innombrables, sous le fallacieux prétexte de «restructuration organique des entreprises». Les cadres algériens de l'époque, qui pourtant détenaient de très solides compétences acquises à l'université et dans des instituts de formation techniques d'un très haut niveau, consolidées par une riche expérience de terrain acquise au contact d'une expertise internationale présente en force dans le pays, avaient assisté silencieux, quand ils n'y ont pas participé avec zèle, à la destruction de vrais fleurons de l'industrie algérienne. L'Algérie qui avait alors un taux de croissance économique très élevé est très rapidement retombée au niveau des pays les plus pauvres. Cette génération de cadres de haut niveau a occupé des postes réellement stratégiques dans tous les domaines de l'activité sociale. Elle n'a pourtant jamais eu accès aux véritables postes de pouvoir. Ceux-là étaient réservés aux membres de la famille révolutionnaire (que l'on appelait pas encore comme cela à l'époque) qui seuls avaient le privilège, au nom de leur participation, réelle ou supposée, à la guerre de Libération nationale, de diriger le pays. Mais à partir des postes stratégiques qu'ils occupaient alors, les cadres algériens avaient grandement participé à mettre en place et à développer toutes les organisations qui font un Etat : institutions, administrations et entreprises de toutes sortes. A partir du début des années quatre-vingts, cette génération de cadres a pourtant failli à sa mission de défense des intérêts supérieurs de la nation, par la faute d'un système politique qui l'a marginalisée : pour être en odeur de sainteté et bénéficier d'un poste de responsabilité dans n'importe quel organisme d'Etat, il fallait, au nom du fameux article 120 des statuts du parti, intégrer les rangs du FLN et adopter son idéologie rétrograde. Les cadres qui ont refusé le deal ont été, soit simplement marginalisés quand ils ont eu la «sagesse» de rester silencieux, soit traités de contre-révolutionnaires et pourchassés par l'appareil répressif, quand ils ont déclaré trop haut leur opposition au système. Au cours des années quatre-vingt-dix, cette génération a repris les rênes du management des entreprises et des autres institutions pour les maintenir en vie, malgré une situation politique et sécuritaire réellement désastreuse. Mais même pendant cette décennie de terreur, les cadres algériens ont fait l'objet d'une véritable chasse aux sorcières qui les a empêchés d'exprimer pleinement leurs compétences. Ils devaient faire profil bas et laisser l'appareil économique public aller à sa perte. Toute velléité de révolte était judiciairement réprimée au nom du concept inique de mauvaise gestion. Aujourd'hui encore, la génération d'avant l'école fondamentale (ceux qui sont encore physiquement aptes), qui a compris la nécessité de continuer de se former et de ne pas perdre le contact avec l'expertise internationale, a réussi à garder intactes les solides compétences professionnelles qu'elle a acquises. Ces compétences, elle les a mises au service de l'ouverture économique, en intégrant les grands groupes internationaux qui ont fait une entrée remarquée dans le pays, les grands groupes privés qui se sont développés ou les entreprises qu'elles ont créées. C'est encore cette génération qui est majoritairement aux postes de commande des grandes entreprises, administrations et institutions publiques mais qui doit rapidement céder la place, quand elle ne l'a pas encore fait. Les générations issues de l'école fondamentale se caractérisent, quant à elles, par une parfaite indifférence par rapport aux effets de la mondialisation galopante. Elles ne sont intéressées que par l'effet gadget des technologies modernes (smartphones et tablettes de dernière génération, internet pour les loisirs, informatique embarquée, équipements connectés, etc.) et non pas par les sciences qui en sont à l'origine. L'acquisition de compétences nouvelles et leur utilisation dans le monde du travail ne figurent pas parmi leurs priorités. Il y a bien sûr des exceptions individuelles au sein de ces générations, qui ont fait montre d'énormes capacités pour apprendre et appliquer les nouvelles règles issues de l'arrivée massive des TIC. Ces exceptions, ce sont surtout à l'étranger qu'elles ont pu se révéler. Elles ne sont là que pour confirmer la règle qui veut qu'un jeune Algérien mis dans de bonnes conditions peut être aussi brillant que son homologue européen, américain ou asiatique. Ceux qui sont sortis du lot commun aussi bien en Algérie qu'à l'étranger sont ceux qui ont bénéficié d'une rente de situation (aisance financière ayant permis de sortir, en payant, du système éducatif national ; bourses à l'étranger pour suivre des études ; ...). Le reste, c'est-à-dire l'immense majorité issue de «l'Algérie d'en bas», végète le plus souvent dans des postes subalternes, sans avenir professionnel et sans aucune chance d'évolution, tant ses horizons sont bouchés. Les postes qu'ils occupent sont en fait les seuls qui entrent dans leurs compétences, celles que leur a données un système éducatif et de formation totalement bloqué et inadapté aux réalités du terrain politique, économique et culturel qui, lui, avance inéluctablement vers d'autres horizons. S'il y a lieu de parler de générations sacrifiées, ce sont de celles-là qu'il s'agit ; ainsi que de toutes celles qui suivront, jusqu'à ce que les pouvoirs publics se décident de réformer de fond en comble le système éducatif. Pourquoi en est-on arrivé à ce point de déliquescence d'un système scolaire, universitaire et de formation professionnelle qui faisait jadis l'orgueil du pays ? L'université algérienne, à travers, par exemple, ses facultés des sciences humaines, sciences sociales et des sciences médicales mettaient sur le marché du travail des cadres de très haut niveau, dont les compétences étaient très fortement recherchées. Les diplômes décernés par ces facultés étaient reconnus internationalement ; un très grand nombre de ces cadres a pu faire d'excellentes études post-universitaires dans les pays d'Europe et même d'Amérique du Nord. Le nombre de médecins algériens, issus de cette université qui se sont installés dans les pays européens (particulièrement en France, mais pas seulement) où ils sont très appréciés, est incalculable. Il en est de même pour d'autres filières universitaires, y compris technologiques, qui ont aussi très fortement alimenté le flux migratoire vers les pays développés qui appréciaient ces compétences élevées, qui ne leur ont rien coûté. Les seules filières du système de formation algérien actuel qui ont encore du succès dans les pays d'immigration sont les filières très techniques, telles que l'informatique. Ce que ces pays recherchent en Algérie et dans les pays qui ont adopté le même système de formation, ce sont des techniciens capables d'appliquer les technologies modernes à base d'informatique. Un système éducatif complètement bloqué Nous avons déjà dit que l'école algérienne excelle quand il s'agit de formations qui ont pour seul objectif de donner les recettes d'application et d'utilisation des technologies modernes. Elle est même capable de transformer les étudiants et autres apprenants en de parfaits «pirates informatiques» capables de casser n'importe quel système de verrouillage complexe. Mais elle ne peut pas aller au-delà et produire des cadres et chercheurs capables de participer à faire évoluer vers d'autres horizons les technologies qu'ils utilisent. Tout cela est le résultat de l'introduction, à très forte dose, de l'idéologie dans le système éducatif national. Cette idéologie – à base de nationalisme rétrograde et d'islamisme décadent — a pris le dessus sur la pédagogie, la rationalité et la science. Tout cela se fait au nom de la défense des constantes nationales : participation à la guerre d'indépendance, arabité et islamité, qui sont les fondements d'un nationalisme étriqué, gardien des seuls intérêts d'une «famille révolutionnaire» aux aguets. Aujourd'hui on peut voir et quantifier les résultats catastrophiques de cette école algérienne, otage de l'idéologie et des tenants d'une arabisation et d'une islamisation tous azimuts de la société. C'est cette école que la nouvelle ministre de l'Education nationale est chargée de réformer et de remettre aux normes de l'universalité et de la modernité. C'est une école qui a été «inventée» en réaction à «l'occidentalisation rampante» de la société algérienne, dangereuse pour les «constantes nationales» et pour les intérêts des tenants du système, bénéficiaires uniques de la rente. Il s'agissait de remplacer une génération totalement acquise à la modernité, synonyme pour eux d'occidentalisation et aussi, et surtout, de «francisation» par une autre qui sera formée selon les seuls canons acceptables, à savoir les «thawabit» (constantes). L'objectif recherché était d'éliminer des hautes sphères de l'ensemble des organisations nationales (institutions, administrations et entreprises publiques) toutes ces générations qui se sont frottées à «l'école française » soupçonnées d'être les chevaux de Troie du maintien de la domination française ; on les a même accusées d'en être la «cinquième colonne». Pour les chasser des postes qu'elles occupaient, les tenants du système ont proclamé la suprématie de la langue arabe sur toutes les autres. Elles ont même légiféré pour rendre obligatoire, contre toute logique, l'utilisation générale de la langue arabe dans tous les secteurs, à commencer par l'enseignement, y compris scientifique et technique. Le résultat est là : plusieurs générations d'écoliers, de collégiens et de lycéens «formés » en langue arabe puis laissés livrés à eux-mêmes au sein des universités scientifiques et techniques et de la formation professionnelle qui ne peuvent enseigner qu'en langue française. Cela aurait pu être un bilinguisme enrichissant, c'est devenu un «analphabétisme bilingue», tant les apprenants (et souvent, les enseignants) ne maîtrisent aucune des deux langues. On peut ouvrir ici une petite parenthèse pour parler d'une mesure «sociale» prise dans le seul but de débarrasser le monde du travail de ses cadres francisants qui barraient la voie des hautes responsabilités aux cadres arabisés : la retraite sans condition d'âge. Outre que cette mesure, prise officiellement pour lutter contre le chômage des jeunes, est une ineptie économique qui est à l'origine des difficultés financières de la Caisse nationale des retraites, elle n'a ni créé d'emplois ni permis à la génération des cadres arabisés (et monolingues) d'occuper efficacement les postes de responsabilité qui leur ont été confiés. Tous les cadres qui ont pris leur retraite sans condition d'âge sont restés à leurs postes de travail (ou ont rejoint d'autres postes), par manque de compétences réelles capables de les remplacer. Mais même cet échec monumental n'avait pas poussé les décideurs à lancer une vraie réforme de l'enseignement pour éviter de laisser le pays entre des mains totalement incompétentes. Que peut-il sortir de positif d'un tel système scolaire ? Rien. Le résultat est connu. Des générations entières sacrifiées aux «constantes nationales». Une Histoire totalement falsifiée pour faire passer les idéesforces de la «famille révolutionnaire» ; une utilisation forcenée de l'islam, lui-même falsifié, pour justifier une politique de déculturation de tout un peuple au nom d'un passé «arabo-islamique» glorieux, dont on omet de donner les raisons internes objectives de sa décadence. Les «sciences islamiques» (on se demande d'où est sortie cette ineptie sémantique) ont pris le dessus sur tout le reste au sein du système éducatif. Fatalement, ce qui devait arriver arriva : l'école a formé une armée de répétiteurs mais aucun esprit cartésien. La curiosité intellectuelle qui est à la base de la recherche scientifique a quitté les bancs de l'école et de l'université, pour laisser la place à la recherche effrénée du résultat à n'importe quel prix et du diplôme. Qu'importe si les connaissances acquises sont mal assimilées et inexploitables dans le monde du travail : le diplôme délivré vaut compétence. R. G.