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L'entretien de la semaine Professeur Nouria Benyakhlef, Spécialiste en psychiatrie, EHS Drid-Hocine, au SoirMagazine :
«Souvent l'enfant ne montre pas son désarroi»
Professeur Nouria Benyakhlef explique dans cet entretien les différentes formes de la violence conjugale et ses répercussions sur l'enfant. Victime indirecte, il souffre pour la construction de sa personnalité. Soirmagazine : Comment définit-on la violence conjugale? Pr Benyakhlef : En fait, la violence conjugale est un rapport de force où l'homme, dans la très grande majorité des cas, exerce des pressions sur sa partenaire, dans le but de la contrôler et de s'assurer qu'elle ne le quittera pas. La violence conjugale ne résulte pas d'une perte de contrôle, mais constitue, au contraire, un moyen choisi pour dominer l'autre personne et affirmer son pouvoir sur elle. Peut-on parler de plusieurs formes de violence ? Oui, la violence s'exerce au quotidien et se présente sous différentes formes : verbale, psychologique, physique, sexuelle, ainsi que sur le plan économique par des actes de domination. La violence psychologique est la plus subtile. C'est humilier, rabaisser, dévaloriser, niaiser, contrôler, dominer, ou isoler l'autre, faire des menaces, imposer à l'autre son point de vue et/ou ses goûts, valeurs, désirs, porter atteinte aux personnes qui lui sont chères, lui faire des reproches dans le but de détruire sa confiance, le blesser moralement en insistant sur ses points faibles, rejeter sur l'autre la responsabilité de ses paroles, de ses gestes ou de ses attitudes, etc. La violence verbale est la plus banalisée. C'est injurier, insulter, crier des noms, hurler des ordres, lui dire des paroles vulgaires, etc. Il est difficile de dissocier violence verbale et violence psychologique, toutes deux ayant des effets destructeurs sur l'estime de soi et la confiance en soi des personnes qui en sont victimes. La violence physique est la plus connue et la plus médiatisée. C'est tout contact physique avec l'intention de dominer, d'agresser ou de faire peur à l'autre. Gifler, bousculer, donner un coup de poing, un coup de pied, frapper avec un objet, retenir l'autre contre son gré, le saisir par les bras, le cou ou toute autre partie du corps, etc. La violence sexuelle est la plus tabou et la plus cachée. C'est attacher l'autre contre son gré afin d'obtenir un rapport sexuel, la pénétrer de force, l'injurier, l'humilier pendant un rapport sexuel, la prendre de force (viol conjugal), la brutaliser pendant un rapport sexuel, la harceler sexuellement, la forcer d'agir selon ses fantasmes, refuser à l'autre des contacts sexuels dans le but de punir ou de contrôler tout geste à connotation sexuelle sans le consentement de l'autre, etc. La violence économique est la plus méconnue. C'est empêcher l'autre d'avoir son propre compte bancaire, faire en sorte qu'elle n'ait jamais d'argent de poche, la priver de toutes sources de revenus, encaisser les chèques personnels de sa conjointe sans son accord, contrôler le budget familial pour que la conjointe ne connaisse pas les avoirs réels, obliger sa conjointe à s'endetter, etc. Quel impact a la violence conjugale sur la famille ? Les violences conjugales, que les enfants y soient exposés de façon directe (témoins des scènes et/ou victime eux aussi) ou indirecte (témoins des marques physiques et de la détresse du parent victime), ont toujours un impact considérable sur eux. Même si les violences ne sont pas dirigées contre leur personne, elles constituent un réel traumatisme. Souvent l'enfant ne montre pas son désarroi (50 à 60 % des enfants ne développent pas de symptômes) dans le but d'épargner à son parent un surcroît de soucis, mais dans tous les cas, il souffre de la situation et est terriblement fragilisé par l'angoisse qu'elle génère. L'enfant, même petit, ressent le stress de sa mère, ce qui influe sur la sécrétion de cortisol, hormone toxique quand elle est produite à long terme. Il est tout le temps dans une situation d'hypervigilance ce qui a un impact sur le développement des structures du cerveau. Son environnement familial est gravement perturbé. Dans ce contexte, ses deux parents, qui devraient être des soutiens indéfectibles, se révèlent incapables d'être des piliers sur lesquels il peut s'appuyer. Il ne trouve plus la sécurité dont il a besoin et n'a pas non plus d'exemples valables pour se construire. En plus, il est obligé de se soumettre à l'autorité d'un adulte qu'il ne peut pas, dans ces conditions, respecter, lequel, en imposant sa loi personnelle par la violence, transgresse la loi sociale. Dans 70 à 85 % des cas de violences conjugales, l'enfant y est exposé. Le niveau d'exposition peut varier : 1) Prénatale : conséquences sur la santé mentale des mères 2) Intervention : l'enfant essaie de protéger sa mère, il est impliqué et partie prenante 3) Victimisation : il attire les fougues sur lui 4) Participation : l'enfant est instrumentalisé pour passer des messages ou blesser l'autre 5) Témoin oculaire 6) Témoin auditif 7) Observation des conséquences de l'agression (blessures, venue de l'ambulance ou de la police...) 8) Expérimentation des changements dans son environnement 9) Entendre parler des scènes 10) Ne pas être au courant On se focalise toujours sur les mamans violentées. Mais qu'en est-il des conséquences sur les enfants ? Précédemment, j'ai exposé les différents niveaux d'exposition de l'enfant. Pour les conséquences, l'ensemble du développement de l'enfant est affecté à court, moyen et long terme : - sa santé physique ; - son développement cognitif (langage, performances scolaires), émotionnel et comportemental (comportements à risque, délinquance, comportements inappropriés) ; - sa construction identitaire ; - syndromes post-traumatiques : des cauchemars, une anxiété accrue, peurs, reviviscence, rumination (est-ce que maman va bien ?), hypervigilance ; - repli sur soi ; - une perturbation de sa capacité à entrer en relation au cours de sa vie d'adulte (atteinte à la confiance) ; - des sentiments dissociatifs et des pensées obsédantes qui dénotent une mauvaise gestion des émotions ; - des perturbations des relations intimes et le risque accru de vivre également la violence dans sa vie de couple. On constate une différence de genre, c'est-à-dire que la souffrance ne s'exprime pas de la même manière chez les filles et les garçons. Chez les garçons, les problèmes sont externalisés avec un sentiment de menace et se manifestent par de la colère et de l'agressivité. Chez les filles, généralement, ils sont internalisés avec un sentiment de blâme (honte, culpabilité) et une tendance à s'attribuer la responsabilité du problème, à prendre la faute sur elles. Que faire pour aider les enfants à se reconstruire ? Toute situation d'exposition à la violence conjugale n'implique pas forcément une prise en charge de l'enfant. La réponse doit être adaptée à la gravité de la situation et son impact sur l'enfant. En outre, se pose la question du traitement à préconiser : thérapie ou non ? Quelle thérapie, individuelle ou familiale ? Ateliers d'expression ? Groupes de paroles ? L'accompagnement thérapeutique de l'enfant se caractérise par sa durée, bien plus courte que la psychothérapie d'un adulte. Il y a une volonté de voir l'enfant aller mieux et de le faire sortir de cet accompagnement le plus rapidement possible. Lors de la thérapie, il est important de restructurer la vision de l'enfant avec le papa d'une part, la maman d'autre part, et enfin l'enfant. Il est important de renvoyer à l'enfant des représentations parentales valorisantes tout en faisant la différence entre le parent idéal et le parent réel. Dans la thérapie, on utilise le jeu comme outil de symbolisation et cela permet, tout en utilisant l'expérience de l'enfant, de donner une autre dimension à la situation. La symbolisation permet également de redéfinir la place de l'enfant, qui n'est pas complice et encore moins coupable.