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L'entretien de la semaine Malika Boudalia, éditrice de livres pour enfants, au soirmagazine :
«Le mouvement est la condition première du développement de l'intelligence»
Malika Boudalia, éditrice de livres pour enfants, explique, en s'appuyant sur des données scientifiques, qu'il ne sert à rien d'envoyer ses enfants à l'école avant l'âge de sept ans. Elle insiste sur le fait qu'«il faut offrir à l'enfant la possibilité de vivre des expériences riches et diversifiées, le laisser agir sans diriger ses actions ; l'autoriser à avoir des initiatives. Il a besoin d'agir sur le monde pour se construire et construire l'image qu'il se fait du monde. Soirmagazine : Certains parents sont pour la scolarisation des enfants avant l'âge requis. D'autres au contraire sont contre. Qu'en pensez-vous? Malika Boudalia : Ce n'est pas une affaire d'opinion. L'école aujourd'hui s'appuie sur des données scientifiques. Scientifiquement, il est prouvé qu'il est dangereux de scolariser les enfants avant l'âge requis. A quel âge un enfant est-il apte à être scolarisé ? A sept ans ou même huit ans. Les élites algériennes du début et milieu du XXe siècle étaient généralement scolarisées à huit ans. Cela signifie qu'on leur laissait le temps de regarder le monde, de le comprendre, d'explorer et découvrir par eux-mêmes le réel, avant d'aborder les apprentissages. Tel était le secret de leur réussite. Les enfants aujourd'hui ont-ils changé par rapport à il y a vingt, trente ans et plus? Peut-on en dire autant des sociétés ? L'enfant est le même. L'éducation a changé. Comparons par exemple la vie quotidienne d'un enfant d'hier avec celle d'un enfant d'aujourd'hui : le premier joue toute la journée, se gère, initie ses jeux, prend des initiatives, décide de ses mouvements, et en fin de journée, bénéficie de l'écoute d'un conte lu ou raconté par un adulte. Le deuxième travaille toute la journe. Il fait des exercices de lecture, écriture, il remplit des livres de parascolaire et des livres de coloriage, ce qui oblige à une posture assise. Il n'a plus de libeté de mouvement. En fin de journée, saturé, il n'est plus disponible à l'écoute d'un un conte. Cet enfant «travailleur» n'a pas eu sa dose d'expérience, de découvertes, d'exploration du monde. Il a été détourné de son enfance par des pièges qui sont les livres parascolaires, cahiers d'exercices et livres de coloriage. La différence de vie des deux enfants est toute la différence entre l'éducation de l'enfant algérien à l'ancienne et l'éducation actuelle. On avait un enfant, «enfant» ; on a aujourd'hui un travailleur. Les enfants ont-ils tous les mêmes aptitudes à la scolarisation ? Deux choses préparent l'enfant à une bonne scolarisation : l'expérience personnelle et la culture. Il faut offrir à l'enfant la possibilité de vivre des expériences riches et diversifiées. Le laisser agir sans diriger ses actions ; l'autoriser à avoir des initiatives. L'enfant a besoin d'agir sur le monde pour se construire et construire l'image qu'il se fait du monde. L'intelligence se développe par la confrontation active de l'enfant avec les objets qui l'entourent. Le mouvement est la condition première du développement de l'intelligence. La posture assise ne favorise pas le développement de l'enfant. Or les exercices de lecture, écriture, coloriage et autres obligent l'enfant de moins de sept ans à cette posture assise, posture néfaste pour son développement. Beaucoup de parents sont convaincus que leurs enfants sont précoces, qu'ils savent lire et écrire avant même de rentrer à l'école et par conséquent il est impératif qu'ils soient scolarisés avant l'âge. Que diriez-vous à ces parents ? Ce n'est pas un exploit que de savoir lire et écrire avant de rentrer à l'école. Le plus important c'est le développement de l'enfant. Développement assuré par l'expérience personnelle de l'enfant. Cette expérience est réduite, restreinte chez les enfants en apprentissage de la lecture avant l'heure. Aussi, il faut s'entendre sur ce qu'on entend par lire. Déchiffrer est une chose, lire véritablement, c'est-à-dire accéder au sens d'un texte, en est une autre. Lire véritablement est une affaire de culture. Un capital culturel solide permet à l'enfant d'accéder au sens d'un texte. Car l'enfant en lisant doit reconnaître sur le papier des mots enregistrés dans sa tête. L'enfant doit donc se constituer un dictionnaire mental avant d'aborder la lecture. Il doit posséder un lexique mental d'au moins 10 000 mots pour être bon lecteur. L'accumulation de mots est un pré-requis à la lecture. Qu'importe l'âge, l'important c'est d'accéder à un bon niveau de lecture. Or les mots sont acquis à travers un environnement culturel riche, par l'écoute de contes, et la mémorisation de poèmes. En matière de lexique, les mots familiers sont des mots que l'enfant entend à une grande fréquence. Il suffit donc d'augmenter la fréquence de mots dits rares, ou complexes pour qu'ils deviennent à leur tour familiers. Ce principe doit être appliqué quotidiennement pour enrichir le vocabulaire des enfants. Aujourd'hui il y a une remise en cause concernant l'âge officiel de la scolarisation. Beaucoup de pays le retardent. Quelles sont les raisons de ce changement ? Pour s'adapter à la mondialisation et passer à une économie fondée sur la connaissance, les pays développés ont dû revoir les objectifs de l'école du XXe siècle et adopter des objectifs nouveaux définis en termes de compétences de base. Je citerai au moins deux de ces compétences de base : - Compétence de communication. - Esprit d'entreprise. Au XXe siècle, les objectifs de l'école étaient lire/écrire. aujourd'hui c'est la maîtrise de la langue qui est mise en avant. Par compétence de communication, on entend : savoir communiquer par le dire, lire et écrire. Lire et écrire sont inclus dans la compétence de communication, mais ne sont pas en première position. La compétence de communication ne s'enseigne pas ; c'est-à-dire qu'il n'existe pas de leçons, ni d'exercices pour construire cette compétence. Elle se construit naturellement. L'enfant s'approprie la langue par l'écoute de contes et de poèmes. On ne peut pas accéder à la lecture à vide. Un bagage culturel est nécessaire avant d'aborder lire/écrire. Après quoi lire/écrire se fait sans douleur, il se fait dans le plaisir. Les pays qui retardent la scolarisation le font pour se donner le temps de développer les différents domaines de compétences. L'approche par compétence, est décidée en réponse aux nouvelles réalités sociales. De même, pour l'esprit d'entreprise. Il est évident que cette compétence ne s'enseigne pas ; elle se construit naturellement. Il suffit de créer autour de l'enfant un environnement riche : un espace où l'enfant peut faire ses expériences sans l'assistance de l'adulte. Le laisser agir sans diriger ses actions, sans l'assister ; le laisser jouer en fait. C'est donc avant sept ans que l'on prépare l'entrepreneur. Reprenons l'exemple de l'enfant d'hier : il avait la chance de pouvoir jouer dans la rue, sans le contrôle de l'adulte. Il gérait totalement sa journée, il explorait l'espace qui l'entourait, il avait un immense champ d'observation. Il initiait ses propres projets sans l'aide de personne. Il construisait ses jouets. A chaque instant, il décidait de ses mouvements et de ses actions. A chaque instant il était obligé de réfléchir, il formulait des idées avant de passer aux actes. Il prenait des risques. C'est exactement ce que l'on entend par esprit d'entreprise. Par «approche par compétences», on a seulement mis un terme sur une réalité préexistante. Qu'en est-il du système scolaire algérien ? La loi d'orientation de l'éducation nationale du 27 janvier 2008 prône l'approche par compétences. Nous avons donc la chance d'avoir un très bon texte de loi qui n'est malheureusement pas appliqué. Il apparaît clairement que ceux qui l'ont rédigé ne sont pas ceux qui l'appliquent. De deux choses l'une : ou les responsables du secteur de l'éducation ne comprennent pas le texte, ou ils refusent de l'appliquer. L'objectif de construction de l'esprit d'entreprise suppose la liberté de mouvement de l'enfant ; or, les responsables chargés d'appliquer la loi d'orientation de 2008 ordonnent que les enfants restent assis bien sages sur une chaise pendant des heures. Quant à l'objectif de compétence de communication, il suppose que l'enfant soit baigné dans un univers culturel très riche avant d'aborder la lecture. Il doit avoir au préalable stocker un lexique complexe. Lexique que l'enfant ne peut acquérir que par l'écoute de contes et la mémorisation de poèmes. Or les responsables de l'éducation chargés d'appliquer la loi d'orientation de 2008 ordonnent fermement que l'enfant ne soit exposé qu'à des mots simples de la vie quotidienne. Il est vrai que la mise en œuvre de l'approche par compétence nécessite un effort d'imagination en matière de mode d'organisation. Il serait si simple de réfléchir à une gestion de l'espace qui permette l'application rigoureuse de la loi 2008. Par exemple aménager des dispositifs externes pour le mouvement et la motricité (cour de récréation) et des des dispositifs internes pour activités en temps de pluie.La cour de récréation est la plus propice au développement de l'esprit d'entreprise. Une organisation par double ou triple vacation permettrait à une partie des enfants d'être en classe d'écoute et de mémorisation de poèmes pour développer la compétence culturelle (ateliers culturels) pendant que le reste des enfants serait en espace libre, cour de récréation ou autres ateliers pour développer les différentes compétences de base énoncées par le texte de la loi d'orientation de 2008.