Par Ahmed HALLI [email protected] Kadhem Essaher est furieux et il l'a exprim� avec �loquence, la semaine derni�re, au Festival de la chanson de Doha. "Ana zaalane kathir" (Je suis tr�s en col�re), a-t-il dit en allongeant les syllabes et en martelant les mots. L'objet du ressentiment de Kadhem n'est autre que la firme Rotana avec laquelle il est sous contrat. Rotana, qui tr�ne au sommet de la pyramide des t�l�visions musicales arabes, diffuse deux cha�nes, l'une consacr�e aux archives musicales et l'autre aux clips. C'est justement un probl�me de clip qui a provoqu� la col�re du chanteur irakien, chantre de l'errance depuis l'occupation de son pays. Son dernier clip Ahibini (Aime-moi) a �t�, en effet, monopolis� par Rotana qui l'a diffus� sur son propre canal � l'exclusion des autres cha�nes satellitaires arabes. De par ses obligations contractuelles, la firme devait remettre des copies du clip � ses concurrents mais elle ne l'a pas fait. Ce n'est pas la premi�re fois, d'ailleurs, que Rotana-TV agit ainsi, a rappel� Kadhem. L'ann�e derni�re, elle s'est engag�e � distribuer Hafiat-alkadameyn( La femme aux pieds nus) mais elle s'est content�e de donner des copies � trois ou quatre stations seulement. "Je n'ai pas envie de p�naliser mon public et mes fans et je me suis charg� moi-m�me de diffuser mes clips sur une plus grande �chelle, a dit Kadhem Essaher. Rotana, c'est beaucoup de promesses et tr�s peu d'actes et de respect des engagements", a-t-il ajout�. Comme on lui demandait s'il envisageait de rompre son contrat avec Rotana, Kadhem, diplomate ou ing�nu, a eu cette r�ponse : ce serait une solution p�nible � cause de l'�mir Walid Ibn Tallal pour qui il a beaucoup de respect et de consid�ration. Le Saoudien Walid Ibn Tallal est le patron de la firme Rotana qui est en quelque sorte la devanture moderne d'un royaume archa�que. C'est ce qui explique comment Rotana peut passer ais�ment de Ruby � Mohamed Abdou. C'est un �clectisme subtilement dos� que seuls les Saoudiens, d�tenteurs du dogme, peuvent pratiquer sans vergogne. Ainsi ne vous �tonnez pas si Rotana interrompt un clip torride de Haifa Wahbi pour vous faire assister � un pr�che enflamm� pour la pri�re du vendredi � M�dine. Pour en revenir � notre ami Kadhem Essahr, il fait preuve d'humilit� aussi lorsque des po�tes, reconnus en tant que tels, contestent le caract�re po�tique de ses chansons. "J'�cris de belles chansons mais j'ai toujours dit que je ne me consacrais � la po�sie qu'apr�s m'�tre lib�r� de mes occupations musicales, r�pond-il fort habilement. Bien s�r, des grincheux pourront toujours pr�tendre que Kadhem Essaher fait montre d'une certaine futilit� en exposant ses d�m�l�s avec Rotana alors que son pays est occup� et livr� � la violence. Ces fanatiques de "la victoire ou la mort…des autres" feignent d'oublier que les simples vers du po�te suffisent � galvaniser les foules mieux que ne le feraient les vocif�rations guerri�res. A contrario, quelques rimes peuvent balayer tous les appels � la haine prof�r�s par de furieux combattants des lignes arri�re. Kadhem Essahr est un artiste et aussi un po�te � temps plein quoi qu'il s'en d�fende. Quand il chante Baghdad, il efface d'une note les rodomontades et la d�bandade des "moudjahidine" de Saddam sous les murs de la capitale irakienne. Que Kadhem chante sa ville et les slogans des nouveaux combattants de la foi s'ab�ment dans la d�rision. Le chanteur irakien dont Mohamed Abdou reconna�t qu'il a des dons sup�rieurs aux siens est le vrai lib�rateur de l'Irak. Il s'interdit de faire de la politique mais il est plus efficace que toutes les divisions irakiennes qui ont �cum� l'Iran et le Kowe�t. Dans le cœur des millions d'Arabes, Kadhem ne laisse pas le moindre interstice � des hommes comme Zarkaoui. Il est tout ce que Zarkaoui et ses semblables ha�ssent et combattent. Lorsque Kadhem Essahr remplit des pages de notes musicales et de belles odes � la gloire des filles de son pays, Zarkaoui noircit le cahier de l'Irak. Il y dessine des gribouillages obsc�nes et le couvre de taches de sang ind�l�biles. Le discours de Zarkaoui et des ses commanditaires me rappelle ce commentaire de Victor Hugo � l'adresse du parti cl�rical. Il disait � peu pr�s ceci :"Si le cerveau de l'humanit� se pr�sentait l� devant vous comme un livre ouvert, vous y feriez des ratures". Au demeurant, Zarkaoui ne conteste pas le tenue d'�lections en Irak au nom de principes politiques mais il proclame, tout comme ses pr�d�cesseurs en Alg�rie, que la d�mocratie est "koffr". Dans un article consacr� au probl�me Zarkaoui, le quotidien libanais En-Nahar avoue sa perplexit� devant le discours du Jordanien de "Al-Qa�da". "Nous aurions admis, lit-on, que Zarkaoui refuse les �lections parce qu'elles se d�roulent sous occupation �trang�re, quoi qu'il n'aurait aucun droit � le faire puisqu'il est de nationalit� jordanienne. Une opposition d'ordre politique aurait �t� mieux comprise puisque telle est la position d'autres factions irakiennes. Mais il rejette les �lections pour deux raisons diff�rentes : d'une part, parce que la d�mocratie est une h�r�sie et que, d'autre part, ces �lections risquent d'amener au pouvoir une majorit� chiite. En fait, souligne En-Nahar, Zarkaoui pousse � une guerre entre chiites et sunnites. Ce que l'Irak a �vit�, en d�pit de tout, durant des si�cles. En agissant ainsi, il rend un pr�cieux service aux Am�ricains qui ont occup� le pays par la force et � leur projet colonial et il accr�dite la th�orie d'un Irak ingouvernable. Sans doute, n'avons-nous que les Zarkaoui que nous m�ritons. C'est ce que pense notre confr�re irakien Abdelkhalek Hussein qui d�nonce la responsabilit� des intellectuels et des m�dias arabes. Il s'insurge notamment contre "la sollicitude du monde arabo-islamique" � l'�gard de Zarkaoui. Les propos incendiaires de Zarkaoui contre la d�mocratie et contre le chiisme sont les m�mes que ceux tenus par des penseurs et des journalistes arabes, avec les formes d'usage, dit-il. Ce que dit Zarkaoui avec cette franchise et cette violence, ajoute-t-il, est le discours que tiennent en priv� la majorit� des intellectuels, des journalistes et des politiciens arabes. C'est le discours qu'ils tiennent, en y mettant plus ou moins les formes, dans les m�dias. Ce discours est envelopp� dans des formules hypocrites et apitoy�es sur le sort du peuple irakien mais il d�note une haine visc�rale contre l'Irak, constate avec amertume notre confr�re. Un autre qui n'est pas content et qui le dit, c'est Tarik Ramadan. Ce bon vieil int�griste avan�ant sous le masque de la d�mocratie n'ira pas en Am�rique, du moins dans l'imm�diat. Le refus de l'administration am�ricaine de lui d�livrer un visa le prive d'un poste d'enseignant dans une universit� am�ricaine. Il est tr�s d��u et il l'exprime dans une lettre ouverte � Bush publi�e dans la presse am�ricaine et reprise par le journal londonien Al- Hayat. De deux choses l'une, ou Tarik Ramadan aime trop les Etats-Unis, ce qui le rend suspect aux yeux du monde arabo-islamique o� Washington ne compte que des ennemis, comme chacun sait. Ou bien il a une id�e derri�re la t�te et un plan pr�cis pour vouloir se rendre aux Etats-Unis. Dans les deux cas, il y a deux bonnes raisons de l'emp�cher de r�aliser son "r�ve am�ricain". Que la gauche europ�enne qui l'a lanc� continue � le g�rer. Elle est parfaite pour ce r�le mis en vogue jadis par de pr�somptueux Troyens. A.H.