Ce jeudi à l'approche du premier barrage de police mis en place au niveau de l'allée qui mène au tribunal militaire qui se situe à Marsa El Kebir, notre véhicule est tout de suite sommé de faire demi-tour nous précisant qu'il s'agit là d'une zone militaire et donc interdite à la presse. Nous expliquons que nous aimerions qu'un responsable au niveau du tribunal militaire nous signifie officiellement ce huis clos puisque nous savions selon nos sources que le procès n'avait pas encore commencé, il était 8h30 du matin. Un officier en civil s'avance et nous lance «des journalistes ? Mais ne filmez rien, allez rejoindre les autres (des journalistes) là-bas dehors au niveau du parking et ne vous approchez pas de l'allée face à vous qui mène au tribunal». Aucun doute, ordre avait été donné avant même l'annonce de la tenue du procès de l'ex-chef de la lutte antiterroriste, le général Hassan, de son vrai nom Abdelkader Aït Ouarabi, que la presse allait être mise à l'écart. Plus précisément encadrée étroitement par des éléments de la Sûreté en civil qui surveillaient chaque fait et geste. Pourtant de là où nous étions, face à nous, un CEM Nouari-Mehdi et un lycée Ben Daoud, nous n'avions vraiment aucun moyen de transgresser le périmètre de sécurité que l'on nous avait désigné comme limite de mouvement envers le tribunal militaire. Contrairement à ce que beaucoup pourraient penser, la présence de la presse (une dizaine de titres) n'était pas si importante en ce jour pourtant unique où l'on jugeait un général ex-chef de la lutte antiterroriste arrêté en août et présenté devant le juge d'instruction du tribunal militaire de Blida avant que son dossier ne soit transféré au tribunal militaire d'Oran. Le général Hassan était accusé de «destruction de documents» et «d'infraction aux consignes». Le procès débute à 9h30 et l'accusé plaide non coupable. Au fil des heures, l'attente devenait de plus en plus pénible, un journaliste qui n'a pas accès à l'information ne peut pas exercer son métier. Aucune information n'avait filtré sur le début ou non du procès. Ce n'est qu'en apercevant les proches du général Hassan sortant du tribunal aux alentours de 9h45 que l'on a pu obtenir les premières informations aussi maigres soient-elles «dès l'ouverture de la séance dirigée par un juge civil et deux assesseurs gradés, après délibération, il a été décidé la tenue du procès à huis clos et les proches du prévenu invités à quitter la salle». Nous n'obtiendrons aucune déclaration de ces derniers sur l'état du général Hassan, mis à part qu'il va bien. Etaient présents pour assurer la défense du prévenu trois avocats Me Mokrane Aït Larbi, Me Khaled Bourayou et Me Ahmed Toufali Tayeb. Puis durant des heures, plus aucune information mis à part le va-et-vient des élèves qui se rendaient à leurs établissements. C'était un jour d'examen et ils étaient bien loin de se soucier de notre présence, ni d'ailleurs de celle inhabituelle du dispositif sécuritaire mis en place aux alentours, entre police, gendarmerie et militaires. Enfin, nous apercevons les trois avocats sortant à pied du tribunal, il était 13h30. Pour les journalistes présents, il n'était pas question de perdre une seconde et vite, on se disperse pour questionner chacun des avocats. Soudain, à ce moment précis, sortis de tous les côtés, des gamins en tabliers âgés à peine de 13 ans commencent à nous entourer et pire à nous caillasser de petits cailloux. Personne ne sera épargné même pas les avocats qui ne comprenaient pas «cet accueil». Les journalistes non plus ne comprenaient pas l'attitude de ces jeunes et surtout ne comprenaient pas l'inaction des gendarmes stationnés à proximité. Tant bien que mal et même en recevant une pierre sur la tête, nous avons dû résister pour pouvoir décrocher quelques détails sur le déroulement du procès. L'on saura que le prévenu a plaidé non coupable. Au sujet de la demande formulée par son confrère en citation de témoin à décharge du général Toufik, Me Bourayou nous dira «mon confrère va joindre sa demande, au fond et seul lui pourra vous en dire plus sur ce sujet». Justement interrogé sur ce sujet Me Aït Larbi était intransigeant «il s'agit d'un procès à huis clos, je n'ai rien à dire». La matinée était consacrée à l'audition du général Hassan. Toujours selon ses avocats, la procédure a été respectée dès le début de l'audience, avec toutefois cette précision «on parle de l'audience pas du dossier». La défense était unanime sur la sérénité avec laquelle l'accusé a répondu lorsqu'il a été interrogé sur les chefs d'inculpation. Ainsi Me Bourayou dira : «Il s'est très bien défendu, très sereinement et avec beaucoup d'arguments, beaucoup d'explications et d'illustrations.» Et Me Toufali d'enchaîner «le général a été à la hauteur de sa réputation, à la hauteur de son grade et de son intégrité». L'après-midi consacrée aux témoignages. Après une pause d'une heure, l'audience a repris et sans pour autant le déclarer officiellement, mis à part que le nombre des témoins était de sept, aucun des avocats n'a dit clairement que le général Toufik ne figurait pas parmi eux. Toutefois, il n'y avait pas de doute, le général Toufik ne s'est pas présenté au procès, selon nos sources il n'a tout simplement pas été convoqué en tant que témoin. Les plus longues heures ont défilé pour les quelques journalistes restés qui tentaient de «suivre» un procès vu de l'extérieur en attendant le verdict. Les avocats de la défense avaient clairement laissé entendre que le tribunal militaire statuerait le jour même sur le sort de leur client. La nuit tombe peu à peu, le froid s'installe, la fatigue également et surtout ce sentiment d'être au mauvais endroit forcé à rester dans cette zone que des journalistes ont fini par surnommer «parking presse». Pour détendre l'atmosphère et passer le temps, un journaliste lance avec humour «au moins on est assuré qu'on ne se fera plus caillasser puisque tous les petits sont à présent chez eux». Effectivement, sur place seule une dizaine de journalistes étaient présents à faire le pied de grue à l'affût d'un signe des avocats, ainsi que la présence du véhicule de la gendarmerie leur faisant face, tandis que celui de la police était stationné plus bas, l'entrée du tribunal toujours aussi bien gardée par des militaires. A 20h30, le verdict tombe : le général Hassan est condamné à 5 de prison ferme. Remarquant un soudain positionnement des gendarmes et un va-et-vient de quelques militaires, on comprend que le procès venait de prendre fin. A 20h30, c'est Me Toufali qui a eu la tâche d'annoncer à la presse le verdict. «Le procureur a demandé la peine de cinq ans et le verdict a confirmé cette peine. Nous avons huit jours pour introduire une cassation. La défense a très bien plaidé et on a touché des points de procédure et des points de fond, mais le tribunal est libre de juger comme il veut et nous, nous sommes libres de faire recours.» Tout en précisant que la défense a eu gain de cause concernant sa requête stipulant que les témoins ne doivent pas parler sous prestation de serment ayant été des subalternes du général Hassan, il ajoute «et c'est ce qui a été fait». Et de conclure : «Heureusement qu'il y a des voies de recours et je peux vous dire qu'à l'annonce du verdict le général Hassan a su être digne et calme.» Amel Bentolba Des avocats sous le choc Le verdict annoncé jeudi soir par le tribunal militaire d'Oran semble avoir choqué ses avocats qui évoquent «une peine très lourde» prononcée contre un général ayant «passé 51 ans au service de l'ANP». Me Bourayou a regretté le fait que son client n'ait pu bénéficier de circonstances atténuantes. «Il a 70 ans, nous-a-t-il déclaré hier par téléphone, c'est un homme malade et il a passé toute une vie au service de la patrie, il est donc regrettable qu'il n'ait pu bénéficier de circonstances atténuantes». La raison ? «probablement pour en faire une exemple», dit-il en rappelant que le général Hassan est un héros de la lutte anti-terroriste. «Personne ne peut le nier, il a d'ailleurs été félicité pour sa bravoure par les plus hautes autorités du pays qui le poursuivent aujourd'hui.» L'opinion publique n'en saura cependant pas plus sur le contenu du procès. Selon cette même source, le huis clos interdit à quiconque, y compris la défense de commenter ou de rapporter ce qui s'est passé sous peine de poursuites pénales. On sait seulement que l'accusé «est apparu fatigué, mais courageux», et qu'il «s'est bien défendu en apportant des explications rationnelles aux questions qui lui ont été posées». Jeudi, Me Bourayou avait ajouté que le général Hassan avait affirmé que «tout ce qu'il a fait entrait dans le cadre d'une stratégie de défense des intérêts de l'Etat. Les renseignements ont permis de sauver beaucoup de vies et de protéger des institutions». Me Mokrane Aït Larbi a, de son côté, affirmé lui aussi que son client a écopé d'une «peine très sévère puisqu'il a eu le maximum». La veille de l'ouverture du procès, deux des avocats du général Hassan, Me Bourayou et Ahmed Touphali Tayeb, ont adressé aux médias une lettre alertant l'opinion sur le fait qu'un «héros de la lutte antiterroriste risquait d'être condamné». «S'il est condamné, poursuit la déclaration, alors qu'il n'a rien à voir avec les charges retenues contre lui, une page sera tournée en Algérie, celle d'un pays de résistance et d'héroïsme au profit d'un Etat dévitalisé, déroulant le tapis rouge au profit des émirs assassins d'hier (...)».