Le documentaire «L'homme qui répare les femmes : la colère d'Hyppocrate» a été projeté lundi à la salle El Mouggar à la faveur du 6e Festival international du film engagé. Signé par le réalisateur belge Thierry Michel, le film peine à convaincre malgré l'indéniable force de son propos. Le Dr Denis Mukwege est un gynécologue-obstétricien congolais qui répare des milliers de femmes victimes depuis vingt ans des viols barbares commis par les milices armées sévissant à l'est de la République démocratique du Congo. Depuis 1998, le génocide du Rwanda s'est exporté en RDC et au-delà des massacres, des corps déchiquetés à la hache et des fosses communes, il existe un drame quasiment indicible : un holocauste sexuel visant systématiquement femmes, jeunes filles et enfants tandis que l'Etat et l'armée congolais détournent le regard. Connu à l'échelle internationale, le Dr. Mukwage exerce à l'hôpital de Panze dans la province de Kivu où il opère les victimes dont la plupart n'auront sans doute jamais une vie normale : lésions à peine imaginables, séquelles irréversibles, corps saccagés et vies détruites. Le viol est devenu une arme de guerre et en lieu et place des bourreaux, ce sont ces femmes martyrisées qui subiront l'anathème et le mépris de leur société. C'est pour cela qu'en plus de son engagement en tant que médecin, Denis active aussi dans le milieu associatif pour leur réapprendre à vivre. Entre un coup désespéré de bistouri et un prêche d'espoir, il est le «messie» de la région et c'est donc tout naturellement qu'après un court exil forcé suite à une tentative d'assassinat, il reviendra au pays à l'appel de ces milliers de femmes qui ont cotisé pour lui payer son billet. Ainsi donc s'installe le dispositif narratif du réalisateur qui commence par des rappels historiques soutenus par une voix-off télévisuelle, puis braque sa caméra sur les témoignages alternés du Dr. Mukwage et de ses patientes, tout en prenant soin de souligner la reconnaissance et l'admiration mondiales envers le combat de son personnage. Qu'il s'agisse de récits atroces, de chirurgies héroïques, de discours à l'ONU ou d'images insoutenables, Thierry Michel nous tient gentiment la main tout au long de ces 112 minutes de pellicule et ses bons sentiments deviennent les nôtres. Choqué par la barbarie des violeurs, révolté par le black-out des officiels et la complicité des grandes multinationales pilleuses des richesses du pays, horrifié par les images des massacres mais aussi celles en temps réel des cœlioscopies durant les chirurgies de Mukwage, admiratif devant la ténacité et l'engagement sans faille de ce dernier, le spectateur est confortablement installé dans un schéma émotionnel bien défini et si par miracle, il tente de se donner les moyens de penser autrement le drame congolais, les gémissements d'une musique omniprésente le rattrapent et le replongent illico dans la désolation toute faite accompagnée de l'inévitable posture de l'indigné classique. Il y a donc comme une tyrannie du sentiment dans le documentaire qui n'hésite pas par ailleurs à forcer les traits du héros et à remâcher les ingrédients de l'hagiographie, alors même que sa figure principale n'en a guère besoin. Pis encore, le réalisateur frôle parfois l'indécence en insistant sur les larmes, les blessures et le désespoir de ces femmes et enfants violés comme si cette souffrance devenait plus grande à mesure que les plans grossissent et que les zooms s'en donnent à cœur joie ! Néanmoins, L'homme qui répare les femmes fut sans doute sauvé d'un total naufrage misérabiliste par la dignité des victimes et la pudeur du médecin, mais d'un point de vue formel, le film demeure dans l'étroitesse du champ audiovisuel et n'accède quasiment jamais au langage cinématographique.