Entretien réalisé par Kamel Amarni Membre fondateur et, pendant des années, l'un des dirigeants les plus en vue du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Nordine Aït Hamouda a délibérément choisi de renoncer à postuler à des responsabilités au sein de ce parti. C'était à l'occasion du dernier congrès du parti en 2012, imitant en cela son vieux compagnon de route et chef historique du RCD, le Dr Saïd Sadi. L'homme, polémiste redoutable, dont les interventions publiques, notamment lors de ses deux passages à l'Assemblée comme député, ne laissent jamais indifférent, s'éclipsera donc depuis, avant de revenir au-devant de la scène en ce début janvier 2016. Accusé d'avoir mené campagne contre le candidat du parti à Tizi-Ouzou aux élections sénatoriales du 29 décembre 2015, il fera l'objet d'une mesure disciplinaire extrême : l'exclusion du parti. Or, il ne reconnaît ni l'accusation ni la décision prise à son encontre ! Il s'en s'explique. Le Soir d'Algérie : Le RCD vous accuse d'indiscipline et prononce votre exclusion du parti. Pouvez-vous, brièvement, revenir sur la genèse de cette affaire qui a surpris l'opinion ? Nordine Aït Hamouda : Le RCD ne m'accuse de rien officiellement. Le message adressé aux militants est non signé, bien qu'il porte le cachet du bureau régional de Tizi-Ouzou. Cette structure locale est confisquée par un groupement d'intérêts commun (GIC) qui ne travaille pas pour les convictions partagées au RCD, mais exclusivement pour des ambitions personnelles. La course aux législatives de 2017 est déjà lancée et la liste d'ores et déjà établie. Dans cette note, censée être interne, fuitée délibérément, on apprend que je suis accusé de trahison mais «dispensé» de comparution devant la commission régionale de discipline du fait que je ne suis plus militant depuis 2012. Les militants savent que c'est ce même BR qui a organisé ma conférence au mois de novembre dernier dans ses locaux et avec ses affiches en présence de tous ses membres ! Pour l'anecdote, un vieux militant de la première heure qui m'a appelé pour me témoigner son soutien me disait : «Je peux douter que Nordine n'Amirouche ait trahi et encore, sans preuves, on ne peut rien affirmer, mais qu'il ne soit pas militant, c'est absurde. L'Algérie entière sait que le député virulent, direct, qui n'a peur de personne et qui dit les choses dans la langue du peuple est un militant du RCD.» Pour revenir à la genèse de l'affaire, je confirme que j'étais contre notre participation à ces sénatoriales pour la simple raison que le RCD avait boycotté les législatives et les sénatoriales de 2012 ; je ne vois pas qu'est-ce qui a changé depuis. Excepté peut-être la composante de ce BR qui a beaucoup pesé dans ce choix. Le conseil national, bien qu'influencé par le BR de Tizi-Ouzou et les membres du GIC qui ont failli agresser ceux qui osaient se prononcer contre la participation, a fini par adopter la décision de participer. Certes ce dernier est une instance souveraine du RCD, mais les décisions et les conclusions du dernier congrès — l'instance suprême — étaient claires : rajeunissement et compétence. Après l'adoption de la décision de participation, je m'y suis conformé en affichant clairement mon attachement aux orientations du congrès qui constitue la ligne du parti. Je me suis impliqué durant les primaires pour un candidat jeune élu, militant, instruit, avec un parcours éloquent, ayant assumé des responsabilités au niveau régional. En un mot : jeune et compétent, conformément aux critères adoptés au dernier congrès. Des interférences et des proximités ont biaisé ces primaires. Après avoir instruit la multiplication des candidatures pour disperser les voix de la majeure partie des élus acquises pour le plus jeune concurrent, le BR, qui devait observer une neutralité vis-à-vis de tous les candidats, affiche ouvertement son soutien pour le parrain du GIC. Ce dernier l'emporte avec un score mitigé de 124 voix contre 88 en faveur du jeune sur 293 votants. Vous comprendrez que normalement un deuxième tour s'imposait pour départager et avoir un candidat jouissant de la majorité. Il n'en fut rien, la candidature est validée avec un communiqué de ce BR annonçant le candidat vainqueur à la majorité !! Suite à cette candidature cooptée, en contradiction avec les orientations du congrès, j'ai décidé de ne plus m'impliquer dans ces élections et de ne pas faire campagne auprès des élus d'autres formations comme je le faisais auparavant. Je n'ai pas voulu cautionner cette candidature, considérant que le profil imposé ne pouvait incarner ni le rajeunissement ni la compétence. Je passe outre les diffamations et toutes les invectives que proférait ce candidat contre ma personne durant sa campagne. Les élus peuvent témoigner qu'il avait mené campagne à me dénigrer et non pas à faire valoir les idéaux du parti pour gagner cette élection. Les résultats, qui ne m'ont guère surpris, ont confirmé le mauvais choix face à un candidat qui jouissait du soutien de l'alliance de l'APW. Au lieu d'assumer sa responsabilité dans cet échec, le GIC du BR a préféré jeter l'anathème et la trahison sur nos élus. Il fallait envelopper tout ça et je suis désigné comme l'instigateur !! On m'accuse d'avoir retourné plus de 100 élus contre la structure !! Ceci constitue une insulte envers ces valeureux militants. Le RCD a eu 358 voix, je considère pour ma part que nos élus ont honoré le parti en votant massivement pour le candidat RCD et nous avons drainé 54 voix supplémentaires arrachées à l'alliance. Mais il y a des apprentis sorciers qui préfèrent accuser les élus RCD et innocenter ceux du FLN et du RND. Vous ne reconnaissez pas cette décision, mais les faits sont têtus : vous avez bel bien mené campagne contre le candidat du parti à Tizi Ouzou lors des dernières élections sénatoriales... Je crois avoir répondu à votre question en ce qui est de la campagne. Maintenant, c'est à ceux qui m'accusent d'apporter la preuve ou même un semblant de preuve. Je suis disposé à comparaître devant n'importe quelle instance du parti. Je demande à être confronté aux mensonges. Je suis accusé de trahison sans même avoir été entendu. J'ai appelé le président au téléphone, il ne m'a pas répondu. Je lui ai envoyé un sms, il ne m'a pas répondu. Je me suis déplacé à deux reprises jusqu'au siège national, il n'a pas voulu me recevoir sous prétexte qu'il était en réunion. Qu'est-ce que je peux faire de plus ? Le conseil national se réunira dans quelques jours, et j'ose espérer que cette instance souveraine aura le droit d'être éclairée sur le rapport et la composante de la commission que le GIC du BR de Tizi Ouzou évoque dans le message adressé aux militants. Cette instance souveraine doit imposer la clarté face à l'intrigue et à l'opacité. Avez-vous discuté de toute cette affaire avec le leader historique du parti, votre vieux compagnon de route, Saïd Sadi ? Où se situe-t-il exactement dans tout cela ? J'ai eu une discussion franche avec Saïd Sadi et Mohcine Belabbas pendant la campagne. Je les ai informés que, d'après les échos qui me parvenaient, le candidat du RCD n'avait aucune chance face à la coalition acquise pour le candidat du FFS, et moi, je n'avais aucune intention de m'impliquer parce que, comme je l'ai dit plus haut, le profil et le parcours du candidat n'incarnent pas les valeurs de notre parti. Vous voulez que je vous dise, toute fausse modestie mise à part, ce candidat avait besoin de mon soutien pour passer. Le RCD, même s'il est la première force politique de la région, ne peut rien seul contre une coalition de tous les autres partis. Si dans le passé, nous avons pu décrocher ce poste de sénateur à trois reprises, c'est grâce aux voix de quelques élus des autres partis qui nous reconnaissent notre crédibilité, l'honnêteté de notre engagement et notre sacrifice. Mais soyons sérieux, ce n'est pas un ex-sénateur et un ex-député, qui n'ont jamais pris la parole dans leur chambre respective, répertoriés par les militants et les citoyens comme les deux points noirs du RCD au niveau de la wilaya, qui vont arracher des voix de l'extérieur. D'ailleurs, les autres membres du GIC ne valent pas mieux. Après les résultats qui ont confirmé mes propos, j'ai appelé Saïd Sadi à plusieurs reprises, il refuse de me répondre. En le voyant distant puis en s'affichant avec ce (son) candidat perdant, j'ai vite compris qu'il était l'instigateur de cette cabale qui allait aboutir à la note rédigée par lui-même et le président, comme se plaisent à le confirmer le GIC et le BR en transmettant le message de mon «exclusion» aux présidents de section et aux militants. Vous reprochez au RCD des errements politiques et idéologiques graves. Estimez-vous que le parti a dévié de sa ligne historique et abandonné son identité politique qui faisait sa force justement ? Je constate que le RCD n'assume plus certains idéaux pour lesquels toute une génération s'est sacrifiée. Je peux comprendre que pour des situations conjoncturelles on doive transcender certaines positions, mais qu'on occulte, à titre d'exemple, toute référence au Congrès de la Soummam, pour moi la décantation est faite. La plate-forme du Congrès de la Soummam est une référence dans les textes fondateurs du RCD, devrons-nous la renier pour être acceptés ? Le combat du RCD, celui de Mustapha Bacha, Rachid Tigziri, Djaffar Ouahioune, Salah Boukrif, Saâdia Labou, Tahar Djaout, Lounès Matoub et tant d'autres est celui qu'on a toujours mené contre un monstre à deux têtes : le pouvoir et l'islamisme. Nous étions la locomotive des démocrates républicains. Nous avons répondu à l'appel de Saïd Sadi à prendre les armes et initier la résistance citoyenne face au terrorisme islamiste. Qu'en est-il aujourd'hui ? Pour des considérations de rapports de force actuels et des ambitions purement personnelles, une orientation vers une allégeance au FLN de «ammi Amar» se profile à l'horizon des échéances électorales futures. Maintenant, on est à une année du congrès du parti, la base militante aura à se prononcer souverainement sur ces orientations. A travers vos différentes interventions médiatiques de ces derniers jours, nous croyons comprendre que vous comptez bien initier une grande action. Peut-on imaginer un mouvement «de redressement» au sein du RCD ? Je n'accepterai jamais d'être mêlé, encore moins initiateur d'un mouvement de redressement au sein du RCD. Mais je me bâttrai avec d'autres camarades qui m'ont témoigné leur soutien pour faire aboutir les idéaux de toutes les militantes et tous les militants, dont certains ne sont plus parmi nous, qui se sont sacrifiés pour ce parti. Et comme je l'ai dit dans ma mise au point, on ne peut pas être un homme des grands moments et de basses combines. Je ne ferai aucune action qui nuirait à la synergie de mon parti, mais je continuerai à sensibiliser et alerter les militants contre toute dérive statutaire ou idéologique en contradiction avec les idéaux du RCD. Je ne suis pas celui qui rentrera chez lui tranquillement. Vous partagez un très long parcours avec Saïd Sadi. Quelles pourront être vos relations à l'avenir et qu'en sera-t-il, surtout, du livre et du travail toujours en cours sur l'histoire de votre père, le colonel Amirouche ? J'ai partagé avec Saïd Sadi une vie de luttes et de sacrifices de plus de 40 ans. Ma loyauté envers cet homme que je considère comme étant le meilleur homme politique de sa génération était sans limites. Mais quand on veut se donner une stature d'homme d'Etat, on doit sortir des intrigues. Ne pouvant se passer de cela et de ses humeurs dictées par son ego, Saïd Sadi doit être protégé contre lui-même. Son comportement ne doit pas être en contradiction avec ses discours politiques. Et comme il le disait lui-même en 1991 : «En politique, rien de solide et de stable ne peut être construit sans une force morale.» Saïd Sadi a peut-être évolué, dépassant le cadre partisan — comme il aime à le répéter.Pour ma part, je ne considère pas que le RCD soit un fardeau dont on doit se débarrasser. Le RCD doit survivre à ses fondateurs pour passer réellement le flambeau à la nouvelle génération qui saura concrétiser son programme et ses idéaux. Le RCD ne doit pas être un instrument entre les mains d'un GIC qui fait passer les ambitions avant les convictions. En ce qui concerne le livre et le travail en cours, je compte lancer prochainement la Fondation du Colonel Amirouche qui aura à suivre et à gérer ce dossier. Pour conclure, si nous faisons le compte de tous les cadres humiliés, jetés en pâture, ce qui m'arrive aujourd'hui est une suite logique de cette culture qui relève d'un syndrome de dictateurs africains. J'appelle les militants et les cadres du parti à rester honnêtes et vigilants et ne plus accepter la soumission et les menaces d'exclusion, car avant d'être militants du RCD, nous sommes des citoyens libres et engagés.