Souvent, la programmation culturelle à Alger peut paraître totalement surréaliste, si ce n'est absurde. Hormis l'aspect saisonnier conditionné par les festivals et autres événements sporadiques, la capitale comme d'autres grandes villes fait les frais d'un manque total de perspectives. La dernière trouvaille en date est cette tournée nationale du poète égyptien Hicham Al Djakh. Organisé par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC), cet «événement» annoncé depuis quelques semaines apparaît comme une aberration de trop non seulement parce qu'il s'agit d'un auteur quasiment inconnu en Algérie mais aussi parce que cette méga-tournée nécessitant sans doute un budget considérable coïncide avec une période d'austérité qui frappe de plein fouet le secteur culturel. Il existe donc un discours contradictoire chez les décideurs qui affichent simultanément une volonté de «rationnaliser» les dépenses et de mettre fin aux gouffres financiers que sont certains événements sans envergure ni réelle portée, mais n'hésitent pas à initier des manifestations confinant à l'inutile et au pur gaspillage. Cette tournée de Hicham Al Djakh atteint, quant à elle, les sommets de l'invraisemblable : elle a concerné sept villes du pays (Constantine, Oum-El-Bouaghi, Oued Souf, Djelfa, Béchar, Mostaganem et Alger) et s'est étendue sur une dizaine de jours avec tout ce que cela coûte en frais de transport, d'hébergement et de restauration sans parler d'éventuels per diem. Alors qui est ce jeune poète jusque-là inconnu en Algérie et qui est loin de jouir de la notoriété d'un Adonis ou du Tunisien Mohamed Seghir Ouled Ahmed. Né en 1978 en Egypte, l'invité vedette est surtout réputé dans son pays pour avoir été invité sur plusieurs plateaux-télé où il a présenté son travail consistant essentiellement à enregistrer ses textes sur des supports audio. N'ayant jamais publié de recueil, il s'inscrit dans une démarche de poésie orale et populaire dont les thèmes tout comme la stylistique n'ont rien de révolutionnaire. On comprend d'autant moins la soudaine tentative de starisation de Hicham El Djakh chez nous qu'il est loin de bénéficier d'un tel traitement de faveur dans son propre pays où sa poésie se dilue souvent chez de modestes chanteurs ou bien circule sur Internet. Il ne reste donc que les accents panarabistes de sa littérature dont un vers est d'ailleurs mis en exergue sur l'affiche de sa tournée : «L'arabité est mon honneur, ma vitrine et mon adresse. La nation arabe est mon pays et tous les Arabes sont mes frères». Comme on peut le constater le style est d'une affligeante scolarité et le ton démagogique écrase tout soupçon d'esthétique littéraire ; deux caractéristiques qui lestent la plupart des textes de Hicham El Djakh. Malgré l'affection notoire des autorités culturelles pour ce genre de folklore de propagande et de promotion de «l'identité arabe», une méga-tournée qui n'a jamais bénéficié à un écrivain ou un poète algérien, demeure l'une des initiatives les plus absurdes du ministère de la culture.