Dans une récente édition, nous évoquions «l'impunité» qui caractérise les effroyables fautes de goût dominant la sculpture officielle, mais aussi l'importance d'une implication urgente de la société civile pour mettre fin à ces gâchis aussi bien esthétiques que financiers. Or, l'impunité ne pouvant durer éternellement, la goutte qui a fait déborder le vase est arrivée du côté de Aïn M'lila où les autorités locales viennent de retirer un buste scandaleux censé représenter Larbi Ben M'hidi. Inauguré le 3 mars dernier dans sa ville natale à l'occasion de la 59e commémoration de son assassinat, cet objet qui aurait coûté deux milliards de centimes au budget de la wilaya a immédiatement soulevé l'ire des habitants de la localité et des réseaux sociaux. L'onde de choc s'est propagée dans tout le pays après le dévoilement de ce buste lors d'une cérémonie officielle à laquelle a assisté un ministre d'Etat. Surpassant de loin la laideur et la désharmonie de la plupart des stèles et autres sculptures, notamment dédiés aux figures de la Révolution algérienne, ce buste littéralement profanatoire englobe tout ce qui fait la misère de la sculpture officielle. Hormis le vernis doré devenu une tradition immuable de la «profession» et les fautes habituelles de perspectives, ce travail bâclé s'illustre surtout par l'invraisemblable médiocrité du résultat où non seulement on ne reconnaît pas, ne serait-ce qu'un trait de Ben M'hidi, mais où il n'est pas question non plus d'un visage humain ! En effet, les quolibets n'ont pas manqué sur la Toile depuis la découverte de cette «chose» : «Elephant Man», «ET, l'extraterrestre» et autres références à la science-fiction. Il faut dire que l'image est proprement insupportable : une tête surdimensionnée et plate posée sur un buste insignifiant sans parler d'un visage massacré dominé par un front océanique ! Défigurant et insultant l'une des figures les plus remarquables de la guerre de Libération, cette sculpture a donc tout naturellement suscité l'émoi et la colère des habitants de Aïn M'lila mais aussi de la plupart des Algériens connectés aux réseaux sociaux qui ont réclamé son retrait immédiat. Quelques jours plus tard, des jeunes de la commune ont couvert l'affront d'un drapeau national pour signifier qu'ils maintiendront la pression jusqu'à satisfaction de leur demande. La réponse n'a pas tardé : dimanche soir, la municipalité finit par céder et dépêche un engin pour dévisser l'horreur. Ce scandale, similaire à celui déclenché par la famille de Ben Badis suite au dévoilement de sa statue à Constantine, demeure malheureusement une réaction rare malgré la prolifération intolérable de tels ratages dont, entre autres, les statues des symboles de la Wilaya III en Kabylie, celle de Mustapha Ben Boulaïd à Alger-Centre, etc. Quoi qu'il en soit, si ce type de mobilisation se multiplie, il n'est pas à exclure que les commanditaires et exécuteurs de ce genre de besognes soient moins inconscients et plus décents à l'avenir.