Les "souverainistes proclam�s" battent en retraite en rangs dispers�s. Le projet de loi sur les hydrocarbures qui a soulev� le toll� que l'on conna�t en 2002, avec deux jours de gr�ve de protestation en prime, passe aujourd'hui comme une lettre � la poste. Le ralliement g�n�ral requis en faveur du m�me texte trahit nombre des m�mes m�canismes qui mettent en mouvement les m�mes oppositions et suscitent les m�mes soutiens. Comme pour cr�dibiliser la d�marche, et conforter les "fondamentaux", il ne reste de ces oppositions que la voix toujours discordante de Louiza Hanoune. En 2005, comme en 2002, faute de d�bat de fond, la confusion reste grande entre le territoire, assise de l'Etat et de sa souverainet� p�renne, et les richesses bien �ph�m�res qu'il rec�le en surface ou en son sein et dont la production et la r�partition ob�issent � des lois �conomiques froides qui r�sultent des rapports de force principalement externes et accessoirement internes. La v�rit� sort de la bouche des puissants. James Schlesinger, l'ancien secr�taire d'Etat � l'Energie de Jimmy Carter, pesait bien ses mots lors du quinzi�me Conseil mondial de l'�nergie, un an seulement apr�s la premi�re guerre du Golfe. Il disait textuellement ceci : "Ce que le peuple am�ricain a retenu de la guerre du Golfe, c'est qu'il est beaucoup plus facile d'aller botter les fesses des gens du Moyen- Orient que de faire des sacrifices pour limiter la d�pendance de l'Am�rique vis-�-vis du p�trole import�". Les conflits arm�s se poursuivent toujours sur fond de rar�faction d'ores et d�j� pr�visible de l'or noir et mettent aux prises trois acteurs principaux : les Etats-Unis, la Russie et l'Organisation des pays exportateurs de p�trole (Opep), avec � sa t�te l'Arabie Saoudite. Et nous alors ? Quel sort nous r�serve-t-on ? Tout indique que nous demeurons � l'abri des th�rapies muscl�es et humiliantes r�serv�es aux monarchies "amies" du Moyen- Orient, sans pour autant �tre totalement � l'abri du sort, secret et certainement peu enviable, r�serv� � un �trange continent qui lutte pour survivre au dinar. Un rapport intitul� "Le p�trole africain : une priorit� pour la s�curit� nationale des Etats- Unis et le d�veloppement de l"Afrique" a �t� pr�sent� en juin 2002 au Congr�s am�ricain. R�dig� � l'initiative d'un groupe informel (The African Oil Initiative Group) r�unissant des compagnies p�troli�res am�ricaines, des repr�sentants de l'administration Bush I et des gouvernements africains, le rapport pr�conise de porter la part des importations de brut africain de 15 % environ actuellement — soit approximativement la part de l'Arabie Saoudite — � 25 % d'ici � 2015. Selon le d�partement d'Etat � l'Energie, la production du continent devrait passer de 8,4 millions de barils par jour aujourd'hui � pr�s de 14 millions en 2015. Les m�mes "consid�rations externes" r�gissent le monde p�trolier qu'il s'agisse de ses formes d'organisation ou des r�gles de droit qui le r�gissent. L'article 22 dudit projet ne vise pas, comme le dit Louiza Hanoune, � abroger "une d�cision souveraine de l'Etat", d�j� bien virtuelle depuis longtemps, en la transf�rant vers "les contractants", c'est-�-dire les vrais d�tenteurs de capitaux et de pouvoir. Cette disposition est en quelque sorte une "tautologie", ou pour parler plus simplement : "un pl�onasme". En quoi Sonatrach ob�it-elle aux lois alg�riennes si tant est qu'elles puissent �tre antinomiques avec les r�gles en vigueur dans le monde ? En quoi ses int�r�ts d'entreprise �conomique op�rant sur des march�s normalis�s � l'extr�me sont-ils forc�ment incompatibles avec les int�r�ts sup�rieurs de l'Etat ? Si tel est le cas, de quels "int�r�ts sup�rieurs" s'agit-il ? Depuis l'aube des temps, les soci�t�s p�troli�res recourent aux m�mes alliances pour limiter leurs risques, compte tenu du co�t des investissements requis par l'exploration comme par la production. Les d�penses n�cessaires pour rendre op�rationnel un puits sont colossales : exploration, �quipements de pompage, ol�oducs, �quipements de stockage... Les grandes firmes, dont Sonatrach, op�rent le plus souvent en joint-ventures, c'est-�-dire par le biais de filiales communes cr��es pour l'occasion : si l'exploration est couronn�e de succ�s, le p�trole extrait est r�parti entre les diff�rents partenaires en proportion de leurs apports initiaux. L'investissement de recherche en association avec Sonatrach s'est �lev� � 2,7 milliards de dollars entre 1989 et 1998. Ce proc�d� est, pour tous, un moyen idoine de partager les co�ts, qui sont consid�rables dans ce genre d'activit�, et les risques, puisque l'on n'est jamais assur� de trouver l'or noir initialement esp�r�. Ces rapprochements sont facilit�s par le fait que sous-traitants et fournisseurs sont souvent les m�mes (de Schlumberger, dans l'exploration, � Honeywell, dans l'automatisation des raffineries). Bien avant qu'elle ne soit effective, l'occupation de l'Irak qui affiche des r�serves prouv�es de 112 milliards de barils que seule l'Arabie saoudite peut d�tr�ner (262 milliards de barils), commen�ait � rel�guer au second r�le des pays comme le n�tre. Ce que souligne au trait rouge le projet de loi sur les hydrocarbures : "Apr�s avoir conclu 30 contrats de recherche et d'exploration entre 1987 et 1994, nous n'en avons conclu que 10 entre 1995 et 2000". En mati�re d'exploitation, les co�ts sont relativement peu �lev�s. Les progr�s r�alis�s ont permis de r�duire les co�ts d'investissement en mati�re de forage : de 20 dollars par baril au d�but des ann�es 1980, on est arriv� � des co�ts d'exploitation, amortissement inclus, l�g�rement inf�rieurs � 10 dollars en moyenne, ce qui a le plus souvent contribu� � d�velopper l'offre, � faire baisser les prix et � laminer les profits. Les compagnies nationales des pays producteurs �prouvent beaucoup de peine � suivre l'�volution du secteur en mati�re d'innovation et surtout d'organisation. Les courants les plus lib�raux en conviennent : la direction de la politique �nerg�tique ne peut cependant ob�ir aux seules forces du march� pour des consid�rations majeures �videntes : approvisionnements � long terme, protection de l'environnement, ma�trise de l'�nergie, etc. Partout, l'Etat op�rateur se mue en Etat r�gulateur en se recentrant sur les politiques structurelles qui d�terminent � long terme les niveaux de consommation d'�nergie (am�nagement du territoire, urbanisation, transports), sur les r�glementations environnementales et la fiscalit� de l'�nergie. L'expos� des motifs du projet de loi sur les hydrocarbures pr�conise � cet effet "une nette s�paration des pr�rogatives de puissance publique de l'Etat, des missions techniques, �conomiques et commerciales qui rel�vent des entreprises". Ces pr�rogatives sont d�sormais d�volues � une agence de r�gulation, d�nomm�e Alnaft. On se rassurera peut-�tre � l'id�e force que, dans la nouvelle configuration du monde, nous demeurions des "Orientaux respectables" en quelque sorte. Et ce qui force ce respect ce n'est pas tant que nous soyons assis sur des barils de p�trole, mais que nous ayons plus vite que d'autres acc�d� sinon � la pratique du moins � la revendication d�mocratique et � la demande de libert�s. Le combat des "souverainistes" �tait perdu d'avance pour d'autres raisons touchant directement � la question. La particularit� de la richesse �nerg�tique est qu'elle n'est pas renouvelable. L'int�r�t d'une gestion de "bon p�re de famille" ne consiste pas � regarder passer les trains mais � tirer un profit maximal des revenus p�troliers pour construire l'avenir des g�n�rations � venir. L'imaginaire de ces derni�res qui porteront le principal fardeau du foss� qui se creuse ne manquera pas de s'interroger sur la l�gitimit� de r�sistances et d'inerties qui, pour elles, ressembleront fort � une exaction.