Veuf, mais loin d'être éploré, Mouloud convolera en justes noces quelques mois après la mort de son épouse. Il a alors 70 ans, l'élue de son cœur 28. Les nouveaux mariés baignent dans le faste, et Assia dépense l'argent de son mari sans compter. Elle n'a jamais possédé autant de billets... Lorsque la tante d'Assia lui parla de Mahmoud et de ses richesses, elle n'hésita pas à exprimer son approbation, sauf qu'une seule question lui préoccupait l'esprit : «j'espère qu'il n'est pas croulant et moche.» Sa tante éclata de rire et répondit: «Si je n'étais pas mariée, je l'aurais épousé. D'abord, tu lui donnerais vingt ans de moins, ensuite, il a conservé sa beauté d'antan. Ses yeux sont d'un bleu éclatant.» Soulagée, et non moins contente, elle accepta. La date de la rencontre avec la future belle-famille a été fixée, et Mouloud mit tous les moyens pour épater son petit monde. Il chargea sa fille aînée d'acheter non pas le cadeau, mais les cadeaux. «Il voulait lui offrir deux bracelets en or et une chaîne. De l'or massif. Il fallait que ça pèse sur la balance, que ce soit le plus volumineux possible. Les flacons de parfum, c'était mon frère qui les lui avait apportés de Paris. Le gâteau fut commandé chez le plus grand pâtissier de la ville. Il ne voulait pas de bouquet mais une corbeille garnie exclusivement de roses rouges. Il avait dépensé une petite fortune et avait réussi à subjuguer ses hôtes.» Tout s'est déroulé comme il le souhaitait. «Il tenait à célébrer le mariage en grande pompe trois mois à peine après le décès de ma pauvre mère. Un cancer foudroyant de l'utérus l'a emportée. On ne peut pas dire qu'elle a connu le bonheur avec mon père. Elle a élevé huit enfants et devait se débrouiller pour nous nourrir. Mon père est fortuné mais radin. Quand je le voyais dépenser son argent sans compter pour sa seconde épouse ça me fendais le cœur. Il n'écoutait personne et nous répétait que Assia est jeune, que c'est la première fois qu'elle se marie, elle a droit à une fête grandiose. Elle le mérite.» La cérémonie s'est déroulée comme il l'avait souhaité. Assia et sa famille n'en croyaient pas leurs yeux. Elle avait promis à ses parents qu'elle allait les sortir de la misère. Eh bien, elle a tenu sa promesse. C'est dans la villa flambant neuve qu'Assia vivra. «Pendant que ma mère souffrait, lui passait ses journées au chantier. Il rentrait le soir crevé, et souvent il ne la voyait même pas.» Pour Mouloud, plus rien n'existait à part Assia. Il lui vouait une confiance aveugle et ne jurait que par elle. «Il n'écoutait plus personne. Elle dépensait sans compter. Sa famille a quitté son minuscule F2 dans un quartier populaire pour emménager dans un F5. La misère, c'est du passé, et personne ne veut s'en souvenir. Mon père lui a légué tous les pouvoirs. Elle gérait son argent comme elle l'entendait. Et malheur à celui qui osait lui faire entendre raison. Il disait qu'avec elle il revivait une seconde jeunesse. «Je ne tolère plus que vous vous mêliez de ma vie.» C'était une manière de mettre fin à nos relations. Elle eut gain de cause. Plus personne ne le visitait. Elle a fait le vide autour de lui. Ainsi, elle manipulait ses biens comme elle l'entendait, elle avait la mainmise sur tout ce qu'il possédait, surtout après la naissance de son troisième garçon. Avec ma mère, il n'en a eu qu'un.» Aveuglé par l'amour, Mouloud ne se rendait pas compte que sa fortune rapetissait de jour en jour. «Assia se transformait en monstre, il n'avait plus droit à la parole, il dépérissait à vue d'œil, jusqu'au jour où il fut admis en urgence à l'hôpital pour une déshydratation sévère. Il présentait des ecchymoses sur tout le corps, mais n'osait pas avouer qu'elle le battait.» Quant à elle, elle jouait parfaitement la sainte nitouche, répétant à celui qui voulait bien l'entendre, que depuis dix ans elle s'occupe d'un vieux qui va bientôt boucler ses quatre-vingt ans alors qu'elle en a que trente-huit. Elle s'acharnera à rechercher tous les documents concernant ses biens fonciers. Il a des terres à perte de vue, des troupeaux de vaches, de moutons, de chèvres... Le bétail a disparu. Il n'a plus rien. Il a découvert le pot aux roses lorsque, par hasard, il est tombé sur des documents qu'elle a falsifiés et qu'elle a voulu lui faire signer. C'est là qu'il a ouvert les yeux. Le divorce fut alors prononcé. Elle a quitté la maison, pour un appartement dont la location est à la charge de mon père. Il lui versera une pension alimentaire conséquente pour les trois garçons, bien que convaincu que ce ne sont pas les siens. Il aurait même demandé un test ADN. Pour nous, l'important c'est que nous ayions retrouvé notre père. Nous ne l'avons pas vu depuis près de huit ans. Il était dans un piteux état. Aujourd'hui, on se demande pourquoi elle a fait tout ça. Pourtant, personne ne l'a forcée à se marier avec un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Elle semblait pourtant heureuse mais n'a pas su profiter de son bonheur.»