Les châtiments corporels dans les établissements scolaires sont légion. Le fait de ne pas porter plainte n'illustre nullement l'angélique comportement du corps pédagogique. Nos enfants, battus, maltraités, voire humiliés, en parlent. Par Zaïd Zoheir Salima, 17 ans, lycéenne «Huit ans après, je me rappelle toujours la correction que m'a infligée mon défunt instituteur. J'étais admise en troisième année primaire. A cet âge, l'hyperactivité était notre credo : on bougeait sans cesse en classe et on tentait souvent d'échanger, discrètement, des sourires et des tapes à l'épaule sans méchanceté. Certes, les réprimandes de nos instituteurs étaient légion, mais on n'imaginait pas que les représailles soient aussi disproportionnées. Moi, qui étais dorlotée et chouchoutée chez moi, j'étais devenue l'exemple de la correction. L'instituteur, la cinquantaine, plus âgé que mon père, que je voyais comme un modèle, m'était subitement devenu un être immonde à chasser prestement de mon esprit. La première frayeur qu'il m'a fait subir fut de m'appeler non pas par mon nom, mais par un surnom, de surcroît humiliant, qu'il a pris la peine d'improviser au gré de sa colère. Moi Salima, alias El Mesfara, «la jaune», suis devenue la risée de ma classe. La deuxième, c'est quand il a bondi de sa place et couru vers moi, en renversant au passage une chaise. La troisième, celle qui restera indélébile, c'est quand il m'a tirée de force, en s'agrippant au col de mon tablier, et en me traînant par terre. Il a vite fait de me relever, moi qui croyais qu'il est revenu à de meilleurs sentiments, mais c'était plutôt pour me gifler. A deux reprises. Sur mes deux tempes. J'ai tellement pleuré que j'ai failli me lacérer les deux tempes, déjà enflées. De retour à la maison de mon grand-père, là où je vivais depuis l'âge de trois ans, je n'ai pas voulu dénoncer cet acte, mais c'était sans la perspicacité de celui-ci, qui était toujours attentif à mes moindres faits et gestes. Habituée à lui toujours dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je lui racontais en détail ce qui m'est arrivé, en réponse à son questionnement sur l'origine des ecchymoses sous mon œil. Fou furieux, le lendemain, il m'a accompagnée à l'école, lui qui n'a jamais fait ça auparavant, tâche dévolue habituellement à ma tante. Ne cherchant pas midi à quatorze heures, mon oncle a demandé à voir le directeur du groupement scolaire. Ce dernier, en nous accueillant, semblait connaître mon grand-père, qui était pour lui une ancienne connaissance professionnelle ; détail qui a son importance, car la dénonciation vigoureuse du comportement indécent de mon instituteur a trouvé une oreille attentive. Ma confrontation avec mon agresseur sera décisive. En premier lieu, il a nié les faits. Ensuite, il a tenté de faire impression sur moi en faisant les yeux doux, manière de m'inciter à renier mes propos. Mais devant l'insistance de mon grand-père à ne pas être dissuadée, l'instituteur a craqué et commencé à se confondre en mots douillets. Il a justifié son acte par des considérations d'éducation, allégations qu'a réfutées mon grand-père au motif que la correction est un acte anti-pédagogique et qu'il n'est pas de son ressort (l'instituteur) de l'effectuer. Mon parent, opiniâtre, a explicitement déclaré au directeur et à mon oppresseur que cette agression ne devait pas être réitérée, sinon des mesures plus radicales seraient entreprises pour punir tous ceux qui font et ferment l'œil sur des dépassements dont sont victimes nos enfants. Sur ce, promesse a été donnée par les deux interlocuteurs que la violence à mon encontre ne soit plus de mise. Depuis cette date et jusqu'à sa mort, l'instituteur n'a plus levé la main sur moi. En contrepartie et par respect à mon grand-père, je bougeais moins en classe». Farida, 26 ans, employée dans une entreprise publique «Je suis mariée depuis deux ans et j'ai une fillette. J'en ai vu des vertes et des pas mûres dans ma courte existence. Cela n'a pas empêché ma mémoire de graver les propos insultants que m'a tenus un instituteur. J'étais en cinquième année primaire. J'étais, sans exagération, la meilleure de la classe. Blonde et bien portante, cette caractéristique m'a valu le sobriquet de «el bagra», «vache». Le hic, c'est que c'est l'instituteur qui m'a surnommée ainsi. Il a failli oublier mon nom et prénom, tellement il en usait à satiété, provoquant l'hilarité générale. Mes pleurs répétés ne l'ont pas dissuadé de cesser de me faire du mal, mal verbal qu'on n'oubliera pas de sitôt. Chaque chose à ses limites. Un jour, je me suis révoltée en lui recommandant de cesser de me surnommer ainsi. Hilarant, il s'est approché de moi en répétant à l'infini «el bagra», manière de m'humilier encore plus. Sur ce, j'ai éclaté en sanglots, menaçant de quitter la classe. Joignant l'acte à la parole, je me suis levée de ma place pour me diriger vers la porte. Ma tentative a été stoppée net : il s'est mis en travers de mon itinéraire et m'a violemment repoussée. Je suis tombée à la renverse, heureusement sans dégâts. Sous les cris de mes camarades, il a paniqué. Y en a parmi eux qui sont accourus pour me soulever. En sortant de l'école, j'étais résignée à faire une chose : raconter à mon père ce qui m'est arrivé du début à la fin. Même ma mère, qui a été toujours réticente à l'idée de mettre son mari au parfum, a adhéré à mon idée. A cette époque, dans les années 1990, il n'y avait pas encore de téléphone mobile. Donc, on attendait la sortie du travail pour rencontrer mon père. Celui-ci, dès qu'il a eu vent de ce qui m'était arrivé, a peut-être enregistré la plus importante montée d'adrénaline de son existence. Pour l'extirper, il s'est dans l'urgence déplacé à l'école pour réprimander l'instituteur. Une altercation s'en est suivi : mon père a été poussé à frapper mon agresseur et à atteindre son cou, lui laissant des ecchymoses. Nous étions, comme déjà rapporté, dans les années 1990 : l'instituteur a été muté dans une autre école, et je ne suis plus devenue la bagra.» Fayçal, 50 ans, agent communal «Curieusement, les châtiments corporels ne ciblent pas uniquement les écoliers. La preuve, ma fille âgée de 14 ans en a fait également l'objet et d'une manière injuste. L'enseignant, de surcroît un voisin, semblait lui en vouloir depuis quelque temps, ne ratant jamais une occasion de lui inventer une faute qu'elle n'a pas commise, de s'adresser à elle méchamment à ses moindres sourcillements et lui exiger de changer de place au gré de ses humeurs. Ma fille, bien éduquée, ne s'en défendait jamais. Timide, elle ne bronchait jamais aux remarques désobligeantes de son enseignant. Stoïque, elle digèrait imperturbablement le mielleux enveloppant les insanités que profèrait notre voisin. Comme toujours, la mère était toujours mise au parfum des «scoops». Jusqu'au jour, où n'en pouvant plus de me considérer comme l'idiot du village, ma fille a décidé de me rapporter la scène de trop, celle qui a fait exploser ses nerfs mais qui ne m'a pas poussé à casser les vases. En effet, ce jour-là, ma fille a été perturbée par une nuit mouvementée, durant laquelle sa sœur, de deux ans son aînée, donc très proche, a failli rendre son dernier souffle, sur son lit d'hôpital où elle était admise depuis trois jours. Donc, il était tout à fait logique qu'elle ne se mette pas sur son 31 et qu'elle arrive en classe en retard de quelques minutes. D'emblée, l'enseignant commençait à lui faire des remarques sur ses cheveux défaits, sa mine hagarde et sa démarche nonchalante, ne se souciant nullement de leur cause. Indifférente à ses constats, ma fille regagna sa place le plus normalement du monde. Un quart d'heure après, une fillette jeta un bout de papier, dans l'intention certaine de rigoler, sur la tête de son camarade. Le papier a touché le pied de l'enseignant, affairé à gribouiller à l'aide d'un morceau de craie le tableau «menaçant ruine». Sans trop chercher celui qui a eu l'audace de lui salir le bas de son pantalon, l'enseignant se dirigea vers ma fille, lui assénant une tape assez forte sur son épaule gauche en la tirant par le col de son chemisier. Pendant cette correction, la fautive, criait pour qu'il l'entende, en avouant que c'est elle la fautive, mais rien n'y fit. Après avoir eu connaissance de ce qui s'est passé, j'ai vite décidé de corriger celui qui a eu l'audace et la malchance d'humilier la quatrième de mes six enfants. Heureusement qu'en cours de route, mon «ange gardien» me recommanda de faire preuve de sagesse. En arrivant au seuil du CEM, j'étais comme hypnotisé, donnant l'impression d'un parent cherchant davantage à remercier l'enseignant qui a bien enseigné sa fille, qu'à lui reprocher son mauvais comportement. En demandant à le rencontrer, l'enseignant, oubliant probablement les méfaits dont il fut coupable, ne soupçonnait nullement que c'est moi le papa de la fille au col portant toujours les empreintes de son agression. La preuve, il m'accueillit à bras ouverts, content apparemment de lui rendre visite dans l'antre de ses «péchés». Et puisque devenant un homme bien tranquille, je le lui rendis la pareille. En lui rapportant minutieusement les détails des dépassements à l'encontre de ma fille. Il n'en croyait pas ses oreilles, mais il ne s'est pas non plus confondu en excuses. Pour lui, ma fille aurait eu ce qu'elle méritait. J'ai réussi à garder mon calme, je l'ai quitté sur un ton menaçant dont il a bien saisi la teneur. D'ailleurs, depuis ce jour-là, il n'a plus maltraité ma fille, Houda. Quant à moi, je ne lui ai plus adressé la parole, même lorsqu'il est venu retirer quelques documents administratifs au niveau de l'antenne où je travaille, préférant céder ma place au collègue pour qu'il satisfasse ses demandes. Ma fille a décroché son BEM avec 14 de moyenne. Elle aurait pu faire mieux, la maltraitance en moins».