Amel Zenoune, jeune étudiante en droit, quitte Alger dans un bus de l'université pour rentrer chez elle, à Sidi Moussa, environ une heure avant la rupture du jeûne. En ce dimanche 26 janvier 1997, 17e jour du Ramadhan, sur le chemin, le bus est arrêté par ce que les Algériens appelleront «un faux barrage», pour le distinguer des barrages de contrôle assurés par les militaires. L'embuscade est mise en place par des terroristes du Groupe islamiste armé GIA au lieudit Benedja, commune de Bentalha, de triste mémoire, pour avoir subi un des massacres les plus terrifiants des années 1990. Les passagers du bus tremblent de peur et voient leur dernière heure arriver. Mais les terroristes ne semblent pas se soucier d'eux. Une seule personne les intéresse : Amel Zenoune. On lui intime l'ordre de descendre du bus et la jeune fille s'exécute avec courage. L'un des hommes armés aiguise son couteau sur une pierre et, sans le moindre état d'âme, égorge la jeune fille sous le regard des autres passagers terrifiés. Il leur dira en substance qu'elle servira d'exemple à toutes celles qui fréquentent les universités et qui vont au travail sans être voilées. Un message terrifiant pour celles qui refusent d'abdiquer à leur ordre moral inique. Elle avait tout juste 22 ans. Elle devait servir de modèle pour terrifier toutes les femmes et jeunes filles qui, en Algérie, résistaient au diktat du FIS, Front islamique du salut, et ses différents bras armés. Dans d'autres contrées du monde, en terre d'Islam, des millions de femmes à l'image de Amel Zenoune, continuent de résister, par tous les moyens, à l'intégrisme islamiste et son ambition démesurée de soumettre les femmes et les sociétés à leur projet théocratique moyenâgeux. C'est à Paris, capitale de la France laïque, héritière des siècles des Lumières et de la République, promoteur des droits de l'Homme et de l'égalité des droits entre les femmes et les hommes, qu'une initiative dite Hidjab Day est lancée. Initiative mondiale lancée en 2013 par un réseau qui réussit parfaitement son marketing politique en Europe. La preuve est là sous nos yeux : c'est précisément à Sciences Po Paris, prestigieuse école où la raison est enseignée, pour éclairer l'esprit, que l'action démarre ! Quelles que soient les motivations des jeunes étudiantes «solidaires» qui se sont mobilisées pour «soutenir leurs copines voilées», qu'elles n'oublient pas que des centaines de milliers, non des millions de femmes, musulmanes occupent l'espace public tête nue dans leurs pays, au péril de leur vie. Résister par tous les moyens pour dire leur aspiration à être libres et insoumises à l'ordre moral qui veut les cacher parce qu'objet sexuel ! Combien d'entre elles ont payé par le viol et la mort le tribut de «butin de guerre» ? Que ces jeunes étudiantes, sûrement laïques et émancipées, n'oublient pas que ce combat autour du «voile» cache avant tout l'ambition de forces politico-religieuses violentes, déterminées à conquérir le monde pour transformer «le citoyen» en communauté de simples croyants soumis à un ordre totalitaire où les femmes sont appelées à se cacher, s'effacer, obéir, disparaître... Que toutes les jeunes filles voilées, que les prêcheurs et «dealers de paradis» courtisent par un faux discours de tolérance et de bienveillance, fassent l'effort d'interroger cette pratique imposée hors contexte et qui est à des années lumières de l'Islam le plus lumineux qu'elles pensent représenter ! Lisez Ibn Sina, Ibn Rochd, Mohamed Arkoun, Fatima Mernissi, pour porter un autre esprit de l'Islam que celui qui s'affiche en uniforme. Par cette expression qui ne fera sûrement pas l'unanimité, je crie ma rage de militante féministe algérienne ayant vécu comme des centaines de milliers de mes concitoyennes l'ordre intégriste en marche. Sans la résistance des femmes et tous les citoyens acquis à l'idée de la démocratie dans son sens plein d'humanité, le visage de l'Algérie aurait été radicalement transformé. Certes, la France n'est ni l'Algérie, ni la Tunisie, ni l'Irak, ni l'Egypte. Seulement, n'oublions pas le credo unique des mouvements conquérants, intégristes d'extrême-droite. Quel que soit l'habit sous lequel ils se présentent, les premières victimes sont d'abord les femmes. C'est la leçon de notre histoire quotidienne. Porter le voile est-ce une question de liberté garantie par l'exercice de la démocratie ? Je ne le pense pas. La bataille du «voile» est l'expression la plus visible de la volonté des intégristes de soumettre les femmes. L'évocation des principes de démocratie et de liberté est seulement le moyen d'y arriver... N'oublions pas le sacrifice d'Amel l'étudiante, de Rachida l'agronome, de Khadidja la vétérinaire, de Lila l'enseignante, de Rabéa mère au foyer, et de cette très longue liste de résistantes... Zazi Sadou, porte-parole du Rassemblement algérien des femmes démocrates, RAFD, 1993-2002