Par Kamel Bouchama, auteur Aborder la participation de la jeunesse algérienne, en ce 19 mai, date anniversaire de la mémorable grève des étudiants de 1956, c'est en fait revenir à la réalité du terrain d'alors pour connaître les raisons profondes, multiples et naturelles, qui ont été le ferment qui a soutenu et ravivé leur combat légitime, tout au long de l'Histoire coloniale de notre pays. Ainsi, nous apprécierons l'impérieuse nécessité de leur courageuse contribution à la préparation de l'avenir et à la consolidation des acquis de cette magnifique révolution. L'Ugema prend ses responsabilités Aujourd'hui, en revisitant la participation effective et ô combien concrète de nos étudiants à la lutte de Libération nationale, nous n'allons pas philosopher sur l'opportunité de cette décision irrévocable de quitter les bancs de l'université et des lycées, pour rejoindre les rangs du FLN et de l'ALN. Cette décision qui soulève présentement certains «débats», en des points de vue controversés, auxquels répliquent explicitement d'anciens dirigeants, sera nécessairement versée à l'Histoire qui, elle, saura, dans la sérénité et la sagesse, développer le bien-fondé de cette volonté de quitter les études pour rejoindre la Révolution. Quoi qu'il en soit, l'élan irrésistible de cette dernière a renforcé toutes les couches de la jeunesse, qui n'ont pas hésité, auparavant, à répondre à l'appel de la patrie... Parce qu'en participant pleinement, elles ont su démontrer que ce n'était pas simplement un mouvement de révolte passagère, comme le conjecturaient les colonialistes français, mais un juste combat pour le recouvrement de la souveraineté nationale. Ainsi, peu de temps après leur entrée dans l'épopée héroïque, les étudiants ont contredit les ambitions des grands chefs de la colonisation, par leur participation lucide et réelle qui traduisait leur ferme volonté de ne plus «être vaincus et rejetés dans le statut colonial», pour reprendre l'image éloquente d'un historien. Leur attachement aux principes tracés par leurs aînés était là, bien présent, leur détermination au sacrifice aussi et, ensemble, ils ont crié à pleine gorge, à la face des colonisateurs : «Avec un diplôme en plus nous ne ferons pas de meilleurs cadavres !» C'était l'Ugema qui s'exprimait. «A quoi serviraient-ils ces diplômes qu'on continue à nous offrir pendant que notre peuple lutte héroïquement... Il faut déserter les bancs de l'université pour le maquis ! Il faut rejoindre en masse l'Armée de libération nationale et son organisation politique, le FLN», continuait-elle, dans son communiqué, après que son «assemblée générale», ait voté à l'unanimité la décision d'entamer la grève générale des cours et des examens. Cet appel a permis à des centaines de jeunes étudiants, et même à des lycéens, de rejoindre le maquis et démontrer par là que «cette entrée dans la lutte de la jeunesse intellectuelle symbolisait de façon éclatante l'unité nationale qui se forgeait». Et ainsi, comme l'affirmait Henri Alleg, «pour les combattants, eux aussi très jeunes, qui voyaient arriver ces étudiants, c'est la preuve que la ville, et que tout le pays désormais était avec eux». Oui, les lycéens et les écoliers sont de la partie... En effet, dans ce combat libérateur, les étudiants n'étaient pas les seuls sur le terrain pour honorer la jeunesse algérienne. Il y avait les lycéens, un nombre appréciable de lycéens qui, conscients à cet âge-là du drame que vivait l'Algérie, sont entrés sans hésitation dans le combat juste que menaient leurs aînés. Des noms, beaucoup de noms, nous viennent à l'esprit en cette date anniversaire. Faudrait-il en citer certains ? Ce n'est peut-être pas opportun car ils étaient nombreux, tant au niveau des jeunes filles que dans celui des garçons. Alors, on ne peut s'aventurer à dresser une liste exhaustive de tous ces jeunes qui ont répondu à l'appel du FLN, de même qu'on ne peut compter tous ceux qui sont tombés en martyrs, face à l'ennemi. Notre mémoire défaillante et leur nombre éloquent risquent de nous faire commettre des impairs. Cela est d'autant plus vrai puisque le lycée Amara-Rachid, qui porte le nom du jeune chahid, étudiant en médecine, ancien élève de cet établissement, n'a pu jusqu'à l'heure, recenser tous ceux qui sont tombés en héros, tellement ils étaient nombreux. D'autres établissements à travers le territoire national ont aussi éprouvé les mêmes difficultés. Mais l'essentiel dans cette glorieuse épopée est de dire que ces jeunes ont déserté les bancs avec, dans le cœur de chacun, cette farouche volonté de participer à la lutte libératrice contre un ennemi qui a longtemps opprimé notre peuple. Ils n'ont pas hésité un seul instant pour choisir leur camp plutôt que cette vie de «potache» où ils ne pouvaient plus entendre dire que «nos ancêtres sont les Gaulois», que «la Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris» et que les Arabes ont été vaincus à Poitiers par Charles Martel. Effectivement, ils n'ont pas hésité pour crier leur réprobation devant un système inhumain, parce que trop humiliant et sans aucune morale. Ainsi, ils ont rejoint l'ALN où s'exprimait la volonté du peuple. Le mouvement de l'Ugema ne s'arrêtait pas qu'au niveau des étudiants et des lycéens. Le 1er octobre 1956, les écoliers algériens n'ont pas rejoint les classes. Eux aussi conscients du drame et poussés par leurs parents, ont déserté les écoles pour ne laisser dans les salles de classe que les fils de colons ou les rares enfants de «collaborateurs» ou d'inféodés. Il faut dire que ces jeunes sont devenus si vite adultes, parce que confrontés tôt à des choix d'homme. Alors, ils sont partis grossir les rangs de la Révolution, sachant pertinemment quelle était leur armée, quel était leur pays. Aucune action psychologique ne les a empêchés de réussir la grève scolaire, «de lancer tous les jours des chansons satiriques sur les talons des patrouilles françaises, de faire le guet pour les moudjahidine et les fidaiyine, autour des camps, en jouant innocemment aux billes, et enfin de servir d'agents de liaison». Ils se comportent en héros Commissaires politiques, agents de liaison, soldats, infirmiers, médecins, agents des transmissions, enseignants dans les écoles de cadres de l'ALN ou représentants de la Révolution à l'extérieur dans diverses arènes internationales, les jeunes se sont engagés dans le combat avec toute leur ardeur et leur intelligence. Ainsi, cette grève n'a pas seulement anéanti la conception colonialiste de l'«intellectuel-francisé-coupé du peuple», elle a permis aussi à un grand nombre d'étudiants de devenir des militants éprouvés et des cadres valeureux sur lesquels la Révolution pouvait compter. Ceux-là, en effet, ont brisé les barrières de la peur et du doute, et le bilan de leur action a été extrêmement positif. «Ils ont montré qu'on pouvait affronter victorieusement, dans une lutte à mort, la formidable puissance d'un régime colonial, installé depuis de longues, de sombres et douloureuses années.», écrivait El Moudjahid (n°27 du 22 juillet 1958). Enfin, cette année 1956 ne se termina pas sans montrer au monde entier la détermination de ces jeunes et, par ailleurs, les atrocités de l'armée dite de pacification qui opposait, constamment, une singulière conception de reniement du problème algérien. La position française n'avait pas changé d'un iota depuis la déclaration de François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur et celle de Robert Lacoste qui se disait «socialiste» et qui parlait du «dernier quart d'heure». Ce à quoi, un de nos jeunes répondait avec la perspicacité et l'ardeur qu'on connaissait à cette frange de notre population. Il écrivait ainsi dans l'éditorial d'El Moudjahid en 1956 : «Persistez dans vos erreurs et vous aurez à coup sûr votre Dien Bien Phû. Nous ne désespérons pas, à notre tour, de faire revenir la France à une conception plus saine, plus juste et plus conforme à la réalité (...) De toute notre âme et de toutes nos forces, nous nous y préparons. Les jours qui viennent en convaincront peut-être Lacoste et consorts qui, pour la paix de leur mauvaise conscience, tournent délibérément le dos aux réalités.» Les jeunes du monde se solidarisent avec les jeunes Algériens Le combat de nos étudiants, de nos lycéens, bref de toute notre jeunesse, doit être mieux conté, et en d'autres circonstances que celle-ci car, comme le disait à juste titre un éminent historien, «la jeunesse algérienne a démontré au cours de sa lutte une grande leçon d'humanisme, à l'humanité tout entière. N'en témoigne que la solidarité des jeunes du monde à son égard». Juillet 1957, une importante délégation des étudiants algériens devait représenter l'Algérie à Moscou au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants. Djelloul Baghli, le représentant de l'Ugema, Mohamed Khemisti, Abdelhamid Ferdjioui, Redha Bensemane, Larbi Mekhalfa, dirigeaient l'importante délégation qui allait expliquer le combat légitime du peuple algérien. Du 2 au 8 février 1958 au Caire, se réunit le 1er Congrès de la jeunesse d'Asie et d'Afrique. Une délégation des étudiants algériens était présente. De plus ce premier congrès afro-asiatique qui a mandaté le délégué algérien pour parler au nom de toute l'Afrique, a adopté une série de résolutions spéciales dont l'une, la principale consacrait le combat légitime de l'Algérie. Du 7 au 10 décembre 1958 à Colombo (Ceylan) le comité exécutif de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD) a examiné avec soin la situation de la jeunesse algérienne et a adopté une motion importante. Il a en plus octroyé des bourses à nos étudiants et une aide financière au profit des jeunes réfugiés. Ce même comité exécutif a envoyé un message à l'ONU, un message courageux et fougueux, en voici le texte : «Le comité exécutif de la FMJD, qui reconnaît le GPRA, réaffirme le droit au peuple algérien à l'indépendance et exige l'ouverture des négociations entre le Gouvernement provisoire algérien et le Gouvernement français...» Ainsi, une situation politique et diplomatique nouvelle, impulsée par l'activité intense de l'Ugema, venait de se créer pour l'Algérie combattante. L'organisation menait tambour battant ses activités officielles, lors de toutes les manifestations internationales, sous la houlette de délégués chevronnés qui sillonnaient le monde. Alors, dans sa haine, le régime colonial, pour subtiliser à ces jeunes ce qui leur restait de la liberté d'expression, allait jusqu'à dissoudre leur organisation, l'Ugema, le 28 janvier 1958. Cela n'a pas empêché, bien sûr, l'organisation d'activer clandestinement à l'intérieur et, ouvertement, à l'extérieur, là où les conditions de travail et de militantisme lui étaient offertes. Les jeunesses du monde, pour la plupart, imbues de sentiments progressistes et d'idéaux avant-gardistes, n'ont pas baissé les bras, ils sont partis plus loin dans leur solidarité en refusant le diktat colonialiste et en dénonçant énergiquement les actes arbitraires dont étaient victimes les jeunes Algériens dans leur pays. En effet, la Coordination des Unions nationales occidentales, (la Cosec) a convoqué de son côté, une conférence internationale extraordinaire des étudiants pour «étudier la dissolution de l'Ugema» et donc pour se dresser contre cet acte arbitraire et antidémocratique. Cette conférence s'est tenue à Londres les 17 et 18 avril 1958 et a regroupé 23 unions nationales venues d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Amérique latine.L'Assemblée mondiale de la jeunesse (la WAY) s'est réunie en août 1958 à New Delhi, en présence d'une délégation algérienne, et devait elle aussi prendre une résolution qui stipulait : «Indignée par la situation de la jeunesse algérienne, victime d'une répression féroce, vivant dans un état d'insécurité permanente et privée des libertés les plus élémentaires, condamne violemment la guerre coloniale en Algérie et les atrocités perpétrées dans le pays par les forces coloniales... Elle lance un appel pressant à toutes les organisations nationales et internationales pour qu'elles œuvrent par des moyens appropriés à la fin de la guerre d'Algérie.» La solidarité de la jeunesse mondiale ne s'est pas arrêtée là. De nombreuses autres organisations nationales, continentales et internationales ont adhéré au combat des jeunes Algériens y compris l'UIE (l'Union internationale des étudiants) et les étudiants français aux côtés de plusieurs autres progressistes parmi les intellectuels. L'Unef, l'Union nationale des étudiants français, a pris une position sérieuse et s'est rangée du côté du droit et de la justice. N'était-ce pas une bonne position, à travers ce communiqué : «Alors que la guerre oppose cruellement deux jeunesses, l'Unef et l'Ugema entendent montrer aussi que le dialogue est possible et qu'il est seul susceptible de mettre fin à la guerre coloniale d'Algérie et d'aboutir à la paix» ? C'est un extrait du communiqué commun rédigé à Lausanne le 6 juin 1960. Cette modeste rétrospective historique – nous n'avons pas tout dit, bien sûr – montre que notre jeunesse n'a pas volé les éloges que le monde entier tenait à lui faire. Sa détermination au combat lui a valu ces titres de noblesse et ces qualificatifs qu'on ne formule qu'aux authentiques combattants de la justice et de la paix. Car, réussir à faire voter plusieurs organisations nationales et internationales des motions et des résolutions claires, percutantes, avant-gardistes, amener les jeunes du monde à crier à la face du colonialisme leur refus de la politique annexionniste et impérialiste, mettre les étudiants et les intellectuels devant leur responsabilité afin de se prononcer sur les actes qu'il était impossible de taire, leur demander d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés, c'est une performance digne des enfants de Novembre qui ont juré de rester debout, devant le plus abject régime de répression. Voilà ce qu'a engendré le 19 mai 1956, ce jour où des forces juvéniles ont décidé d'infliger à l'ennemi des revers sur les plans militaire et diplomatique...