Le champagne coule à flots mais gare à la gueule de bois: le titre historique de champion d'Angleterre décroché lundi par Leicester est source de gloire et de manne financière accrue, mais l'expose aussi à des dangers nouveaux. «Les gens n'ont pas encore la gueule de bois: beaucoup d'entre eux sont encore saouls», sourit Stacie, serveuse du Gourmet Cafe, au centre de Leicester. La veille, son équipe a accompli sans même jouer l'un des exploits les plus retentissants de l'histoire du foot européen : elle a été sacrée championne d'Angleterre grâce au match nul entre Chelsea et Tottenham (2-2), alors qu'elle semblait promise à la relégation en début de saison. Ce sacre récompense une saison menée tambour battant devant des géants comme Chelsea, Manchester United, Manchester City ou Liverpool, grâce à des joueurs de second rang devenus des stars: l'Anglais Jamie Vardy, l'Algérien Riyad Mahrez ou le Français N'Golo Kanté. «Je suis tellement impatiente d'être à la saison prochaine, s'extasie Chloe, une autre serveuse du Gourmet Cafe. Des touristes vont venir de partout grâce aux matchs de Ligue des champions. Leicester va se faire un maximum d'argent!» Elle n'est pas la seule à se faire cette réflexion : le club s'est réveillé hier assis sur un tas d'or qu'il lui faut maintenant gérer au mieux. Garder les joueurs «C'est un conte de fées comme seul le football peut l'écrire», s'est ébahi hier le président de la Fifa, Gianni Infantino. Le conte est certes beau mais il serait trompeur de caricaturer le nouveau champion en club sans le sou, puisqu'il est la propriété d'un milliardaire thaïlandais, Vichai Srivaddhanaprabha. Il n'en reste pas moins que Leicester, qui se débattait encore en 3e division il y a sept ans, est loin des cadors de la richissime Premier League sur le plan financier. En 2010, Vichai Srivaddhanaprabha avait acheté le club 51 millions d'euros alors qu'il était en deuxième division. Il est aujourd'hui valorisé à 552 millions d'euros. Ce qui est énorme mais reste très loin des deux clubs de Manchester, United et City, évalués à 3 milliards. Depuis, l'avisé homme d'affaires aurait cumulé 130 millions d'euros d'investissements dans son club, dont une centaine en achats de joueurs, quand Manchester City, par exemple, a dépensé plus d'un milliard depuis 2008. Après ce titre et dans la perspective de la très exigeante Ligue des champions la saison prochaine, ses joueurs sont le bien le plus précieux du club. «Leicester n'est pas une équipe qui va vendre des joueurs (...) Nous cherchons à créer les bases d'une équipe», a déclaré hier à la télévision thaïlandaise Aiyawatt Srivaddhanaprabha, vice-président et fils du propriétaire. «Tous les joueurs souhaitent rester et veulent voir jusqu'où ils peuvent aller», a assuré celui qui est surnommé Top. Les Foxes ont été inspirés en prolongeant jusqu'en 2019 Riyad Mahrez (décembre) et Jamie Vardy (février), dont la valeur dépasse désormais 40 millions d'euros. Ils auront par contre peut-être du mal à garder N'Golo Kanté, recruté l'an passé et aujourd'hui très demandé même s'il est lui aussi lié jusqu'en 2019. Et les autres piliers de l'équipe, les défenseurs Wes Morgan (fin de contrat en 2017), Robert Huth et le gardien Kasper Schmeichel (2018 pour les deux), voudront peut-être profiter d'une exposition à laquelle ils ne sont pas habitués. Droits TV Entre garder tout son monde, faire exploser sa masse financière en primes et prolongations ou ouvrir son groupe au compte-gouttes pour procéder à un appel d'air, l'équilibre est précaire. «Il va falloir prendre des joueurs confirmés qui connaissent le niveau» de la Ligue des champions, estime Tim Bridge, analyste chez Deloitte. De son côté, l'autre homme-clé du titre, l'entraîneur italien Claudio Ranieri, 64 ans, aimerait prolonger son contrat alors qu'il lui reste deux ans. Sur le plan financier, ce titre coïncide avec une nouvelle répartition encore plus avantageuse des droits TV de la richissime Premier League. Leicester, 14e du championnat l'an passé, avait reçu 91 millions d'euros de droits et généré 132 millions de revenus divers, dont 33 millions de bénéfices dans ce club bien géré. Cette saison, il devrait toucher 114 millions d'euros de la Premier League: en ajoutant les 30 millions minimum de participation à la Ligue des champions ainsi que d'autres revenus divers, la valorisation de son titre devrait lui rapporter 200 millions d'euros environ, calcule le cabinet Deloitte. Au bas mot, certains experts s'attendent à 30% de recettes supplémentaires. Mais les Foxes, qui évoluent dans une ville de 330.000 habitants et un stade limité à 32.000 places, doivent aussi éviter une trop soudaine crise de croissance. «Cette saison, le club a augmenté sa visibilité et peut attirer les sponsors», explique Spencer Nolan, analyste chez Repucom UK&I. «La clé maintenant, c'est d'optimiser ces atouts».