Les opérateurs algériens de téléphonie mobile commencent à ressentir les conséquences de la concurrence des «Over the top (OTTs)» ou services alternatifs. A mesure du déploiement de l'internet mobile, ils cumulent des manques à gagner. La gratuité des services alternatifs empiète sur leurs parts de marché de la téléphonie. Lyas Hallas - Alger (Le Soir) - «Je ne passe des appels téléphoniques que lorsque je n'ai pas de connexion», affirme Nadia, la trentaine, qui, selon ses dires, communique avec ses proches par le biais des différentes applications de voix sur IP installées sur son smartphone, Messenger, Skype, Viber, WattsApp etc. Ainsi, le déploiement de l'internet mobile commence à changer les habitudes de consommation des services de téléphonie en Algérie et les consommateurs des unités de la voix (commutées) recourent de plus en plus à ces «OTTs» (Over the top, services par contournement ou services alternatifs, ndlr) pour passer des appels ou envoyer des SMS. Ces services gratuits supplantent au fur et à mesure les opérateurs classiques qui vendent de moins en moins d'unités commutées. D'autant que le recours à ces applications n'est pas l'apanage des internautes mobiles mais, y compris les connectés de l'ADSL ou à travers le Wifi. Développés par des opérateurs qui n'ont pas le statut d'opérateur de téléphonie et qui n'ont aucune présence physique dans le pays, ces OTTs n'investissent pas dans le développement de l'infrastructure, ni pour la téléphonie mobile, ni pour l'internet mobile et ne paient pas de taxes. La neutralité du Net leur offre la possibilité d'exploiter les infrastructures des autres pour promouvoir leurs services. Manque à gagner «Comme tous les opérateurs au niveau mondial, nous subissons la concurrence des OTTs et ressentons d'importantes conséquences. Le point central est que les OTTs ne sont soumis à aucune réglementation alors que les opérateurs télécoms sont soumis à des nombreuses obligations : tout d'abord nous payons des montants importants pour obtenir des licences, ce qui n'est pas le cas des OTTs. Ensuite, nous investissons des centaines de millions de dollars pour développer nos infrastructures qui sont ensuite exploitées par les OTTs en «free rider» (passager clandestin, ndlr)», regrette-t-on du côté d'Ooredoo. Tout ou presque passe, désormais, par la voie IP au lieu de la voie classique des commutateurs. Il y a entre deux et trois milliards de messages qui passent chaque jour par des applications alternatives à travers le monde. La voix IP supplante la voix commutée. La gratuité de ces services alternatifs, qui utilisent l'infrastructure des opérateurs de téléphonie mobile, leur donne une importante audience qu'ils proposent aux annonceurs et brassent énormément de revenus grâce aux publicités. Des revenus qui échappent aussi bien au fisc qu'aux opérateurs de téléphonie mobile qui perdent d'importantes parts de marché. Djezzy ne voit pas d'inconvénients à cette concurrence des OTTs. Son chef de département des relations publiques et médias, Salim Tamani, estime que la problématique ne se pose pas en termes de manque à gagner : «La question ne réside pas dans un manque à gagner, loin de là, la téléphonie mobile a franchi une nouvelle étape depuis le lancement de la 3G. Nous sommes à l'ère de l'internet mobile qui arrive avec de nouveaux services afin de répondre aux attentes de nos 17 millions d'abonnés dont plus de 4 millions sont des clients data au 31 mars 2016.» Cet opérateur projette de faire le pari de l'innovation : «Nous sommes conscients que des applications à l'image de Viber, WattsApp Skype, Facebook et bien d'autres exploitent nos infrastructures, mais le défi d'aujourd'hui et de demain réside dans la création d'un contenu algérien qui puisse devenir, à moyen terme, une alternative aux réseaux sociaux d'envergure mondiale. C'est notre but à travers le processus de digitalisation que nous avons lancés.» En tout cas, il n'y a pas de données fiables quantifiant ce manque à gagner. C'est une question à laquelle les opérateurs hésitent à répondre. Mais ils se débrouillent, chacun à sa manière, pour réduire l'impact de la prolifération de ces applications sur leur marché. Selon un spécialiste du secteur qui a requis l'anonymat, en Algérie comme ailleurs, les opérateurs tendent à orienter le modèle économique vers le business de la data. Afin de compenser le manque à gagner qu'engendre l'incursion de ces applications gratuites sur leur terrain, ils augmentent la consommation de la data pour ces applications. Ils indexent ainsi ce manque à gagner dans le prix de l'«unité data» qu'il commercialise à travers ses offres de 3G. Même si les tarifs appliqués ne compensent en rien le manque à gagner dans le trafic des communications à l'international dont les usagers recourent quasi systématiquement aux applications gratuites. «Gagnant-gagnant» «Nous n'avons jamais indexé ces manques à gagner dans nos structures tarifaires, car notre objectif prioritaire reste de favoriser la démocratisation de l'internet mobile et de contribuer au désenclavement numérique. Mais les pouvoirs publics pourraient effectivement autoriser une tarification spécifique aux OTTs qui, tout en respectant le principe de neutralité du net et les nouveaux usages des consommateurs, permettrait de ne pas remettre en cause le développement à long terme des infrastructures de télécommunications», souligne-t-on du côté d'Ooredoo. A Mobilis, par contre, on pense qu'on peut utiliser les OTTs comme levier pour capter de la valeur sur les marchés et augmenter les revenus, qu'à défaut de pouvoir juguler cette concurrence déloyale, il vaut mieux utiliser ces OTTs comme argument de vente afin d'amener les usagers à consommer des applications plus gourmandes en data. Selon l'opérateur historique, la coexistence est possible dans un écosystème homogène qui permet au client final d'utiliser les services des opérateurs mobiles et des OTTs dans le cadre de partenariats négociés. «Pour mieux coexister avec les OTTs, les opérateurs doivent revoir leurs stratégies en appliquant un nouveau modèle économique basé sur le contrôle des offres et les services à différents niveaux d'usage, où la capacité et la vitesse de la data (3G & 4G) sont fournies sur la base des segments et des clients, grand public et entreprises», souligne-t-on. Et d'ajouter : «Les OTTs ont besoin des opérateurs mobiles qui assurent l'infrastructure réseau et le transport du contenu (voix et data), mais aussi qui détiennent des bases données qui constituent une mine d'information. De ce fait, les opérateurs mobiles et les OTTs doivent travailler ensemble sur un modèle économique à travers un partenariat gagnant-gagnant.» En effet, ATM-Mobilis inclut déjà dans ses offres des plans d'accès vers des OTTs, comme l'accès illimité 24h à Facebook, le Twiter USSD, le SMS Facebook, mais aussi avec la nouvelle offre WIN qui permet l'accès en illimité et à différents segments à Facebook, WattsApp et à d'autres services de contenus. L'offre la plus populaire est bien sûr l'offre dédiée à Facebook, réseau social le plus utilisé par les consommateurs algériens de la data, un forfait valable 24 heures que Mobilis commercialise pour 30 DA. Dans ce contexte, il convient de noter que, contrairement au principe fondateur d'internet, celui de sa neutralité, beaucoup de pays comme le Maroc ou les Emirats arabes unis ont carrément bloqué ces applications pour préserver les intérêts de leurs opérateurs. Cela ne paraît pas envisageable pour le moment en Algérie où les autorités publiques se sont exprimées sur le sujet, affirmant leur respect de ce principe qui constitue un prolongement de la liberté d'expression. La ministre du secteur Houda-Imane Feraoun a rassuré maintes fois les internautes que son département n'a nullement l'intention de censurer des sites ou des services internet quels qu'ils soient.