Par Ammar Belhimer [email protected] Hors de toute considération idéologique, il y a une raison essentielle pour laquelle il ne faut jamais laisser l'éducation aux charlatans : son impact sur la croissance. Celle-ci ne peut être durable et élevée qu'à la condition d'un système éducatif performant. Ce dernier y contribue par deux leviers fondamentaux : l'amélioration de la productivité du travail (amenant à un PIB en niveau plus élevé) et l'accroissement des capacités d'innovation de l'économie (amenant à un taux de croissance plus élevé). Sur cette relation, la théorie économique n'a pas l'ombre d'un doute depuis que Hanushek et Woessmann ont modélisé la relation entre le taux moyen de croissance et des mesures composites de qualité du capital humain en 2011. Il reste cependant à identifier «les réformes éducatives qui permettraient d'améliorer durablement et significativement les performances des élèves» par «des évaluations micro-économétriques et des calculs coûts-bénéfices». C'est ce que se proposent de faire Arthur Heim et Jincheng Ni, deux experts français de France Stratégie, dans une récente contribution théorique(*). Le lien établi sur 160 pays entre le PIB par habitant en 2009 et le nombre moyen d'années d'études des hommes de 25 ans et plus, à partir des données de l'Institute for Health Metrics and Evaluation (un institut de statistique sur la santé publique, à Seattle, dépendant de l'Université de Washington, et financé notamment par la fondation Bill-et-Melinda-Gates) et de la Banque mondiale, indique qu'une année d'études supplémentaire est associée en moyenne à un niveau supérieur du PIB par tête d'environ 30%. Reprenant les travaux d'Eric Hanushek - Professeur à Stanford et éditeur du Handbook of the Economics of Education 2011 - et d'autres institutions, comme le Washington Center for Equitable Growth ou l'OCDE, les deux auteurs de la Note d'Analyse reproduisent pour le cas français les calculs empiriques qui cherchent à évaluer l'impact sur la croissance à long terme d'une amélioration des performances du système éducatif. Ils se proposent, par ailleurs, «de discuter la validité de la méthodologie employée et plaident en faveur d'un conseil auprès des décideurs en matière de politiques éducatives qui s'appuient sur des évaluations micro-économétriques solides menées sur des expérimentations ou des réformes antérieures». La référence première ici renvoie à Eric Hanushek et Ludger Woessmann qui ont entrepris de «constituer une mesure de la qualité du capital humain à partir du niveau des connaissances acquises en utilisant les résultats de trente-six tests administrés, à douze occasions, aux élèves de près de cinquante pays entre 1960 et 2000». A la lumière de ces tests, on estime qu'un pays qui parviendrait à augmenter de façon durable son niveau de capital humain d'environ 100 points de score PISA(**)(ce score somme les performances en mathématiques et en sciences, après avoir initialement mis l'accent sur la lecture) verrait sa croissance rehaussée d'environ 1 point de PIB par an à très long terme (60 ans). Les travaux d'Hanushek et Woessmann ont été utilisés pour simuler ce qu'un pays gagne à augmenter le capital humain de sa population, via une réforme éducative. Il reste à savoir comment obtenir une amélioration de la performance éducative. Comme dans toutes les sciences humaines, là aussi il n'y a pas de schéma «clé en main» efficace d'allocation des ressources en éducation et les seules dépenses d'argent ou de recrutement de personnels n'assurent pas, à elles seules, une hausse des compétences des élèves. Des analyses plus fines doivent être menées pour déterminer l'impact de réformes éducatives spécifiques. Les arbitrages requis par les différentes alternatives de politiques éducatives suggèrent que soit couplée l'approche par le calcul socioéconomique des projets éducatifs à des travaux micro-économétriques analysant l'effet des politiques éducatives sur le niveau de compétences des élèves et leurs productivités futures. Une synthèse d'autres recherches indique quelques pistes de réformes intéressantes. A ce titre, il est suggéré des «interventions précoces intensives», c'est-à-dire une prise en charge des enfants bien avant l'âge de l'école dans des programmes axés sur le développement de l'enfant encadré par des professionnels expérimentés et fondés sur des cursus de recherche. Il est également suggéré des «dispositifs de remédiation comme les écoles d'été tôt dans la scolarité et même des tailles de classes réduites en cycle 1 (surtout en éducation prioritaire)». II est enfin relevé l'intérêt, comme cela s'est fait aux Etats-Unis, pour des «écoles à chartes (charter schools)» qui sont des établissements scolaires financés par l'Etat fédéral, mais agissant indépendamment du système scolaire public général. Elles sont une forme d'éducation alternative. Ainsi, «une réforme, en augmentant le score moyen des élèves, permettrait de réduire les inégalités scolaires augmenterait la croissance à long terme et réduirait les inégalités salariales», affectant incidemment la croissance et le développement. A. B. (*) Arthur Heim, Jincheng Ni, L'éducation peut-elle favoriser la croissance ? France Stratégie, La Note d'Analyse, n°48, juin 2016. (**) PISA, acronyme pour «Program for International Student Assessment» («Programme international pour le suivi des acquis des élèves» en français) est un ensemble d'études menées par l'OCDE visant à mesurer des performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Leur publication est triennale. La première étude remonte à 2000. Erratum Une erreur de manipulation technique nous a fait paraître dans notre édition d'hier, mardi 28 juin, la chronique de Ammar Belhimer («A fonds perdus») sous l'intitulé «Kiosque Arabe» et avec la photo de notre autre chroniqueur Ahmed Halli. En nous excusant auprès de nos lecteurs et nos deux amis, nous republions, aujourd'hui, et dans les conditions habituelles, le texte de Ammar Belhimer. Vous retrouverez, par ailleurs, la chronique hebdomadaire de Youcef Merahi en page 23.