Entretien réalisé par Abla Chérif Figure de la guerre d'indépendance, ancien responsable du commando Ali-Khodja, chef de la Zone autonome d'Alger, le commandant Azzedine est signataire du récent appel contre la spoliation du sigle du FLN. Il explique ici les raisons qui l'ont poussé à joindre sa signature à celles d'autres compagnons... Le Soir d'Algérie : Qu'est-ce qui vous a amené à signer l'appel pour la «délivrance du FLN» ? Commandant Azzedine : Vous savez, j'ai pris ma «carte» d'adhésion au Front de libération nationale en mars 1955. A ce moment-là, je répondais à l'appel lancé par les «Novembristes» au «peuple algérien et aux militants de la cause nationale». Cet appel est encore vivace dans ma mémoire...» A vous qui êtes appelés à nous juger...» disait-il et il m'a conduit sur le chemin de la liberté, il m'a libéré. Aujourd'hui, je ne pense pas que les femmes et les hommes qui ont fait leur, la proclamation du 1er Novembre soient insensibles au sort que connaît le FLN. Ce n'est pas la personne de Monsieur Saâdani de X ou de Y, militant de ce parti, qui m'attriste ou m'intéresse. C'est l'avilissement, je dirai même la profanation de ce sigle contre lesquels je m'insurge. La politique sans morale s'appelle machiavélisme, or le machiavélisme, s'il fait le bonheur de ceux qui le pratiquent ne fait nécessairement pas celui de l'Etat et de la Nation. Mais ceci est une autre histoire. Au nom du combat que j'ai mené sous la direction du FLN, je revendique le droit d'en défendre la mémoire. Notre appel ne parle pas des autres partis dont certains, vous en conviendrez, ne sont pas des parangons, en matière d'éthique ou de déontologie politiques. Dire que le FLN appartient à ses seuls «militants» est une balourdise, une ineptie sans nom. C'est confisquer au peuple algérien tout un pan de son histoire. Et quelle histoire ! Une histoire de laquelle ils étaient absents. Il ne s'agit plus de confiscation mais de vol ! Qui sont ces personnes qui ne sortent de nulle part et qui s'érigent en auriges d'un char qu'ils ne peuvent pas mener. La politique des petites phrases de ces messieurs de la dernière pluie ne saurait traduire autre chose que de la petite politique faite de grenouillages autour des élections et des candidatures pour des scrutins souvent connus d'avance. Certains signataires de ce texte estiment que cet appel peut aboutir. Quel est votre avis ? Il s'agit d'un «appel», il concerne de ce fait celles et ceux, parmi les Algériens, qui se sentent concernés par son contenu. Il s'adresse aux militants du parti qu'est devenu le FLN historique. Comme il s'adresse, également, à tous ceux qui considèrent qu'on ne privatise pas l'histoire nationale. Le Congrès de Tripoli de mai-juin 1962, qui s'est achevé en queue de poisson, puisque la séance n'a jamais été levée, et la Charte d'Alger de 1964 ont confié au FLN, qui venait d'achever dans l'honneur la mission qui lui a été assignée par les pères fondateurs en 1954, la mission nouvelle d'assurer la construction de l'Etat et de l'économie nationale. A cette époque et jusqu'à la Constitution de février 1989 qui consacrait le multipartisme, le pays vivait sous le régime du parti unique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Mais encore une fois, il ne s'agit pas du FLN qu'on a banalisé et desséché de sa quintessence, mais d'un sigle sanctifié par sa propre histoire, qu'on entache et qu'on avilit. Je vais vous poser une question : l'ANP n'a-t-elle pas hérité de la gloire de l'ALN ? Le nom a pourtant changé. Pourquoi n'en a-t-il pas été de même pour le FLN ? Je pense, et d'une manière totalement désintéressée, que les militants sincères de ce parti politique devraient se poser un certain nombre de questions qu'ils ne se sont jamais posées. Il n'y a guère longtemps, j'ai appris le mot syllogomanie. C'est à peu de chose près la difficulté qu'éprouvent ceux qui en sont atteints à se séparer de certains objets. Il faut aller de l'avant et se dire que le fait de changer d'attelage est un bienfait autant pour le cavalier que pour la monture : «Tebdil es serdjraha», comme on dit. Le FLN, comme le reste, a besoin pour assurer son éternité, d'être soigneusement rangé dans la mémoire collective de la Nation et les archives de l'Etat. Que pensez-vous de la réaction du Secrétariat général du FLN après la publication de cet appel ? Quoi de plus naturel qu'il réagisse, il a été directement interpellé. Eux qui, systématiquement, évoquent le confort de «nos salons», ont dû se sentir dérangés dans leur standing estival. Pour leur information, le salon de Azzedine est à Alger et pas ailleurs et surtout pas à Neuilly. Et comme on dit : «el hadith qiess». Je crois savoir, car comme eux je lis la presse, que des militants sincères et moraux très nombreux, heureusement, ont entamé le chant du départ pour tous les parvenus et «beggarine» qui ont utilisé ce sigle pour s'offrir carrosses et ceintures dorées. Certains d'entre eux ont évoqué les prochaines législatives et ont cru déceler dans l'opportunité de notre appel, l'intention d'agir et d'orienter le débat politique. Là n'était pas du tout notre dessein. De ce côté, ni machination ni préméditation. Toutefois, je pense sincèrement que c'est aller à l'aventure que d'y aller avec un tel personnel politique. Je vois d'ici la future législature si elle est infiltrée par de tels boucaniers. Je ne connais rien de plus nocif à la politique que sa collusion avec ce que l'on désigne par le terme générique de Monde des affaires, pour ne pas dire concussion. A ce petit jeu malsain, c'est toujours l'argent qui l'emporte et souille la gestion des affaires publiques. L'histoire regorge d'exemples où l'intérêt général a été immolé sur le «bûcher des vanités» allumés justement par des personnes, en tous points identiques à ceux que nous dénoncions dans notre appel. Vous vous dites inquiet face à la situation qui prévaut dans le pays... A dire vrai, je ne suis pas plus ni moins inquiet que les responsables qui dirigent le pays et qui, depuis plus d'une année, sonnent le tocsin en raison de la chute des prix des hydrocarbures. Donc, comme tout le monde, je m'interroge sur ce que sera demain et je me demande s'il y a, comme on dit, un plan «B» pour sinon adoucir le choc mais à tout le moins, amortir la chute. Que les dégâts soient limités et les avaries au bâtiment Algérie localisées et modiques pour garantir un redémarrage résolu et décisif. Les médiocres et les aventuriers planqués dans les différents rouages de l'Etat et de l'administration nous ont fait perdre un temps précieux dans une période cruciale. L'état du monde qui nous entoure est trouble, les équilibres économiques précaires, les situations politiques dépendant de vastes espaces où se tissent mais aussi se défilent des alliances parfois étonnantes. C'est dans des situations comme celles-ci que l'Algérie a besoin de ses compétences les plus solides et surtout de sa jeunesse. Il faut libérer toutes les énergies. Ce sont elles qui vont balayer les arrogants et les suffisants qui gravitent autour des sphères de décision. Cette situation de crise est vécue à des degrés divers. Le tissu social algérien est d'inégale résistance. La paupérisation risque de frapper encore plus fort les classes les plus défavorisées. Il faut, grâce au travail, mobiliser les imaginations fécondes, fertiles et créatrices qui vont neutraliser pour toujours les forces d'inertie. Quelle en sera l'issue à votre avis ? De deux choses l'une, soit nous nous asseyons tous dans un coin de notre vaste pays et nous nous lamentons sur notre sort, histoire de laisser passer l'orage, autrement dit, en attendant quelque miracle boursier qui va relancer le marché des hydrocarbures pour espérer retrouver l'aisance financière d'antan. Soit nous faisons face. Ce n'est pas la première fois qu'une crise liée au prix du pétrole nous jette sur le flanc. Souvenez-vous de 1986 ! En avons-nous tiré les leçons ? Toutes les leçons? Pas du tout. Ce qui a suivi est inscrit en lettres de sang dans l'histoire nationale. Aujourd'hui, si nous ne pouvons pas infléchir la politique internationale des coûts des produits pétroliers, nous pouvons assurément, sans l'ombre d'un doute, remettre les Algériens au travail. Quand je dis au travail, je pense au travail. Au travail effectif. Huit heures payées, c'est huit heures travaillées ! Nous ne pouvons pas décider seuls du prix du baril mais nous pouvons décider seuls, sans l'aide de personne de nous discipliner et d'en finir avec le bricolage, la corruption, le «takhti rassi». Que chacun s'occupe de cultiver son jardin, de balayer devant sa porte, d'en finir avec l'«idéologisme» stérile, le piétisme des écrans plasma. L'Etat n'est pas beylik, pas plus que l'Islam n'est un paravent pour la paresse et l'approximation spirituelle.