Par Karim Younès. L'histoire de notre pays a ses pages dorées ; ce sont des hommes d'une trempe exceptionnelle qui les ont inspirées, quand ils ne les ont pas écrites ; Hafid Kéramane est de ceux-là. A l'occasion du deuxième anniversaire de sa disparition, le 13 novembre 2012, il est de notre devoir de cultiver sa mémoire par la célébration et le recueillement. C'est le meilleur hommage que nous lui devons, à lui ainsi qu'à ses compagnons qui l'ont précédé. Né à Béjaïa en 1931, dans une famille d'intellectuels et de militants, Si Hafidh s'engagea rapidement dans le mouvement étudiant à Alger au sein de l'Association des étudiants musulmans d'Afrique du Nord (AEMAN). Il rejoindra très tôt les rangs du FLN au sein duquel il militera activement. A Paris, où il poursuit des études supérieures en droit et en sciences politiques, Hafid sera élu président de la Section de Paris de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) dont il est l'un des membres fondateurs. Il est également élu président de l'AEMNA (Association des étudiants musulmans nord-africains qui regroupait aussi les frères tunisiens et marocains). Parallèlement à ses activités estudiantines, Hafidh exerce des responsabilités dans les structures de la Fédération de France du FLN. Entre 1958 et 1960, il est nommé chef de la délégation du FLN en Allemagne fédérale (ainsi qu'en Autriche, aux Pays-Bas et une partie de la Belgique). En Allemagne, il n'était pas seulement le chef de la délégation du FLN, mais il est resté en même temps le militant de la Fédération de France du FLN, laquelle lui confiait des missions, lui allouait même un budget, notamment pour assurer la prise en charge et l'acheminement de nombreux militants algériens recherchés et traqués en France par la police colonialiste. Durant cette période, Hafid Kéramane et son fidèle collaborateur Si Mouloud Kacem (Allah yarhamou) ont tissé un large réseau de soutien en faveur de la cause algérienne, réseau composé de personnalités venant de milieux divers : politiques, syndicalistes, intellectuels, étudiants, jeunes, etc. Ils réussirent ainsi à mobiliser l'opinion allemande et à populariser la lutte et les objectifs du peuple algérien, avec le soutien notamment de Hans Jürgen Wischnevski, personnalité éminente du Parti Social-Démocrate allemand (S.P.D), grand et fidèle ami de Si Hafidh. Dans le domaine de l'information, Si Hafidh a participé activement à l'élaboration et à l'édition par la Fédération de France FLN d'un ouvrage portant le titre La Pacification et signé de son nom véritable, (alors qu'à l'époque, il était connu sous le pseudonyme de «Malek»). Acte de courage et d'engagement, lui qui est fiché par toutes les polices françaises et poursuivi pour ses activités politiques contre l'Etat colonial français. Cet ouvrage — traduit en une vingtaine de langues — rassemble des écrits et témoignages les plus significatifs sur les crimes génocidaires perpétrés par la France en Algérie. Au début de l'année 1960, Hafidh Kéramane est nommé chef de la Mission diplomatique du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en Tunisie, poste qu'il occupe jusqu'à l'indépendance. Après l'indépendance, Hafid Kéramane connaîtra une longue et brillante carrière diplomatique au service de son pays. Après avoir été récusé par le gouvernement français – alors qu'il était proposé par l'Algérie comme son premier ambassadeur en France – cela en raison de son ouvrage La Pacification, il est nommé ambassadeur en Allemagne fédérale. Puis comme ambassadeur au Brésil, en Iran, en Pologne, au Japon et aux Pays-Bas, enfin comme ambassadeur conseiller du ministre des Affaires étrangères jusqu'à sa mise à la retraite en décembre 2001. Si Hafidh s'est éteint le 13 novembre 2012. Ses compagnons et de très nombreuses personnalités nationales l'ont accompagné à sa dernière demeure au cimetière de Ben Aknoun. D'autres lui ont aussi rendu hommage par de nombreux écrits dans la presse nationale. Si Hafid Kéramane laisse à tous ceux qui l'ont connu ou approché le souvenir d'un grand militant du mouvement politique national sincère et totalement dévoué à son pays, acteur décisif de la guerre de Libération. Ainsi qu'en témoignent ses anciens compagnons de l'UGEMA, sa disparition constitue pour l'Algérie «la perte d'un valeureux patriote, d'un militant engagé, d'un grand commis de l'Etat qui, toute sa vie durant, a servi sa patrie avec un dévouement et une abnégation admirables, restant ainsi fidèle aux valeurs morales et aux idéaux patriotiques puisés dans son éducation familial». Repose en paix Si Hafidh, toi qui as si bien servi ta patrie. L'Algérie gardera à jamais dans sa mémoire les sacrifices de ses enfants qui ont mené le dur combat pour la liberté enfin retrouvée.