Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Les courants islamistes avaient-ils perdu progressivement le soutien des classes populaires au fur et à mesure que le discrédit affectait en parallèle le comportement politique du régime et que s'amplifiait la colère sourde d'une bonne partie de la société ? Sans doute que l'implication, quoique marginale, de certains de leurs leaders dans des pratiques peu avouables contribua à ce «lâchage» dont ils craignent qu'il aboutisse, à court terme, vers une exécution politique capitale. C'est-à-dire la mort par voie des urnes lors des élections générales du printemps prochain. Or jusque-là, cet aspect n'a été que rarement noté alors qu'il montre bien que son existence a toujours été subordonnée à son allégeance aux pouvoirs. C'était essentiellement de cet atout dont avait besoin très tôt l'actuel Président lorsqu'en septembre 2000 puis 5 années plus tard il lui fallait gagner par la voie référendaire le fameux pari de la drôle de paix civile. Depuis, d'autres nuages sont venus obscurcir les horizons de cette alliance dont on avait pensé un instant qu'elle était scellée par un véritable pacte idéologique. C'est que Bouteflika, ou plus exactement le «bouteflikisme» qu'il est en train de léguer à travers les «notaires» politiques qui l'entourent, ne serait dans le meilleur des usages qu'un empirisme sachant faire table rase des nécessités d'hier. Et c'est de cela qu'il s'était agi lorsqu'il sacrifia les islamistes à partir de 2009 à la veille de la conquête d'un 3e mandat puis d'un 4e, etc. La disqualification d'un certain Hamas encore incarné par Bouguerra Soltani en 2012 signifiait clairement qu'il ne devrait y avoir de courant de cette obédience que sur une base contractuelle avec le «système». La violence des modalités ayant affaibli la totalité du courant à travers la privation de sièges électoraux ne l'a, cependant, pas fait disparaître du débat public et du travail de conditionnement qui s'accomplit régulièrement à partir des tribunes (minbars) de la prière. Sans afficher son opposition radicale aux dangereuses pratiques du pouvoir, l'on constate par contre que l'ensemble de la mouvance demeure critique formellement. Voilà une prudente attitude qui pourrait être interprétée comme une manière de renouer avec le fameux entrisme que Nahnah inocula aux satellites de l'intégrisme en tant que voie médiane à emprunter afin de parvenir au centre de la décision. D'ici à ce que l'on s'attende à ce que Bouguerra parvienne à déstabiliser Mokri, qu'il accuse d'ailleurs d'avoir laminé la visibilité du MSP à la suite d'une somme d'erreurs sans ses appréciations politiques, paraît tout au moins hypothétique sauf si le palais y trouvait un quelconque intérêt à cette opération de chaises musicales. Actuellement, bon nombre d'observateurs constatent tout de même que l'islamisme politique commence à se manifester en tant que tel et serait même en train de se repositionner en douceur à travers les commentaires de l'actualité nationale. Or, l'interventionnisme dont il est question actuellement ne relève au mieux pour ses auteurs que du «buzz» pour amuser la galerie. C'est-à-dire qu'il est le produit de micro-clubs agréés qui trouvent une opportunité politique pour propager la rumeur concernant uniquement le «mammouth» de l'éducation nationale. Car contrairement à ce que l'on croit, les courants politiques à connotation religieuse ne sont pas foules et se réduisent, en définitive, au machin créé par le DRS qu'est le MSP et El Islah dont l'ancrage est réel dans l'humus social des villes moyennes et des campagnes. En réalité, l'islamisme en tant que doctrine sectaire n'a existé qu'à travers Djaballah, le fondateur de cette «Nahda» qui allait être rebaptisée El Islah, à la suite d'un complot, puis le FJD (Front pour la justice et le développement). C'est que son prédicateur demeure le dernier «historique» véritable de la mouvance qui s'était structurée au début de la décennie 1990. Aux côtés de Abassi Madani et de Nahnah, il s'était alors donné des allures de fondamentaliste totalement «à part». Postures qui, d'ailleurs, allaient lui servir dans sa promotion politique en lui assurant par la suite une longévité légale étonnante. Ce mutant moitié imam et moitié tribun sur le modèle messaliste n'a d'ailleurs jamais hésité avant de changer d'enseigne à sa boutique. En juillet 2011, il rebaptisait El Islah en lui donnant cette fois l'acronyme très neutre du FJD. C'est ainsi que par ruse politique, il décide de passer des identités en forme de «crédos» mystiques au relookage sémantique tout à fait passe-partout. Exit donc tout ce qui rappelle les casseroles suspectes qu'évoquaient Enahda ou El Islah. Place au républicanisme pur sucre dont le vocable «front» affirme la volonté de fédérer lorsqu'on a été longtemps le représentant peu recommandable du sectarisme des dévots. Formellement, il parvint à se prémunir contre la censure administrative ; mieux encore, il réussit sa transition au moment où Aboudjera et le MSP étaient en délicatesse avec l'alliance qui gouvernait. Or, cette étonnante résurrection a été interprétée comme une offre de service auprès du palais. Déclinant à tout-va son souhait de participer au «développement», n'y a-t-on pas vu en ce parti le substitut idéal du MSP au sein de la troïka de l'exécutif (FLN-RND) ? Le forcing capotera pour plusieurs raisons dont celle de la subite dégradation de la santé du Président en avril 2013. Convaincu de la gravissime nécessité d'épurer les structures et les appareils politiques auxquels il reprochait leur tiédeur à son égard et même quelques énervements, au moment où l'idée d'un 4e mandat commençait à lui plaire, Bouteflika ordonne de couper les têtes qui dépassent. Sans difficulté, il parvint à envoyer à la retraite le falot de Soltani et même à gommer le MSP de son cercle. Puis, comme on s'en souvient, vint le tour d'Ouyahia et Belkhadem. Cependant, le bilan de l'opération ne fut irrémédiable, en terme de représentativité, que pour le MSP. Alors que le RND et le FLN allaient conserver les pré-carrés de leur influence dans les assemblées et même au sein de l'exécutif, le parti de Nahnah est totalement écarté. Cette décapitation quasi politique datant d'avril 2012 est justement significative du pragmatisme du régime à verrouiller totalement toutes les portes permettant «l'entrisme» aux islamistes. Mais, dira-t-on, il y eut TAJ et son Amar Ghoul ! Mais de qui parle-t-on ? De quelle chapelle venait-il ? N'était-il pas un modeste séminariste défroqué ? En somme, l'islamisme politique n'est déjà plus un projet d'Etat, au pire, il fera encore de l'agitation sur commande lorsque ceux qui nous gouvernent souhaitent diffuser de la peur pour tétaniser la société. Comme quoi, il n'est désormais de véritables islamistes que celui qui agit comme Daesh !