Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Les islamistes sont-ils en train de se repositionner dans l'attente du grand chamboulement au sommet de l'Etat qu'ils estiment d'ailleurs inéluctable ? Même si pour le moment rien n'indique que ce fameux processus se rapproche de sa mise en route, l'on peut néanmoins spéculer à partir des récentes indications fournies par le déploiement inattendu de certaines figures de référence de cette nébuleuse. Car combien même il est difficile de trouver des similitudes dans les démarches de Madani Mezrag et Abdallah Djaballah, l'on doit quand même s'étonner de la simultanéité de leur récente incursion dans la scène politique. Eux qui connurent des éclipses personnelles s'expliquant différemment, sont-ils cette fois-ci de connivence pour occuper l'opinion, chacun selon ses prédispositions ? De l'ex-terroriste, l'ont doit se contenter des anathèmes quand de la part du prédicateur, l'on reçoit des «appels». Encore que s'agissant du soudard mal repenti, il lui était simplement reproché le fait de tenir, sans autorisation préalable, un séminaire auquel participaient les troupes qui écumèrent en sa compagnie les montagnes. Se prévalant d'une inexplicable immunité, ne laisse-t-il pas entendre qu'il demeure un acteur prépondérant dans la vie publique du pays ? Or, pareille posture faite de morgue suscite la plus terrible des perplexités notamment lorsqu'on constate que la puissance publique (ministère de l'Intérieur) fait le dos rond en n'estimant pas nécessaire de riposter au nom de la wilaya de Mostaganem. Sans doute que ce mauvais Zapata des maquis islamistes surjoue délibérément sa petite notoriété de grand négociateur de la réconciliation en 2001 dans l'unique but de bénéficier de nouveaux avantages. Ceci étant dit, concernant les pénibles écarts de Madani Mezrag, qu'en est-il par ailleurs de l'infatigable agitateur qu'est Djaballah ? Pour être précis dans le questionnement cherchons plutôt ce que signifie son come-back après une dernière éclipse remontant à 2011. A travers les quelques bribes rapportées dans les comptes rendus de la presse, l'on peut aisément comprendre qu'il reprend son bâton de pèlerin en plaidant pour la nécessité des seuls «frères en islam militant» de se rassembler afin de re-cimenter le courant de pensée qui est le leur et de tirer justement les leçons de cette «diversité» dépassée (FIS, Hamas, Nahda, etc...) qui leur a été préjudiciable. En termes ne souffrant d'aucune équivoque, il s'empare des multiples segments existant dans le champ politique et se revendiquant essentiellement de la doctrine de la foi pour reconfigurer un «bloc» (El Koutla) capable de peser réellement dans les rapports de force. Intelligemment, il estime que le modèle turc d'Akapi, dont notamment Benkirane (Maroc) et le Nahda tunisien en avaient perçu les avantages, devrait en bonne logique pouvoir s'imposer en Algérie. De ce point de vue, il faut avouer que sa stratégie n'est pas si mauvaise que cela pour sa famille idéologique. En effet, il est notoire que la capacité de mobilisation des islamistes est grande et qu'elle se dédouble de la discipline de réseaux tant il est vrai que ces derniers fonctionnent en permanence dans les mosquées. En homme politique de grande expérience (25 années), Djaballah est sûrement celui issu de la mouvance islamique qui s'efforce de faire des projections en tenant compte des revers subis en Algérie mais également de la dérive meurtrière de réseaux internationaux avec lesquels certaines obédiences d'ici ont tissé des liens de complicité. L'on peut même affirmer qu'il demeure le dernier véritable «historique» des chouyoukh qui ont structuré l'islamisme au début de la décennie 1990. Il entama son parcours aux côtés de Abassi Madani et Nahnah mais avec une aversion marquée pour Benhadj. Et c'est de cette farouche hostilité à l'option des armes qu'il s'était forgé une réputation de fondamentaliste «à part». Une singularité qui lui servira souvent et lui assurera une longévité politique appréciable. Cependant, loin d'être un parangon dans le respect de l'éthique, il est également connu pour exceller dans les coups tordus au sein même de ses successives «familles» partisanes. Ceux qui, par exemple, l'accompagnèrent lors de la création d'El Islah après avoir été dépossédé de son premier parti qu'était Ennahda ne se doutaient pas qu'il était un cannibale politique. Ils l'apprirent à leurs dépens. Tant il est vrai que rien ne pouvait altérer ses ambitions y compris un mauvais procès en 2006 lorsque Zerhouni, alors ministre de l'Intérieur, orchestra une compagne de dénigrement à son encontre le traitant «d'illégal et de voyou en politique». Passant d'un parti à un autre n'accoucha-t-il pas d'un troisième en 2011 qu'il baptisa FJD (Front pour la justice et le développement). Réhabilité politiquement grâce à sa nouvelle dotation il y a quatre années, l'on peut supposer que son retour à une certaine visibilité répond à des besoins émanant du palais. Il est vrai que cet imam politique a toujours possédé un talent indéniable pour se rendre indispensable quand les saisons des manœuvres pointent à l'horizon. D'ailleurs pour la petite histoire le concernant, il aurait pu parvenir au premier cercle du pouvoir n'eut été une certaine rivalité avec le MSP. Effectivement, il est intéressant de rappeler sa fonction de «médiateur» entre la mouvance et le pouvoir dès avril 1999. Devenu par la suite la pièce maitresse dans l'échiquier du régime aux temps de la réconciliation et de la concorde n'a-t-il pas dopé par son éloquence l'adhésion aux référendums ? Admis, en guise de récompense, à concourir aux présidentielles de 1999 et 2004, il avait pourtant gardé une certaine retenue dans ses engagements. En s'imposant justement sous les traits d'un politicien madré sachant évaluer au trébuchet la différence qu'il y avait entre les modestes faveurs du compromis et les dangereux clinquants de la compromission. Alors que le pouvoir a finalement épuisé tout ce qui existe dans le magasin des islamistes pourquoi ne se déciderait-il pas à solliciter celui qui s'est toujours efforcé, maladroitement souvent, de ne pas trop s'impliquer avec le «système» ? In fine, celui qui demeure le dernier bastion susceptible de s'opposer aux courants républicains à connotation para-laïque. Or, si cette hypothèse venait à se vérifier, Djaballah serait alors l'ultime radeau du bouteflikisme quand de toutes parts son solde de tout compte est exigé.