Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Parmi les termes qualifiant l'instance qui doit dorénavant superviser les élections, il y a certainement un vocable qui est inexact : celui qui affirme qu'elle sera indépendante. Car comment la classe politique doit, à l'avenir, apprécier la fameuse «neutralité » de cet organisme alors qu'aucun élément de sa composante n'a été l'objet de concertations et dont elle aurait dû être l'unique responsable des nominations en son sein ? La procédure choisie par le pouvoir s'avérant tout à fait contraire à ses propres professions de foi et de surcroît grossièrement méprisante à l'égard de la classe politique, l'on constate cependant qu'elle ne suscite qu'une timide réprobation du côté des formations se prévalant du rôle d'opposants. Ainsi, face au mandarinat du binôme FLN-RND qui, à lui seul, possède la majorité numérique dans les deux Chambres du Parlement, les partis officiellement hostiles se contenteront à l'avenir de jouer aux faire-valoir avant de passer à «autre chose» après chaque session. Et c'est cette image d'une opposition molle et parfois quasi-complice dans la validation de certains projets de lois qui contribuent cycliquement à la désaffection de l'électorat. Trop compromis par les calculs d'appareils et la tentation des maroquins, ils ont peu à peu détruit la véritable pluralité partisane qui était en gestation deux décennies plus tôt. Après la prodigieuse période (1989-1999) marquée par une brève adhésion de l'opinion, des doutes apparurent aussitôt dans le sentiment général. C'est dire que cette séquence a été surtout un marqueur négatif dans la configuration du champ politique. Une parenthèse de plusieurs années au cours desquelles, les libertés publiques sortirent exsangues au point de constituer une opportunité pour le pouvoir afin d'asservir les formations ayant survécu à l'échec général. Un huis clos se mit alors progressivement en place à l'intérieur duquel l'étalonnage des partis se résumera cyniquement à la négociation des quotas au sein des assemblées et dans la compromission directe qu'illustrera la participation aux affaires publiques des partis de l'opposition, récompensés par des strapontins de ministres. Un théâtre d'ombres se mettait alors en place, attribuant des rôles dans la confortation du régime en échange de grands silences. C'est-à-dire de petites trahisons. Le constat était amer en ce temps-là, notamment dans l'électorat qui commençait à rechigner à se servir du bulletin de vote afin d'exprimer son mécontentement du pouvoir mais pas seulement ! C'est qu'à mesure que l'abstention prenait de l'amplitude au point d'être clairement qualifiée de boycott civique, cette dissidence ne visait pas seulement les malversations du régime. Elle pointait aussi du doigt l'opportunisme détestable des formations qui se concilièrent avec les fausses urnes. C'est ainsi que, loin d'être un discours persuasif, la rhétorique de cet agrégat d'appareils a fini par inspirer un sentiment différent. Peu importe sous quel label l'opposition partisane se présente de nos jours, mais le fait qu'elle ne bénéficie que d'une crédibilité mesurée renseigne justement sur le tarissement massif des bassins sociologiques où se recrutent des sympathisants. D'ailleurs, depuis une dizaine d'années, la désaffection largement partagée dans le pays n'a jamais été démentie par un seul scrutin. Cette récurrence de l'échec est régulièrement vérifiable à travers les émouvantes tentatives de l'Etat de convaincre l'électeur de se rendre aux urnes. Un discours officiel qui recycle les mêmes slogans que sont «transparence » et «élections libres» ne signifiet- il pas que l'on s'attend à une énième «désertion» électorale ? Autrement dit, des engagements qui sont, paradoxalement, les imparables aveux de ce qui s'était commis antérieurement. C'està- dire, le truquage des urnes lors du précédent scrutin ! Cela s'appelle le piège des évidences qui vous accusent a posteriori lorsqu'on veut en faire une nouvelle promesse. En effet, «ce qui va de soi» a-t-il besoin d'être mis en exergue de cette façon ? Or, que fait-on d'autre si ce n'est de rassurer l'opinion en lui «certifiant» faussement que le pouvoir a décidé de rompre avec les procédés du passé et qu'il est disposé à jouer à la transparence. Seulement, la vérité des chiffres va lui permettre de ruser en expliquant l'abstentionnisme par le discrédit qui frappe le multipartisme exclusivement. Or, l'argument avancé n'est pas tout à fait erroné. Sans doute que la désagrégation des libertés politiques est en partie imputable à la faune qui s'est emparée démesurément de la parole contradictoire émanant de la société sans pour autant qu'elle fût en mesure d'en faire un credo partisan. Par contre, l'on doit se demander comment elle a pu imposer sa pollution sans la bénédiction (la corruption) du pouvoir. Il est clair que c'est sous l'actuelle présidence que les législatives et tous les scrutins intermédiaires connurent le plus implacable laminage. C'est ainsi qu'à partir de 2002, la Chambre des députés était devenue le cénacle des murmures où pas une seule voix ne devait manquer pour bricoler des «oui massifs». Ce sont donc les travers de ce régime qui furent à l'origine du découragement de l'électorat. La succession des votes boudés était avant tout la conséquence d'un ressentiment national. Celui d'avoir découvert le côté sombre d'un pouvoir manipulateur au-delà de toute décence. Un terrible constat qui vaut une désagréable interrogation civique. Que faire d'un bulletin de vote alors que la défiance est de règle ? Tant que cette requête est formulée par plusieurs millions d'électeurs, il y a lieu de croire que, désormais, la citoyenneté de combat commence à prendre le dessus sur la docilité légendaire des sujets. Il est vrai que le pouvoir à bout de souffle n'a plus actuellement la possibilité de recourir aux incantations publiques qu'il avait souvent exprimées sous la forme d'injonctions. En clair, alors que la crainte a changé de camp, l'on se demande pour quelle raison les partis de l'opposition ne se saisissent pas d'une telle opportunité historique afin d'accoucher d'une forme de diktat démocratique qui consiste à mener campagne pour l'abstention ? Celle qui doit être la seule voie républicaine pour survivre après la fin de ce régime. Voire plus si de nouvelles affinités électorales venaient à éclore dans le futur. Car l'électorat de 2016, n'étant plus dupe face aux promesses de campagne, il sera dans sa majorité absent des isoloirs au prochain scrutin et en même temps présent avec l'ironie de ses commentaires lors de la lecture des scores accordés par l'administration aux formations disposées à jouer aux derniers supplétifs d'un régime.