Mahieddine Khelifa est avocat de profession, mais voilà qu'il nous sort un «bouquin» assez copieux tant en pagination que dans les péripéties d'«une famille juive en terre d'islam» qu'il découvre «par hasard» dans un vieux manuscrit. C'est d'ailleurs l'intitulé du livre qui se lit avec une curiosité teintée d'un certain malaise quant au beau rôle qu'il alloue à cette famille juive algérienne. Il s'en expliquera dans cet entretien qu'il a bien voulu nous accorder en nuançant toutefois son propos afin de tempérer le feu de nos questions et ne pas être mal compris au risque d'être étiqueté par des gens malintentionnés. Ce Manuscrit est aussi une fresque déroulée sur trois grandes étapes : arabe, turque et française, cette dernière étant la plus funeste ! Il se veut aussi un récit historique et son mérite est dans sa richesse parce qu'il nous apprend, sans être assommant, des faits le plus souvent ignorés mais qui nous concernent nous Algériens d'hier et d'aujourd'hui. Au-delà du sempiternel débat sur les ashkénazes et les sépharades hégémoniques et racistes envers ceux-ci ainsi qu'à l'endroit des juifs falashas, il laisse songeur dans ses révélations sur les crimes commis par l'Etat d'Israël, les centaines de villages rasés... «Un Etat appelé à disparaître... historiquement, lorsque cette région ne présentera plus un intérêt stratégique pour les USA.» Le Soir d'Algérie : Près de 400 pages pour relater la saga d'une famille juive en terre d'islam grâce à un manuscrit découvert par hasard dans le grenier de la villa de votre ami intime Daoud, qui va s'avérer être juif. Une approche sans doute classique pour introduire un sujet qui vous tient visiblement à cœur et qui ne manque pas de susciter en nous diverses interrogations. Cela prouve que vous touchez là à un sujet très sensible, pourtant courant, dans les pays musulmans et qui n'a donc rien d'insolite... Mahieddine Khelifa : Il convient dans un premier temps de rappeler que cet ouvrage est un roman historique où la réalité côtoie l'imaginaire. Je le fais démarrer au XIIe siècle, dans la ville de Sidjilmassa (sud marocain), aujourd'hui disparue. Depuis mon jeune âge, j'ai été sensible à l'injustice faite aux Palestiniens. C'est ce qui m'a amené à m'intéresser à tout ce qui touche au Moyen-Orient et particulièrement à la Palestine, de même qu'à la greffe de ce corps étranger, que constitue l'Etat d'Israël, dans cette région du monde. Bien sûr, lire Le manuscrit est un régal d'abord de par sa bonne tenue littéraire et surtout la richesse des informations que vous mettez à jour dans le style du roman historique. Ça devait être pour vous un vrai challenge de vous y attaquer avec autant de précisions... Ce roman est la synthèse de plusieurs années de lecture et c'est la raison pour laquelle j'ai voulu en faire profiter le lecteur, notamment dans le rapprochement entre la langue berbère et la civilisation égyptienne et la religion hébraïque. Une remarque toutefois qui saute aux yeux : l'absence totale de références bibliographiques ou de renvoi en bas de page, comme il est de tradition dans ce genre d'écrits, pour plus de crédibilité ? Ayant considéré que cet ouvrage était avant toute chose un roman historique basé sur une fiction, j'ai pensé qu'il n'était pas indiqué de donner des références bibliographiques. Cependant, il n'en demeure pas moins que certains faits historiques relatés dans ce roman sont réels et avérés. Il est le résultat de mes nombreuses lectures. Dans cet esprit, permettez-moi l'expression «téméraire» s'agissant de certaines de vos conclusions sur les origines amazighes de certains noms ou locutions pratiquées dans l'Egypte ancienne et qui ont toujours cours comme Egypte, «Misra», fils de Ra, le dieu soleil, etc. Vous investissez un domaine de spécialistes sans être ethnologue ? Il est vrai que je ne suis pas ethnologue, ni linguiste d'ailleurs, mais je pense qu'un avocat, qui se respecte se doit de maîtriser son dossier. Il faut savoir que la démonstration qui est faite dans l'introduction est une conclusion personnelle à laquelle je suis parvenu pour montrer l'influence de la langue berbère tant vis-à-vis de la civilisation égyptienne que de la religion hébraïque. Etant entendu que la langue berbère est antérieure aux deux. Mon point de départ a été le fait que les grands égyptologues admettent que du temps des Pharaons, il y avait une dominante de parler berbère. Jean-François Champollion n'a pu faire le lien car il est mort en 1832. Bien que connaissant l'arabe et le perse, il n'a pas pu s'intéresser au berbère pour faire le lien entre cette langue et les hiéroglyphes. Il a néanmoins eu l'intuition de faire un lien entre le mot «mice» et la filiation au travers le cartouche de Ramsès. C'est donc à partir de cette base que j'ai pu faire le lien entre certains mots berbères et la civilisation égyptienne et la religion hébraïque. Nous ne devons pas perdre de vue que le berbère est l'une des plus anciennes langues parlées du bassin méditerranéen : le grec et le latin qui étaient porteurs de grandes civilisations ont disparu, pas le berbère. Ainsi «Mis Ra» veut bien dire «fils» de Ra, et «Anekhi» veut bien dire en berbère : «Je suis.» Or, dans la Thora, la première parole prononcée par Dieu en s'adressant à Moïse est «Anekhi Yahvé, Aléhoka» (Je suis Yahvé, ton Dieu). C'est la raison pour laquelle le Talmud considère que «Anekhi» qui veut dire je suis est considéré comme le mot des mots, et c'est un mot berbère ! Je fais le même lien avec d'autres mots dont «amen» qui veut dire en berbère «les eaux» (référence à l'océan primordial d'où est né Ra dans la cosmogonie égyptienne) et qui a donné ce qui ponctue les prières dans les 3 religions monothéistes). Il est vrai aussi que de par votre métier d'avocat vous défendez bien vos thèses à ce niveau. Moins cependant pour ce qui concerne la communauté juive à laquelle vous faites la part belle puisque vous la présentez très favorablement. Sénatus-consulte de Napoléon Bonaparte (1865), décret Crémieux — 1870 — (appliqué en Algérie seulement faut-il le préciser et aboli par ailleurs en 1941 sous Vichy), l'affaire du capitaine Dreyfus (France !). Vous nous dites qu'ils n'ont pas sauté de joie à la promulgation de cette loi qui leur donnait la citoyenneté d'office et pour preuve, ils n'y ont pas adhéré en masse... Je ne fais la part belle à personne. Ce que je relate, sous forme de fiction basée sur des faits historiques, sont des faits réels fondés sur des recherches que j'ai pu mener au travers de nombreuses lectures de livres sur la question. Je ne favorise aucune communauté par rapport à une autre. Je m'appuie sur des faits historiques indiscutables qui montrent que ces deux communautés vivaient en symbiose et en paix en terre d'islam, contrairement à ce qui se passait alors en Europe. En donnant la citoyenneté française à la communauté juive, il est clair que le but premier de la puissance coloniale était de diviser pour régner. Ce serait plutôt les Algériens qui y ont accouru pour demander la nationalité française... Non, ce ne sont pas les Algériens qui ont accouru pour demander la nationalité française. Les exemples que je donne sont basés sur des faits réels mais cela veut tout simplement dire, d'une part, que les opportunistes ont toujours existé et d'autre part, que le colonisateur ne respectait même pas les lois qu'il promulguait. Mais le récit montre que la très grande majorité rejetait cette offre. Les demandes de naturalisation étaient très rares et représentaient un pourcentage non loin du zéro (par rapport à la population). Des témoignages et des écrits de la fin du XIXe siècle, au moment fort de la dépossession des Algériens de leurs terres, les hypothèques comme moyen d'expropriation, rapportent que nombreux étaient les juifs qui rachetaient leurs dettes pour ensuite s'accaparer de leurs terres et les revendre ? C'est tout à fait exact. Mais peut-on empêcher ou reprocher à un homme d'affaires qu'il soit de confession juive, chrétienne ou musulmane de s'enrichir sur le dos de son prochain ? Ce n'est pas propre à une région, une communauté ou une religion. Ce sont des comportements qui font que dans le domaine des affaires, l'homme est un prédateur pour son prochain. Il reste que les Algériens, dans le déni de tous les droits, étaient choqués de voir leurs voisins de confession juive devenir, du jour au lendemain, citoyens français avec les mêmes avantages que les colons européens ! Un fait d'histoire qui n'est pas prêt d'être oublié ? La très grande majorité des juifs d'Algérie s'est rangée dans le camp du plus fort. Cela aussi, c'est un fait historiquement indéniable. Plus grave, les juifs (mis à part quelques individualités dont des communistes, syndicalistes et libéraux) ont pris fait et cause pour la France coloniale sous la conduite de leurs grands rabbins... Ceci montre bien que le travail de division entrepris par l'occupant a porté ses fruits puisque la grande majorité est tombée dans ce piège au point de couper les ponts entre ces deux communautés ayant vécu durant des siècles en symbiose et en paix entre elles. Cela nous ramène ainsi aux temps présents avec le débat récurrent sur les juifs algériens dont vous datez la judaïté au XIIe siècle et d'un autre côté à deux millions d'années. La confusion ne fait que s'épaissir ? Alors dites-nous... Non. Je ne date pas la judaïté des juifs algériens au XIIe siècle et encore moins à deux millions d'années... Je dis que l'exode des prêtres monothéistes (qui ont traversé le Sinaï, d'où le nom qu'ils se sont donnés «Abaru», hébreux), pour s'installer en terre de Canaan, se situe aux environs de 1350 avant J.-C. C'est là le départ de la religion monothéiste initiée par le Pharaon Anekhi Adon (Akhenaton) (Je suis Adon, ce qui explique que dans la liturgie hébraïque, le nom de Yahvé est remplacé par Adon ou Adonaï). Pour comprendre la signification du nom de ce Pharaon, il faut donc se référer au berbère et non aux interprétations farfelues données par certains égyptologues... Ce qui est paradoxal dans Le manuscrit est la place que vous réservez aux Algériens si ce n'est comme toile de fond de L'Histoire d'une famille juive en terre d'islam ou un tremplin à la saga décrite dans votre roman, où, il est vrai, la fiction est prépondérante... Comme l'indique le titre de l'ouvrage, il est question de l'histoire d'une famille juive en terre d'islam. Je ne raconte pas l'histoire d'une famille berbère de confession musulmane. L'intérêt d'un tel roman réside dans le fait que cette communauté a vécu dans notre pays et que certains événements ont fait qu'elle a quasiment disparu de la société algérienne à l'inverse de nos voisins immédiats. A la réflexion, on aurait attendu de vous de nous entraîner aussi passionnément dans une autre saga, celle d'une famille algérienne avec force détails, une façon de nous rafraîchir la mémoire sur ce que nous fûmes dans l'adversité d'une histoire mouvementée et le plus souvent dramatique... On peut raconter l'histoire de cette famille algérienne à travers l'histoire avec moult péripéties. La lecture de cette interview pourra sans doute donner cette idée à nos jeunes écrivains. Les documents existent et il suffit de beaucoup de recherches mêlées à un peu d'imagination pour qu'un tel sujet soit abordé avec intérêt. Aujourd'hui, ce sont les Palestiniens qui sont chassés de leur terre, subissent l'épreuve de l'épuration ethnique avec des moyens sophistiqués de destruction massive sous les regards impuissants ou indifférents des ashkénazes ? Tout à fait. Cette épuration et ces massacres ne se sont pas déroulés sous les seuls regards des peuples impuissants du tiers monde mais avec la bénédiction et la complicité de la soi-disant «communauté internationale» qui, pour laver sa lâcheté devant les crimes nazis, a puni le peuple palestinien en greffant sur sa terre le corps étranger d'un Etat sur la terre de Palestine. Il ne faut pas oublier le rôle machiavélique joué par l'Angleterre et sa fille (les USA), mais aussi par la France dans le découpage de cette région du monde. C'est cette partition qui a été et est à la source de tous les problèmes que vivent les peuples du Moyen- Orient. Le blocus mortel de Ghaza, la Cisjordanie réduite à une portion de territoire qui va en s'amenuisant, le recours à la répression pour étouffer toute résistance, la faim, les morts au quotidien, les accords de paix vidés de leur contenu, etc., font que cela relève de l'imaginaire de faire le distingo entre un juif et un sioniste ? Pour vous, telle est la réalité ? Historiquement, l'Etat d'Israël est appelé à disparaître de la région. Les WASP (White Anglo Saxon Protestants) (USA et Angleterre) n'aiment pas les juifs. Ils sont en train de les pousser dans un chemin sans issue en bloquant l'application de toutes les résolutions de l'ONU. L'Etat palestinien n'est plus viable en raison des nombreuses colonies implantées comme des abcès sur les terres palestiniennes. Ce morcellement a été voulu et encouragé par ces deux puissances. Lorsque cette région ne présentera plus un intérêt stratégique pour les USA, ils créeront les conditions pour obliger l'Etat d'Israël à donner leur accord pour la création d'un seul Etat comme ils l'ont fait pour l'Afrique du Sud. Pour l'heure, ils font jouer à Israël le rôle de l'idiot utile. Lorsqu'ils l'auront compris, ce sera trop tard. B. T. [email protected] Le manuscrit. Histoire d'une famille juive en terre d'islam — 390 pages — Editions Gaïa.