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RACHID KHETTAB, ECRIVAIN-EDITEUR
«Un devoir de mémoire pour ces Européens d'Algérie»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 10 - 2016

«Ce travail est pour moi un devoir de mémoire qui me réconforte dans mon espoir en un monde plus fraternel auquel ces hommes et ces femmes ont cru.» Voici donc, résumées, les motivations qui ont animé Rachid Khettab. Il a bien voulu, pour les lecteurs du Soir d'Algérie, revenir sur le thème central du livre-référence, en l'occurrence Frères et compagnons, un dictionnaire biographique d'Algériens d'origine européenne et juive, et la guerre de Libération. Sur ce sujet, notre invité nous en dira plus. En outre le matériau est de bonne facture pour le plaisir de la lecture.
Le Soir d'Algérie : Né en 1955, vous n'avez vraisemblablement pas fréquenté les personnes dont vous parlez dans votre livre Frères et compagnons sur les Européens d'Algérie engagés dans la guerre de Libération...
Rachid Khettab : Effectivement, je suis né une année après le déclenchement de la guerre de Libération nationale, dans un milieu rural qui n'entretenait pas de relation directe avec la société coloniale. J'ai pris connaissance de ces personnes la première fois, je crois au début de l'année 1970, quand j'ai lu une interview (dans le journal El Moudjahid) de Mourad Castel qui était alors secrétaire général du ministère de l'Industrie et de l'Energie. Le nom Castel a suscité en moi une curiosité. Que vient faire là, à un poste important d'un grand ministère, un monsieur dont le nom a une consonance étrangère ? Mon frère aîné Saïd m'a expliqué alors que Mourad Castel est un Algérien d'origine européenne qui s'est engagé dans les rangs du FLN durant la guerre de Libération. L'autre fait qui m'a fait prendre conscience de ces Algériens d'un «autre genre» est une interview dans la revue Majalat el tarikh du Pr Pierre Chaulet — que j'ai été amené à connaître par la suite — dans laquelle il a relaté son engagement dans la Révolution. Dans le domaine de la recherche en sciences humaines et a fortiori dans l'écriture de l'Histoire, il n'est pas indispensable de fréquenter une catégorie de personnes pour l'étudier. C'est ce qui distingue particulièrement la sociologie de l'histoire. La méthode d'investigation en sociologie nécessite le contact ou, si vous voulez, la fréquentation de la population qu'on veut étudier, tandis que l'objet de l'Histoire ce sont des événements et des faits humains qui sont déjà passés. Ceci dit, cela n'empêche pas que, pour notre cas, et vu l'absence de données sur la question, il m'a fallu prendre contact aussi avec des personnes encore vivantes pour recueillir des témoignages sur la question. Donc, j'ai été amené à m'approcher de ces frères et compagnons pour écrire leurs récits biographiques ou de ceux qui ont disparu. Par ma formation, j'ai fait œuvre de sociologie historique.
Vous citez 250 noms, mais la liste n'est peut-être pas exhaustive ?
Certainement, dans la première édition de 2012, nous avons cité quelque 250 noms. Dans cette seconde édition nous avons ajouté quelque 50 nouvelles biographies. Cette nouvelle mouture du livre a été largement enrichie quantitativement et qualitativement. Je crois qu'au-delà du nombre — qui est certainement beaucoup plus important que mon modeste travail révèle —, la question centrale dans ce dictionnaire est celle de la problématique des minorités européenne et juive dans le mouvement national algérien. Cette question n'a jamais été abordée par l'historiographie ; or, elle est importante dans l'appréhension du phénomène colonial qui est, pour utiliser la terminologie d'Hanna Arendt, un système totalitaire. C'est une situation historique particulière qui a vu cohabiter deux sociétés : l'une dominée et l'autre dominante caractérisée par la violence et le racisme. Les travaux de Frantz Fanon abordent ces questions. Il est le seul, ou presque, à avoir compris ces rapports entre ces deux mondes. Sa formation de psychiatre et son expérience de colonisé y sont pour quelque chose dans cette prise de conscience qu'il a déjà commencé à entreprendre avant sa venue en Algérie en 1952 dans son livre Peau noire et masques blancs. L'objet de mon livre ce sont ces personnes qui, dans cette situation a-morale, pour parler comme Edward Saïd, rejoignent le camp des révoltés. C'est un engagement inédit dans l'histoire qu'on retrouvera plus tard en Afrique du Sud et en Palestine qui sont des pays de colonisation de peuplement. Les textes fondateurs de la Révolution algérienne (l'Appel du 1er Novembre 54 et la Charte de la Soummam) sont là pour nous renseigner sur les idéaux de la société que les Algériens voulaient atteindre. L'appel à l'insurrection était contre le système colonialiste et non pas contre les Européens et les juifs d'où la main tendue des congressistes de la Soummam à ces minorités pour rejoindre le camp de la Révolution.
Votre livre donne à penser qu'il s'agit en fait d'une infime minorité d'Européens d'Algérie (sur le million de colons) qui sont des militants du Parti communiste algérien, de syndicalistes affiliés à la CGT et de gens de l'Eglise catholique...
C'est vrai, il s'agit réellement d'une minorité par rapport à la masse de la société coloniale. Une minorité qui a concerné plus les groupes qui étaient en contact avec les Algériens «de souche». Nous remarquons, comme je l'ai montré dans le livre, que ces personnes se recrutent principalement et non pas exclusivement dans les trois mondes que vous venez d'évoquer dans votre question auxquels il faut ajouter aussi les libéraux qui ont sympathisé tardivement avec les revendications du FLN, comme ce fut le cas pour Jacques Chevalier, et des personnes qui ont refusé la politique de la terre brûlée prônée par l'OAS, comme maître Popie qui a été assassiné par les gens du groupe Delta. C'est le cas aussi pour les inspecteurs des centres sociaux victimes de cette organisation criminelle au Château royal à Ben-Aknoun. Si vous me le permettez, j'aimerais bien ajouter quelques précisions concernant les origines politiques de ces frères et compagnons et ce monde du «contact» auquel ils appartenaient. Le Parti communiste algérien et la CGT étaient des lieux de mixité sociale. Le premier a algérianisé en partie sa direction à partir des années trente : les différents secrétaires généraux qui se sont succédé à la tête du PCA étaient des Algériens autochtones, Kaddour Belkaïm, Bouhali, Ouzegane, Bachir Hadj-Ali. La CGT était aussi un creuset de mixité. Il était le syndicat le plus proche des Algériens par excellence, contrairement à la CFTC ou FO. Le 1er Novembre 54 est venu chambouler le conformisme ambiant en remettant en cause l'ancien système de représentation politique dans le monde du travail. Comme vous le savez, l'idée d'indépendance devient dès lors le moteur principal et les autres partis et syndicats étaient invités à rejoindre les rangs de la Révolution. Et c'est alors que beaucoup de cadres ou des militants du PCA et de la CGT rejoignent le FLN. Le lecteur trouvera dans le livre les biographies de ces personnes. Pour les Eglises, la protestante et la catholique, il faut d'abord signaler que pour la première très peu d'études ont abordé la question de la relation de cette institution avec la Révolution. Nous connaissons l'attitude de la Cimade (institution eucoeuménique protestante) basée en France qui s'est distinguée dans son aide aux populations déplacées durant la guerre de Libération ; par contre, nous avons peu de connaissances concernant l'église protestante basée à Alger. Pour l'Eglise catholique, son responsable, Monseigneur Duval, et ses amis proches (Mandouze, Alexandre Chaulet, etc.) de la mouvance chrétienne progressiste n'ont pas lésiné dans leur soutien à la cause indépendantiste. Cependant, cette attitude de Mr Duval ne faisait pas l'unanimité de ses ouailles, la majeure partie des catholiques européens n'approuvaient pas sa dénonciation des inégalités, de la torture et contestaient son engagement. Tel était aussi le cas de l'Eglise catholique à Oran qui ne partageait pas l'attitude de Duval.
On n'a que peu d'échos sur l'engagement des juifs d'Algérie dans la lutte pour l'indépendance, le décret Crémieux en ayant fait des citoyens français de plein droit. Le grand rabbin d'Alger, comme signalé dans votre livre, était plutôt tiède. Il y a eu pourtant les Ghenassia, le Timsit entre autres...
Parmi ces frères et compagnons cités dans mon livre, nous trouvons beaucoup de juifs et de juives qui ont rejoint la Révolution à titre individuel. Le Consistoire israélite d'Algérie n'a pas pris de position officielle au début du conflit et s'est rangé carrément dans la logique belliqueuse de l'Algérie française par la suite. Cependant, des jeunes juifs ont contesté au Consistoire de parler en nom de tous les juifs d'Algérie et ont constitué un comité de juifs algériens pour l'indépendance de l'Algérie. Le sentiment d'enracinement millénaire de cette communauté sur la terre algérienne a joué dans le rapprochement de ces Algériens avec leurs compatriotes d'origine araboberbère. L'engagement des Timsit, des Cixou, de Smadja, Cherki, de Hadjadj, Bacri et bien d'autres illustre l'adhésion d'une frange certainement modeste de cette communauté dans le combat libérateur. L'alignement des officiels juifs sur les thèses de la France colonialiste malgré les appels répétés des instances dirigeantes de la Révolution à cette communauté. Le soutien des responsables de la communauté juive aux autorités de la répression coloniale était manifeste lors de l'agression tripartite sur l'Egypte en 1956 et les événements des heurts intercommunautaires ente juifs et musulmans de Constantine à la même date et dont les manipulations des autorités françaises étaient pour quelque chose, comme l'a signalé William Sportisse dans ses mémoires. Tout ceci a envenimé les relations entre les deux communautés musulmane et juive. Maintenant, il est notoirement connu qu'à partir de cette époque les autorités française et israélienne se sont solidarisées dans leur guerre contre la révolution algérienne. Les services secrets israéliens ont même dépêché à Constantine des agents pour contribuer à la répression contre les Algériens sous le motif d'aider les juifs à se défendre. Le Congrès mondial juif sous la direction de Nahum Goldman a tout fait pour qu'il n'y ait point d'avenir pour la communauté juive en Algérie. Selon Goldman, le seul foyer pour les juifs, c'est Israël. Sa politique a porté ses fruits en organisant l'exode des juifs du Sahara algérien et du Maroc aussi, même si dans ce dernier, il n'y a pas eu un long conflit armé avec l'occupant. Par l'entremise d'Henri Curiel (fait qui m'a été confirmé par Joyce Blau : une proche de Curiel), un sympathisant belge à la révolution algérienne Liebman a joué vers la fin de la guerre d'indépendance l'intermédiaire entre les instances de la Révolution et le Congrès mondial juif pour inciter les juifs à rester en Algérie après 1962. Il s'est même déplacé à Alger durant l'été 1962 pour cette raison. Son entremise a échoué.
L'Etat algérien, restauré dans sa pérennité, leur a-t-il «renvoyé l'ascenseur » dans la reconnaissance à leur engagement ?
En 1962, plusieurs de ces frères de combat ont même accédé à des hautes responsabilités dans les appareils de l'Etat. J'ai signalé au début de cet entretien le cas de Mourad Castel, il y a eu Daniel Timsit qui a occupé le poste de chef de cabinet du ministre de l'Agriculture Omar Ouzegane.
Je pense que la reconnaissance de l'Etat algérien envers eux n'est pas à mettre en doute. Cette population a été marginalisée comme l'a été aussi une frange d'Algériens composée de communistes et de libéraux qui ne partageaient pas les orientations idéologiques prises par Boumediène à partir de juin 1965. Il y a eu déjà, avant 1965, l'interdiction du PCA, les communistes étaient traqués, rendus à la clandestinité, souvent arrêtés, parfois torturés.
Comme en 1965, la répression s'est accentuée, beaucoup de ces communistes ont été expulsés ou emprisonnés. Les lois sur les nationalisations ont poussé les libéraux à prendre le chemin de l'exil. Cependant, à entendre les discours de la France revancharde glanés depuis l'indépendance de notre pays, on a l'impression qu'il y a eu une «épuration ethnique» dans l'Algérie indépendante. Or, tous les historiens algériens et français s'accordent et montrent que l'Etat algérien restauré a tout fait pour maintenir ce qu'on a appelé depuis «les pieds-noirs» chez nous. C'est le GPRA qui a réglé le problème de l'OAS et non l'Etat français en juin 1962 en amenant la direction de ces ultras à accepter les accords d'Evian pour l'arrêt des combats et de cesser sa politique de la «terre brûlée»). Le président BenKhedda a fait appel à ces communautés de demeurer en Algérie et le Dr Mostfaï Mustapha (le représentant du FLN dans l'Exécutif provisoire) a fait lui aussi un appel radiophonique en juin 1962 dans le même sens. Les travaux des historiens français et les recensements montrent qu'en 1963 le nombre des pieds-noirs dépassait les 300 000 personnes. Pour manifester ses bonnes intentions envers cette communauté, les autorités algériennes ont fait plus que ce que stipulaient les termes des accords d'Evian et accordé seize postes de députés aux Européens dans l'Assemblée constituante. La vice-présidence de cette Assemblée était accordée à un membre (le député Roth de Skikda) issu de cette communauté. Imaginez, après la démission du président Ferhat Abbas, et dans le cas d'une disparition du président de la République, la personne qui aurait été désignée à la Présidence serait à ce moment-là un président «pied-noir». La crise politique qu'a connue l'Algérie durant l'été 1962, l'insécurité ambiante ainsi que les problèmes de sous-développement, l'absence des perspectives démocratiques, la perte des privilèges des situations acquises dans le régime colonial n'ont pas milité pour l'attrait de ces populations.
Qu'est-ce qui passe le mieux, dire Européens d'Algérie, Algériens d'origine européenne ou pieds-noirs ?
Concernant ce groupe humain qui a choisi la libération de l'Algérie, je choisirai l'appellation «Algériens d'origine européenne». Le premier terme renvoie plus à la population européenne dans son ensemble, tandis que le troisième, «pieds-noirs», renvoie à une désignation dont l'origine est obscure, qui n'apparaît en France qu'en 1962.
La première Constitution post-indépendance a privilégié le lien du sang plutôt que le lien de la terre dans l'octroi de la nationalité algérienne. Par ailleurs, il était demandé aux Algériens d'origine européenne de postuler à la nationalité par écrit. Il est vrai aussi qu'il y a des cas où cela allait de soi...
Effectivement, cette Constitution prêchait par communautarisme religieux et où l'appartenance raciale est dominante. Ce qui a fait réagir les Algériens non musulmans, pour qui cela constituait une régression par rapport aux idéaux de novembre 1954. Une pétition a été rédigée à l'initiative d'un groupe de citoyens, signée par les anciens compagnons de la Révolution et envoyée au bureau de l'Assemblée pour dénoncer cette loi. En séance plénière, l'abbé Berrenguer (ancien représentant du Croissant-Rouge algérien et ambassadeur de la Révolution en Amérique du Sud) a interpellé ses collègues députés sur ces faits. Il était outré qu'une personne à l'image d'un bachagha Boualem, ennemi de la Révolution, soit plus digne d'avoir la nationalité algérienne parce que musulman, que lui chrétien qui a tant donné à cette terre. Ils n'ont pas obtenu gain de cause. Certains de ces Algériens ont renoncé à faire la demande de naturalisation, car ils se voyaient lésés et en faire la demande était pour eux humiliant. C'est le cas d'Alice Cherki. Elle a quitté l'Algérie après cette date. Ce n'est que durant les années 2000 qu'elle a obtenu, par décret présidentiel, la nationalité algérienne sans l'avoir demandée. Les Chaulet et certains autres ont obtenu la nationalité par l'intermédiaire du ministre de la Justice qui était à l'époque Bentoumi sans en avoir fait la demande. Il faut signaler aussi les cas des personnes engagées aux côtés de la Révolution qui non pas obtenu leur nationalité algérienne malgré leur demande de naturalisation.
Cela nous renvoie à l'affaire de la rue Fernand-Iveton, à Oran, débaptisée puis réhabilitée. A quoi pourrait-on imputer cette décision ? S'agit-il plus d'un cas d'ignorance ou de zèle de fonctionnaires malintentionnés ?
Je pense que cela est dû à une méconnaissance de l'Histoire. Deux autres rues de la même ville d'Oran portent des noms d'Algériens d'origine européenne. Il s'agit de Thevenet et de Berrenguer, deux natifs de la région.
132 ans de présence coloniale mettent en exergue un cloisonnement hermétique aux allures d'apartheid avant l'heure (inventé par ailleurs par un Français en Afrique du Sud) entre les deux communautés algérienne et européenne. Peu de films et d'écrits littéraires sur le vécu des Algériens dans cette longue nuit coloniale, voire les rapports entre elles...
C'est une importante question. 132 ans de cohabitation forcée et imposée par la violence ont laissé des traces indélébiles sur les hommes et le paysage algérien.
Les études algériennes sur l'histoire des douleurs de la guerre de Libération et leurs traumatismes ont un peu laissé pour compte l'intérêt accordé au reste des études sur les faits sociaux, anthropologiques, culturels qu'a vécus la société algérienne durant la période coloniale. Il y a eu une sorte de focalisation intellectuelle autour de l'histoire politique. Les données manquent sur cette période. La résolution de la question des «archives» détenus par la France peut aider au développement de ces études. Je crois qu'il est temps que les universitaires algériens revisitent leurs passés au pluriel qui vont de la préhistoire à l'Histoire moderne et dépasser les partis-pris idéologiques hérités, qui ont fait qu'on n'écrit que l'Histoire des dominants. Cependant, est-ce à dire qu'il n'y a jamais eu de lieux de contact entre les deux sociétés ? Ce n'est pas vrai. Ces lieux existaient au moins à une échelle individuelle qui n'excluait pas des formes de complicité et de solidarité. L'élite musulmane, ce qu'on appelait «les évolués», avait des rapports étroits avec le colonisateur. L'abolition du Code de l'indigénat, les différentes réformes du système colonial, après la Seconde Guerre mondiale, ont contribué à multiplier ces contacts comme dans le parti de Ferhat Abbas ou au PCA, dans le monde syndical, dans des associations comme l'AJJAS (Association de la jeunesse algérienne pour l'action sociale), les années 50. L'école était aussi un lieu privilégié dans ce processus d'échange inégal. L'armée l'était dans une moindre mesure. Je crois que la vision dichotomique de deux sociétés parallèles est à dépasser. Il y a eu des échanges, des emprunts, de la diffusion au sens anthropologique. Comment étaient ces échanges, leur nature et leur intensité sont des questions auxquelles seule l'Histoire sociale peut répondre. Annie Rey- Goldzeiger et Fanny Colonna étaient pionnières dans ce domaine.
En conséquence, nonobstant l'exode massif des colons en 1962, ceux qui sont restés sont soit décédés soit partis s'installer en France, particulièrement dans les années 90. Une réponse tardive aux tenants de la solution à la sud-africaine ?
On a toujours tendance à comparer la situation coloniale française à celle de l'Afrique du Sud, vu leur type de colonisations qui sont des colonisations de peuplement. Or, l'Histoire de leur peuplement diffère. Les colons sud-africains ont pris leur indépendance par rapport à la tutelle colonisatrice qui était l'Angleterre au début du XXe siècle à l'instar des Américains suite à la guerre d'indépendance des Etats-Unis en 1792. L'abolition de l'apartheid et l'accession à l'égalité raciale qui a amené l'ANC au pouvoir ont été acceptées par les Blancs qui sont demeurés surplace, car ils n'avaient pas de patrie de rechange. Tandis que les Français d'Algérie n'ont jamais été autonomes. Ces pieds-noirs n'ont jamais revendiqué une autonomie par rapport à la France comme les Boers en Afrique du Sud, même si cette intention y était vers la fin de la guerre.
Ce sont là des éléments importants de différence. C'est vrai que d'un autre côté, il y avait pas mal de similitudes entre l'apartheid qui est une politique de ségrégation raciale conduite en Afrique du Sud par la minorité blanche à l'encontre de la majorité noire. Mis en place en 1948 par le Parti national, l'apartheid est fondé sur le développement séparé des populations et fut pratiqué jusqu'en 1991, le système colonial français durant toute sa domination mettait en avant ses fausses bonnes intentions d'assimilation qui étaient en contradiction flagrante avec la réalité des faits vécus par les Algériens. La société coloniale était une société ségrégationniste. Il y a eu à mon avis une séparation de fait qui n'a pas été théorisée comme en Afrique du Sud, car c'est la métropole et les principes égalitaires — fondateurs — de la Révolution française dont se réclamait la France qui empêchaient les tenants de l'Algérie française de pratiquer une telle théorisation. Si cela dépendait du lobby colonialiste, les Français d'Algérie auraient appliqué la politique de séparation raciale bien avant les Afrikaners. Le Code de l'indigénat illustre bien cet état de fait. La lecture du livre d'Olivier Le Cour-Grandmaison Coloniser. Exterminer en dit long sur cette question. L'apparition de l'OAS donne clairement la tendance des tenants de l'Algérie française vers cette politique de séparation raciale. L'accession du peuple algérien à l'indépendance a créé un vent de panique, qui a fait fuir des centaines de milliers de pieds-noirs vers la France, encouragés par le climat de terreur instauré par l'OAS. Cependant plus de 300 000 sont restés en Algérie en 1962, leur nombre n'a pas cessé de rétrécir depuis. Il n'y a jamais eu d'études sur le déclin démographique de cette population. Mais tout laisse à penser que les départs suivaient les soubresauts qu'à connus l'Algérie : la crise de l'été 1962, le renversement du président Ben Bella, la politique d'orientation socialiste de Boumediène, la crise sanglante des années 1990. Ce déclin démographique ne résulte pas d'une politique d'épuration ethnique, ce qui aurait donné a posteriori raison aux racistes et aux nombreux pieds-noirs militants de l'Algérie française. Il faut signaler qu'il existe beaucoup d'autres pieds-noirs qui ne partagent pas la haine anti-Arabe des premiers et croyez-moi, j'en rencontre beaucoup. Ces personnes vouent à notre pays et aux nôtres des sentiments cordiaux.
Pour terminer cet entretien, quel serait votre sentiment dominant sur le sujet que vous avez développé dans ce dictionnaire biographique d'Algériens d'origine européenne et juive ?
En réalisant cette recherche, je sentais que j'accomplissais un devoir de mémoire. Je ne m'attendais pas à l'accueil favorable qui lui a été fait par le public et par ces frères et ces compagnons. En accomplissant cette tâche, je me suis senti réconforté dans mon espoir en un monde plus fraternel auquel ces hommes et ces femmes ont cru.
B.T.
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