Par Belaïd Mokhtar, un lecteur Je venais juste de sortir d'un divorce douloureux, mon époux m'ayant promis monts et merveilles avant notre union. Mais après notre lune de miel, son vrai visage est apparu au grand jour. Je ne le reconnaissais plus. Il voulait me cloîtrer pour le restant de mes jours afin de servir de garde-malade à ses vieux parents, pendant que monsieur faisait la bringue tous les soirs avec ses amis. Je regrettais mes années de célibat, au temps où je vivais libre comme l'air chez mes parents. Après cet échec, je pensais être vaccinée contre le mariage, mais lorsqu'un vieux monsieur, ayant plus du double de mon âge est venu me demander en mariage, ma famille n'en revenait pas. J'étais éberluée par tant d'audace. Mon frère voulait le renvoyer sans ménagement. Pour éviter l'esclandre, je me suis rapprochée du prétendant et lui ai expliqué gentiment que j'étais trop jeune pour lui et qu'il valait mieux qu'il recherche une femme de son âge. Il était sur le point de partir quand je lui ai posé la question qui allait changer le cours de ma vie : «Vous habitez où ?» Il m'a répondu qu'il résidait en France, qu'il possédait un appartement et qu'il percevait une retraite conséquente. Cela a changé la donne. Je l'ai gratifié d'un sourire radieux puis faisant volte-face, je l'ai prié de revenir le lendemain, il aurait une réponse définitive. Je devais réfléchir à sa proposition à tête reposée. Mes parents étaient bien sûr opposés à cette union, mais à force d'arguments, je suis arrivée à convaincre tout le monde, sauf ma mère. Elle a pleuré toutes les larmes de son corps, en essayant de me persuader de renoncer à cette union humiliante. Têtue, ma décision était prise. Pour moi, vivre de l'autre côté de la Méditerranée signifiait la liberté ! Le vieil immigré a eu une réponse favorable et me voilà remariée. Les formalités ainsi que toute la paperasse furent ficelées en huit mois. Je suis dans l'avion en direction de Marseille, accompagnée de mon époux. Un voyageur, un peu indiscret, assis à côté de moi, voulant faire un brin de causette, m'a demandé l'âge de mon père. Je n'avais pas eu le courage de lui avouer que c'était mon mari. Confuse, j'ai répondu en murmurant : «66 ans.» Moi, je n'en avais que 27. Nous voilà enfin devant l'immeuble où réside mon mari. Son appartement est situé au 7e étage d'une HLM. L'ascenseur étant en panne, il fallait se coltiner les quatre grosses valises dans un escalier étroit et crasseux. L'intérieur du logement est lui aussi d'une saleté repoussante. Il sentait le renfermé, et l'on devinait aisément que ça faisait des lustres que le ménage n'a pas été fait dans ce taudis. Le vieux retraité passait plus de temps au bled qu'ici. J'ai ouvert les fenêtres et passé presque la moitié de la nuit à nettoyer, récurer et dépoussiérer. Il m'a fallu plusieurs jours de travaux forcés pour rendre les lieux habitables. J'ai aussi appris par la suite que nous habitions dans les quartiers nord de Marseille, et selon les médias, c'est un lieu où règne la violence, la délinquance et la vente de toutes sortes de drogues à ciel ouvert. Il y avait aussi de nombreux règlements de compte entre bandes rivales, qui se terminaient au kalachnikov. Ainsi commença ma vie en Europe. En plus de ce logis malpropre et du risque de recevoir une balle perdue à chacune de mes sorties, je fus aussi déçue par mon conjoint. Il passait le plus clair de son temps à jouer aux dominos avec ses copains. Six mois après mon arrivée en France, j'ai été convoquée à la préfecture afin de retirer ma carte de séjour. En attendant mon tour pour recevoir le fameux titre qui allait me permettre de vivre légalement, j'ai entendu une dame dans la salle d'attente qui nous fixait narquoisement, marmonnant : «Mariage gris.» Sur le coup, je n'ai pas compris. Arrivée à la maison, j'ai fait des recherches sur internet et j'ai compris les insinuations de la mégère. C'est un mariage où l'un des conjoints a de vrais sentiments amoureux et souhaite une relation durable, alors que l'autre n'éprouve rien, simule hypocritement une fausse passion, et dès l'obtention de ses papiers, demande le divorce et s'envole roucouler ailleurs, laissant sa victime dans le désarroi et la honte. C'est plus économique qu'un mariage blanc où il faut débourser une importante somme d'argent à une personne sans scrupules qui risque de vous escroquer et vous faire chanter et disparaître avec votre pactole et vos espoirs. Moi, je n'avais aucun remords et ne culpabilisais absolument pas. Il n'y avait aucun sentiment amoureux entre nous. Lui rêvait d'une minette et de chair fraîche ; moi, je l'avoue, d'une carte de séjour. Notre vie intime se limitait à quelques étreintes éphémères très espacées dans le temps, j'avais horreur qu'il me touche. Inconsciemment, je le comparais à un pédophile. Je m'imaginais avoir encore 7 ans et lui 46 et que les attouchements qu'il osait sur moi devraient le conduire directement en prison. Hélas, j'étais majeur et presque consentante, il ne risquait rien. J'avais le pressentiment d'avoir vendu mon corps et mon âme. Dans le cadre du regroupement familial à l'expiration de ma première carte de séjour d'un an, j'ai eu la bonne surprise de recevoir une autre, d'une validité de 10 ans, et bien entendu la présence du conjoint est obligatoire. «Ce privilège» est réservé uniquement aux Algériennes et Algériens. Le moment est venu de me libérer des griffes de ce vieux vicieux. Consciente et au courant des règles administratives à respecter, il ne fallait pas que la demande de divorce provienne de moi. les soupçons d'un mariage gris s'avéreraient fondés et d'après la loi notre union serait annulée et mes papiers retirés. Il fallait donc que la décision de séparation vienne de lui, là aucun doute, il ne pourra pas porter plainte. Je vais m'y mettre. j'ai commencé par tempérer ses ardeurs en lui expliquant qu'ici en France, forcer sa femme à faire l'amour est assimilé à un viol, un délit passible de la cour d'assises, et que si je porte plainte, il ira d'abord en prison, sa carte de résidence lui sera retirée, puis c'est l'expulsion. Je peux vous dire que cela l'a vite refroidi, et qu'il m'a définitivement laissée en paix. Ensuite j'ai changé le programme télévision, je tardais quand je sortais pour faire les courses, je faisais un boucan d'enfer durant le ménage matinal pour l'empêcher de dormir, et beaucoup d'autres roublardises du même genre. Il a résisté trois mois avant de prononcer la phrase libératrice : «Je vais te répudier si tu continues d'agir ainsi !» J'ai poursuivi de plus belle mes fourberies. N'en pouvant plus, il a fini par demander le divorce. J'ai accepté sans émettre la moindre objection. Au fond de moi, je jubilais ! Après la séparation, je me suis rapprochée de l'assistance sociale de notre cité afin de m'informer des aides dont je pouvais bénéficier. J'avais droit à une petite pension, le loyer du studio que j'ai déniché sera payé par la caisse d'allocations familiales. Pour ce qui est des dépenses alimentaires, là aussi pas de souci, j'avais une carte d'accès à l'épicerie sociale où tout était presque gratuit ainsi qu'à d'autres petits avantages. La seule contrainte : il fallait que je trouve du travail car toutes ces aides sont limitées dans le temps. J'avais un faible niveau d'instruction, j'ai interrompu mes études au BEM, j'ai été orientée vers un pôle emploi où l'on ma proposé de choisir une formation de 6 mois gratuite en rapport avec mon niveau d'instruction. J'avais le choix entre aide-ménagère ou auxiliaire de vie ; j'ai choisi la seconde proposition, sans trop savoir en quoi consistait cette tâche. J'ai donc questionné la dame chargée de mon suivi, afin qu'elle m'explique quelles seront mes futures activités, elle m'a expliqué que je devrais m'occuper de vieilles femmes et vieux messieurs, leur faire leur toilette, les vêtir, leur préparer à manger, les sortir afin qu'ils puissent s'aérer, jouer avec eux à des jeux de société, etc. Moi qui avais refusé de servir de garde-malade à mes ex-beaux-parents, me voilà servie ! J'ai donc accepté de suivre cette formation non sans appréhension. Au terme de mon stage, j'ai obtenu mon attestation et peu de temps après, j'ai décroché un emploi pas loin de mon nouveau domicile. J'ai économisé un peu d'argent et le mois de juillet venu, j'ai pu retourner chez moi pour les vacances d'été. Alors qu'en France on m'ignorait, noyée dans la masse, en Algérie, j'ai été accueillie comme une star, choyée et enviée. Tout le monde pensait que j'étais au paradis. Je les laissais croire à cette chimère en répétant que j'étais comblée, et que j'avais enfin réalisé mon rêve. Durant les 30 jours où j'étais au pays, un beau jour, en accompagnant ma mère à la policlinique pas loin de chez nous pour des soins, j'ai eu l'agréable surprise de revoir Karim. J'ai senti mon cœur battre la chamade à nouveau. Avant mes premières noces, j'étais folle amoureuse de lui. C'est un bel homme, il a toujours gardé sa démarche athlétique et ce sourire ravageur. J'avais essayé de le séduire, mais mes regards langoureux et mes avances à peine déguisés le laissaient froid. Vraisemblablement, je n'étais pas son genre. Mais pour moi, il était mon premier amour. Il fallait que je lui parle, je voulais tenter ma chance à nouveau. Depuis mon installation à l'étranger, j'ai acquis une certaine assurance, je peux aborder n'importe quel homme sans perdre l'usage de la parole ni trembler comme avant. Je me suis donc jetée à l'eau ! Il était surpris, et a accepté de me parler. On a disserté de choses et d'autres, il était toujours aussi distant, mais lorsque je lui ai annoncé que je vivais en France, que j'y travaillais et que j'avais mon appartement, son visage s'est éclairci. Il a soudain changé d'attitude. Il buvait mes paroles, je lui ai tout raconté sur mes deux désastreuses unions. Il devait reprendre son poste de travail, il me fixa alors rendez-vous poue le week-end avant de prendre congé. J'étais folle de joie. A notre rencontre, il n'est pas allé par trente-six chemins et m'a carrément demandé en mariage. Je lui ai sauté au cou, et direction la mairie ! Ne dit-on-pas jamais deux sans trois ? Les papiers et tout le tralala finis après une année, par un beau matin d'été, Karim débarque à Marseille. Avant son arrivée, j'avais quitté les quartiers nord afin de lui éviter tout danger, j'ai aussi préparé notre nid d'amour, il était petit mais propre et confortable. J'étais aux anges, il n'avait qu'à ouvrir la bouche pour avoir tout ce qu'il désirait. J'étais sous son emprise totale et j'avoue avoir passé avec lui les plus beaux jours de ma vie. Je le vénérais. Je l'ai aidé à trouver assez rapidement un emploi comme aide-infirmier au sein d'un dispensaire. Mais comme les belles choses ne durent jamais, dès l'obtention de sa carte de séjour d'une année, il est devenu distant, découchait souvent et s'absentait sans m'informer. J'ai essayé de le raisonner, de lui dire que j'avais besoin de sa présence, que je l'aimais, qu'il était mon oxygène, il ne m'écoutait plus, il n'en faisait qu'à sa tête. Un jour, excédée, j'ai osé élevé un peu la voix, il s'est retourné vers moi et méchamment me lança tout de go : «Tu me dégoûtes, je n'ai jamais éprouvé le moindre sentiment pour toi. J'aime une autre, mon union avec toi c'était juste pour les papiers !» Chaque parole était une dague qui me transperçait le cœur. L'amour m'a aveuglé, je n'ai jamais pensé qu'il pouvait être aussi odieux. Toutes les péripéties que j'ai vécues, ajoutez à cela l'exil et cet humiliant rejet ont durci mon cœur. Pas de pardon ! Le lendemain, je me suis rendue à la préfecture pour signaler un mariage gris. On m'a orienté pour que je puisse d'abord annuler le mariage au tribunal, ce que j'ai fait sans aucun remords. On m'a promis qu'il sera bien accueilli lorsqu'il viendra renouveler sa carte de séjour d'une année. D'ailleurs, pour qu'il puisse avoir une autre carte, il fallait que je sois présente. Pauvre idiot, il sait peut-être piquer, panser et soigner, mais en ce qui concerne la paperasse, il était nul. D'après les échos que j'ai eus, en guise de prolongement de sa carte de séjour, il a reçu une décision de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours. Il est retourné au bercail tête baissée, et, depuis, je ne l'ai jamais plus revu. Après ce cuisant et troisième fiasco, je suis sûre d'être définitivement immunisée. Et que l'on ne vienne plus me parler de mariage quelle que soit sa couleur, blanc, gris ou autre.