Rachid Messahel, c'est cet ancien attaquant basané aux cheveux longs et à la frêle apparence (un peu comme Edinson Cavani) qui animait le côté droit de la légendaire formation du CRB des Lalmas, Selmi, Kalem, et les autres. A vingt-sept ans, et avec un palmarès fabuleux avec le Chabab, il avait intégré le club amateur français de Roanne, ville où il s'est définitivement installé à ce jour, et où il a évolué jusqu'à l'âge de... 45 ans. Profitant de son retour au pays, nous l'avons rencontré pour évoquer l'une des plus belles pages de l'histoire du foot national et des souvenirs inédits. Le Soir d'Algérie : Né en 1950 à Aïn-Oulmène (Sétif) vous faites toutes vos classes au CRB et à 17 ans, vous faites votre apparition avec les seniors du grand Chabab. Rachid Messahel : Oui, j'étais encore juniors et c'était fabuleux de se retrouver parmi de grands joueurs comme Lalmas, Kalem, Achour, Selmi et les autres. Comment avez-vous pu vous faire une place avec des stars de l'époque ? J'ai eu de la chance. Il n'y avait qu'une seule place de libre dans cette équipe et c'était le poste d'ailier droit. En fait, le titulaire c'était Chenane «Allah yarahmou», mais comme il prenait de l'âge, il n'était plus indiscutable et j'ai pu intégrer les seniors mais en concurrence avec Boudjenoun. On s'était mis d'accord pour jouer une mi-temps, chacun à chaque rencontre et cela a bien fonctionné. Et vous êtes resté au CRB jusqu'en 1977 avec, à la clef, un palmarès extraordinaire. J'ai passé des années merveilleuses au Chabab au cours desquelles j'ai remporté trois titres de champion d'Algérie, trois coupes du Maghreb et deux coupes d'Algérie. Ensuite, avant la réforme sportive, vous quittez le CRB pour le club amateur de Roanne, une ville française située entre Lyon et St-Etienne. Pourquoi pas un club pro ? Mon coéquipier, Bouabache, m'avait déjà fait signer une licence à Roanne et j'étais bien content de me retrouver dans un club avec un emploi stable d'employé de bureau bien remunéré ainsi que des primes de deux mille anciens francs à l'époque qu'on me versait en douce après les matches. J'étais heureux et cela me suffisait. Et ce bonheur vous a permis de ne raccrocher qu'à l'âge de 45 ans ? Effectivement, j'ai pris du plaisir à jouer jusqu'à l'âge de 45 ans. Bien sûr, je n'occupais plus un poste d'attaquant comme au début, mais j'avais reculé pour devenir le libéro de l'équipe. Mais déjà au Chabab, vous étiez obligé de bien défendre vu que l'équipe pratiquait un genre de football total. Au CRB, j'ai occupé presque tous les postes sauf celui de gardien de but. Et moi, qui suis droitier, je me suis même retrouvé comme arrière-gauche face au MC Oran sur ordre de Hacène Lalmas. Lalmas c'était une sorte d'Ivan le terrible au Chabab ? Terrible, mais c'était le patron de l'équipe et quelqu'un de très autoritaire. On n'avait pas intérêt à discuter ses directives et sur le terrain, malheur à celui qui osait lui désobéir. C'était le Ronaldo de l'équipe et de l'époque ? Peut-être même plus, sans lui, le CRB n'aurait pas été le même. Il incarnait toute la puissance et le talent de l'équipe. Il avait l'étoffe du meneur de jeu. D'ailleurs, quand l'un de nous avait le ballon et qu'il lui criait «marche dessus», cela voulait dire qu'il fallait lui laisser le ballon et en cas de refus, il nous insultait. Il faut reconnaître que dès qu'il avait le ballon, il exécutait toujours un geste, une passe et un dribble diabolique. Il y a quelques années, un sondage a désigné Lalmas comme le meilleur joueur de tous les temps de l'Algérie indépendante. Qu'en dites-vous ? Je suis tout à fait d'accord avec ce sondage. Vous le placez devant Madjer et Belloumi ? Bien sûr, Madjer et Belloumi ont été de grands joueurs mais Lalmas était bien meilleur et je pense qu'il mériterait un Ballon d'or d'honneur pour tout ce qu'il a donné au football national. Une anecdote sur Lalmas ? Comme il était chauve à cause d'une calvitie précoce, il n'aimait pas ceux qui avaient les cheveux longs. D'ailleurs, il m'obligeait à passer chez le coiffeur. Mais vous ne l'écoutiez pas ? C'était l'époque des Beatles et j'avais les cheveux longs. Un jour, alors que j'étais au commissariat pour une autorisation de sortie, il est arrivé et m'a menacé de me jeter en prison si je ne passais pas chez «aâmmi Boudjemaâ» qui était un coiffeur bien connu à Belcourt. Comme il était officier de police, il a ordonné au brigadier de me mettre dans une cellule pendant dix minutes pour avoir un avant-goût de ce qui pouvait m'attendre en cas de refus de ma part. Je me suis retrouvé derrière les barreaux, pendant un moment, et ensuite, je suis allé chez «aâmmi Boudjemaâ» parce que je savais que Lalmas ne plaisantait pas. Aujourd'hui, il est très malade. Lui avez-vous rendu visite ? Quand je l'ai vu à la télévision, lors de la cérémonie du Ballon d'or algérien, j' ai pleuré. Cela faisait plus de trente ans que je ne l'avais pas rencontré et quand il est apparu dans cet état de santé, je n'ai pas pu contenir mon émotion. Bien sûr, je vais lui rendre visite prochainement et je lui souhaite un prompt rétablissement. Vous étiez présent à l'enterrement de Mohamed Lefkir. Triste occasion pour des retrouvailles avec d'anciens coéquipiers ? Comme cela faisait près de quarante ans que je n'étais pas revenu en Algérie, et que j'ai changé physiquement, même Mokhtar Kalem ne m'a pas reconnu. Il y a un ministre d'Etat qui porte le même nom que vous. C'est un parent ? Non, pas du tout. C'est juste un homonyme. Avec le recul, qu'est-ce qui faisait la force du grand CRB ? Ce Chabab était composé d'une génération de joueurs exceptionnels. De Abrouk à Achour en passant par Hamiti, Selmi, Kalem et les autres, il n'y avait que des artistes et avec un chef d'orchestre comme Lalmas, cela donnait un ensemble irrésistible. D'ailleurs, le Chabab de l'époque c'était aussi la sélection nationale. Il est rare qu'aujourd'hui, un club puisse constituer l'ossature de l'équipe nationale avec dix ou onze joueurs comme ce CRB. Pourquoi ne vous êtes -vous pas reconverti à la fonction d'entraîneur à Roanne ? Cela aurait été plus logique mais je me sentais bien dans mon travail d'employé de bureau. Et puis, Roanne est une ville où il y a une jeunesse issue de l'émigration qui est très difficile à gérer. Comment réagissez-vous aujourd'hui quand vous voyez des joueurs de notre championnat payés parfois à plus de 100 millions par mois ? Le monde de notre football a beaucoup changé. De mon temps, on jouait pour le maillot et pas pour l'argent. Il y avait le fameux «V» du CRB et on avait conscience qu'il nous fallait que des victoires. Moi, j'étais originaire de Sétif. On me surnommait le «Sétifien» mais je défendais à fond les couleurs de Belcourt où j'ai passé toute mon enfance. Ce surnom, je le dois à Ahmed Arab, l'ex-coach emblématique du CRB. Que peuvent faire des anciens comme vous pour le CRB actuel qui risque la relégation ? Je ne vois pas ce qu'on peut faire devant la situation actuelle d'un club qui m'est très cher. Cela me fait mal au cœur de le voir dans cette situation. Regrettez-vous de n'avoir jamais été sélectionné ? J'ai joué avec l'équipe nationale de la police mais je ne compte qu'une sélection dans le club «Algérie». Ce n'était pas facile parce que la concurrence était terrible. J'avais été appelé par un certain Algérie-Maroc mais je n'étais pas titulaire. Quelle est votre opinion sur le groupe de l'Algérie lors de la prochaine Coupe du monde au Brésil ? Je peux vous dire qu'à Roanne, la communauté algérienne est en pleine ébullition. Personnellement, je pense que l'Algérie peut passer au deuxième tour. Vous êtes en Algérie pour un retour aux sources ? Je suis ici pour rendre visite aux vieux amis et à la famille mais aussi pour établir un passeport algérien à ma fille, et actuellement je cavale pour obtenir ce fameux S12.