Grand prix du 7e Festival international du film engagé qui s'est clôturé jeudi à Alger, le long-métrage Moi, Daniel Blake de Ken Loach est une véritable claque tant cinématographique que politique. Palme d'Or au dernier festival de Cannes, Moi, Daniel Blake s'est évidemment distingué dans la compétition officielle du festival. Cette fiction d'une heure et quarante minutes n'a laissé personne indifférent lors de ses deux projections à la salle El Mougar et à la Cinémathèque. Ken Loach a frappé fort mais avec une déroutante sobriété : dans le but de dénoncer le système kafkaïen de la sécurité sociale en Grande Bretagne, le cinéaste nous présente Daniel Blake, un menuisier de 59 ans victime d'une crise cardiaque et incapable de reprendre le travail. Jugé inéligible à la pension d'invalidité, il sera sommé par l'administration de chercher du travail afin de pouvoir toucher l'allocation chômage en attendant qu'il fasse appel pour accéder à l'invalidité. En traversant ce labyrinthe bureaucratique et procédurier, il croise la route de Katie, une jeune mère célibataire, qui vient de bénéficier d'un logement social à 450 kilomètres de sa ville natale et qui bataille chaque jour pour trouver de quoi nourrir ses deux enfants. Damnés par la cruauté d'un système inhumain et humiliés par la machine libérale de l'Angleterre d'aujourd'hui, Daniel et Katie vont s'entraider et se donner du courage pour résister. Avec une mise en scène dépouillée et sobre, Ken Loach nous propulsera au sein de cette tempête silencieuse où deux individus sont confrontés à une guerre toute aussi muette livrée contre eux par l'Etat. Plein d'une colère dont la force n'a d'égales que la retenue et la pudeur, le réalisateur ne cèdera jamais à la tentation du pathos ou du mélo et restera à la hauteur de la dignité de ses personnages en privilégiant une approche réaliste et une dramaturgie à la fois intense et humble. Sans artefact ni violons ni gros plans démonstratifs, il réussit à maintenir une tension émotionnelle saisissante et sait exactement à quel moment remuer le couteau dans la plaie béante d'une société robotisée et résignée. La scène où Katie, partie avec ses enfants à la banque alimentaire, se rue discrètement sur une boite de conserve pour calmer sa faim est mémorable de beauté et de douleur ; tout comme ces scènes où la solidarité et l'empathie dont font preuve quelques personnages périphériques appuient le propos principal de Loach : l'ennemi, c'est l'Etat ! Admirable et puissant, Moi, Daniel Blake défend des évidences mises en péril par le système mondial : la dignité humaine et la citoyenneté et révèle, chemin faisant, un Ken Loach en pleine forme, décidé plus que jamais à faire bouger les lignes et ne rien céder au politiquement correct. Par ailleurs, le film a également obtenu le prix du public en ex aequo avec Spotlight de Tom McCarthy tandis que le prix spécial du jury est décerné à Moi, Nojoom de la Yéménite Khadidja Al Salami. Du côté du documentaire, le grand prix a été attribué au film iranien Sonita de Rokhsareh Gaem Maghami qui a aussi été couronné par le prix du public avec Finding Fela d'Alex Gibney. Le documentaire italien Fuecoammare de Gianfranco Rosi a obtenu, quant à lui, le prix spécial du jury.