Le 2 avril 1976 mourait Taos Amrouche � Paris, en exil. Elle �tait �g�e de 63 ans. C'�tait la fin d'une grande dame de la litt�rature et de la culture alg�riennes en g�n�ral et berb�res en particulier. Elle faisait partie de cette cat�gorie d'Alg�riennes et d'Alg�riens qui, toute leur vie durant, contre vents et mar�es, ont non seulement sauv� de l'oubli et pr�serv� jalousement notre patrimoine culturel, mais aussi n'ont pas l�sin� sur aucun effort pour le transmettre aux g�n�rations futures et le vulgariser aux quatre coins du globe. Elle �tait �galement cette po�tesse, cette incantatrice � la voie d'or et cette romanci�re talentueuse universellement connue et reconnue. MARIE-LOUISE TAOS �TAIT DE SON VIVANT EN "DISGRACE INSTITUTIONNELLE". Son pays natal, qu'elle ch�rissait plus que toute autre chose, lui �tait interdit pour avoir �t� refoul�e de l'a�roport d'Alger � maintes reprises. Ses œuvres sont frapp�es d'interdiction et d'ostracisme. A l'instar d'autres g�ants, tels que Slimane Azem, Bessaoud Mohand Arav, etc., elle �tait contrainte � un autre exil, elle "l'�ternelle exil�e", pour reprendre l'expression de sa m�re, Fadima Ath Mansour. Elle devait subir les affres d'une id�ologie saugrenue et stupidement hostile � tout ce qui �tait authentiquement alg�rien. Elle qui n'a jamais accept� de troquer le sein maternel contre l'aigre lait d'une mar�tre avait r�torqu� aux tenants de cette "barbarie culturelle" : "Nos bijoux sont expos�s, nos po�mes, contes et chansons sont r�pertori�s partout ailleurs � l'�tranger. A quoi serviront alors vos lois et vos discours ?" Cet exil attisera alors sa blessure de se savoir toujours �trang�re, car �tant d'une culture double, kabyle et fran�aise, et de confession chr�tienne, elle se sentait toujours marginalis�e, malgr� la forme ext�rieure de l'int�gration, des profondeurs et des secrets des deux communaut�s. Elle disait � ce propos : "Oui, j'avais beau avoir les pieds teint�s de henn�, les joues fard�es et les l�vres rougies � l'�corce de noyer. Je connaissais d�j� ce sentiment d'�tre exclue des cercles magiques (...) que je ne retrouve au milieu de nos compagnes musulmanes ou fran�aises. J'�tais seule de mon esp�ce. Aussi loin que je remonte dans le souvenir, je d�couvre cette douleur inconsolable de ne pouvoir m'int�grer aux autres, d'�tre toujours en marge." CETTE TERRIBLE "CONFESSION" ILLUSTRE LE DESTIN QUI EST LE SIEN Ainsi, d'ailleurs, que celui de toute la famille Amrouche dont elle �tait la derni�re survivante de la lign�e. Leur vie �tait soumise � une v�ritable "odyss�e". La conversion au christianisme a �t� pour elle et les siens source d'incompr�hension, d'humiliation et de rejet de la part d'une soci�t� �troitement embastill�e dans les pr�jug�s et le c�t� n�gatif et intol�rant d'une religion. D'un autre c�t�, il n'ont jamais �t�, malgr� les apparences, profond�ment adopt�s par les chr�tiens fran�ais, les sachant solidement attach�s � leur patrie, leurs traditions et � la soif de libert� de leur peuple. Donc, revister la vie et l'itin�raire de Taos, c'est replogner dans les profondeurs et les m�andres d'une �me meurtrie par les d�chirures d'un exil perp�tuel � la recherche, elle le soulignait "d'un �den du pays � jamais perdu", d'un bonheur et d'une paix int�rieure jamais atteints. Marie-Louise Taos naquit le 4 mars 1913 en Tunisie. Elle est la fille de Fadhma ath Mansour et de Belkacem Amrouche, originaire du village Ighil Ali, du c�t� de B�ja�a. Avant de s'exiler en France, elle travaille � la radio Tunis puis � Alger, en 1944-45 et elle a �galement assur� � la radio diffusion fran�aise une chronique hebdomadaire en langue kabyle consacr�e � la culture orale et � la litt�rature nord-africaine. Pour le chant, qu'elle a h�rit� de sa m�re, dans ces multiples facettes : dikr (chants religieux), t�bougharines, etc., elle s'est produite une premi�re fois � Paris en 1937, puis au congr�s de F�s en 1939 et elle obtient en 1967 le grand prix du disque. Pour son œuvre romanesque, dont elle fut la pr�curseuse dans le genre f�minin en Alg�rie et en Afrique du Nord, elle a fait para�tre quatre romans. Jacinthe noir (1947), Rue des Tambourins (1960), Solitude ma m�re (1963) et L'amour imaginaire (1966). Ces �crits bien qu'ils soient d'essence essentiellement autobiographique, o� elle illustrait le long de toute la trame des quatre romans la souffrance de l'exil continuel et la frustration chronique de ne jamais se sentir chez soi, ils symbolisent �galement notre identit� confisqu�e par les tenants successifs du pouvoir. De ces derniers, elle disait justement : "Ils trichent avec eux-m�mes, ils trichent avec l'histoire, les dirigeants des pays maghr�bins qui tentent d'�liminer la culture berb�re." ELLES RAPPORTERA, AUSSI, SANS COMPLAISANCE AUCUNE, LES TARES ET L'HYPOCRISIE DE SON TEMPS ET DE SA SOCIETE. Les injustices et la discrimination dont sont victimes les femmes y sont �galement mises � l'index. Elle l�guera en plus, � la prosp�rit� un floril�ge de contes et de chants rituels, qu'elle a recueillis et sauv� de la disparition, � travers l'essai Le grain magique qu'elle a fait para�tre avant sa mort. Sur un autre plan, son engagement sur le terrain par des actes concrets et des prises de position en faveur de la reconnaissance de la langue et la culture amazighes ne souffre d'aucun �quivoque, bien plus, jusqu'� en faire sa raison d'exister. A ce sujet, elle devait d�clarer un jour : "J'ai un but � atteindre : emp�cher la culture berb�re de p�rir. Elle est aujourd'hui menac�e en Afrique du Nord. Pourtant, elle ne porte ambrage � personne, mais on pr�tend qu'elle rel�ve du particularisme r�gional, alors que c'est toute l'Afrique blanche qui est berb�re en profondeur. Il s'agit d'un patrimoine cinq fois mill�naire, un patrimoine de beaut� et de spiritualit� qui devrait faire l'orgueil de tous les pays maghr�bins et, au-del�, de l'humanit� tout enti�re." Son engagement est visible �galement dans sa mise � la disposition des Berb�res de France, le 14 juin 1966, de son domicile pour une r�union qui a donn� naissance � l'Acad�mie berb�re. Il a fallu atteindre plus d'une d�cennie apr�s sa mort pour voir cette "jeune fille de ma tribu", comme aimait appeler feu Kateb Yacine sa m�re avoir droit de cit� dans son propre pays. En effet, la Maison de la culture de B�ja�a a �t� baptis�e en son nom et ce n'est qu'une juste r�paration de l'histoire.