Le temps d'un modeste débat littéraire, l'association culturelle «La culture, c'est ma tasse » s'est invitée jeudi dernier au sein de la pizzeria Maestro de Meissonnier. Au sous-sol de cet établissement bondé, les invités à cette rencontre ont pris d'assaut une petite salle loin des regards curieux. Quelques personnes venues prendre un pot n'ont pas manqué d'exprimer leur étonnement à l'égard de la tenue d'un café littéraire au sein d'une pizzeria. Le décor est rustique, les murs peints en vert ont donné à ce rendez-vous un aspect convivial et intime. Les tables sont disposées çà et là afin de permettre aux personnes présentes de dominer les lieux et leur offrir une meilleure vue sur les deux intervenants. C'est Madame Amirat Zoubida,moudjahida et veuve du martyr Slimane Amirat, qui ouvre la rencontre. Elle parlera longuement de son expérience au maquis. «J'avais dix-huit ans quand j'ai abandonné mes études supérieures à l'université d'Alger afin de rejoindre le maquis. J'ai été recherchée par les autorités françaises», déclara-t-elle, suscitant ainsi l'admiration des invités. Elle reviendra également sur une série de rencontres qu'elle a animées durant les années 80-90 avec des étrangers. «A cette époque-là, parler négativement de l'Algérie me faisait mal au cœur. C'est donc là que j'ai engagé une série de débats autour d'hommes de lettres et de culture. Je voulais montrer aux gens que l'Algérie possède une véritable culture et beaucoup d'artistes», dira-t-elle. Après son introduction, elle se penchera sur l'une des icônes de la littérature algérienne, une dame à laquelle ce débat est consacré, en l'occurrence Marie-Louise Taos Amrouche. Elle parlera de son combat intellectuel, de son ouverture d'esprit et de son talent. A côté de Mme veuve Amirat, M. Aziri, docteur en linguistique, consacrera sa communication à la biographie de cette écrivaine. «Le plurilinguisme par lequel s'est distinguée Taos Amrouche ne peut qu'apporter du bien à la littérature maghrébine qu'elle a contribué à enrichir avec son âme algérienne», amorça-t-il. «Cette femme est native d'une famille atypique. Algérienne, kabyle convertie au christianisme, sa famille s'est toujours révélée être d'une grande tolérance envers l'islam vu que la grand-mère de Taos était de confession musulmane. Sa famille a quand même connu l'exil et Taos s'est mariée en Espagne en 1942. En 1947, elle s'installe en France et publie son 1er roman et le 1er roman féminin algérien Jacinthe noire. Elle a largement contribué à la préservation du patrimoine oral berbère non seulement à travers ses écrits mais aussi ses chants», déclare le Dr Aziri. Il soulignera également sa tendance à l'écriture autobiographique. Preuve à l'appui, il lira à l'assistance quelques passages de son roman Rue des tambourins, publié en 1969. Née le 4 mars 1913 à Tunis, Taos Amrouche est originaire d'une famille d'intellectuels. Ouverte d'esprit et femme libre, elle rédige de sa plume le premier roman féminin algérien en 1947. Elle entame également une carrière d'animatrice au sein d'une radio berbère en France. Elle enchaînera par la suite les écrits, à l'image de la Rue des tambourins, sortie en 1969, de l'Amant imaginaire, en 1975, et publie, entre autres, un recueil de contes et de proverbes berbères intitulé le Grain magique. Dotée d'une voix divine, Taos Amrouche en ténor se penche vers la musique. Elle reprend les chants populaires kabyles et rafle plusieurs prix. Sa carrière est glorieuse mais elle sera boycottée par son pays lors de la première édition du Festival panafricain en 1969. Quarante ans après, elle sera également oubliée lors de la seconde édition du Panaf. Taos Amrouche décède le 2 avril 1976 après un long combat contre le cancer. Afin de rendre hommage à cette grande dame, la présidente de l'association «La culture, c'est ma tasse» a invité l'assistance à se délecter du titre l'Adieu au pays de Taos Amrouche, un grand moment d'émotion. Par ailleurs, au-delà de cette rencontre symbolique ayant eu lieu le jour anniversaire de la naissance de Taos Amrouche, les gens se sont montrés sceptiques. En fait, la culture du café littéraire qui n'en est qu'à ses débuts en Algérie a un long chemin à faire pour s'i poser. D'ailleurs, l'une des invités ironisera en disant : «Nous n'avons pas la culture de la culture.» W. S.