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Tendances
La lecture, ce doute !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 07 - 2017


Youcef Merahi
[email protected]
Je considère la lecture comme relevant d'un doute. Parce que le choix d'un livre demande, face à un rayonnage étoffé, un choix, donc une hésitation, donc un doute. Parce que le choix d'un livre ne demande pas, automatiquement, la connaissance de l'auteur. Parce que le choix d'un livre indique au lecteur potentiel une prise de risque, en ce sens que la charge émotive du texte peut entraîner un dérivatif, une jouissance, un regret, une tristesse, une philosophie... Jusqu'où peut aller ce doute ? Jusqu'à la boulimie de lecture. Jusqu'à l'angoisse face à un titre. Jusqu'au rejet de l'auteur, de sa détestation voire. Jusqu'à l'insatisfaction au moment où l'écrivain met le mot de la fin. Jusqu'au blocage de lire, quand l'œil atteint son summum de dégoût. Aussi, ce doute s'érige – bien malgré le lecteur – en un marqueur indélébile, au moment de se trouver seul face aux premières lignes d'un texte.
Pour cet été, je vous propose un ensemble de textes que j'ai lus et qui peuvent être un compagnon de solitude, un allégement du temps, un falsificateur de l'ennui et un professeur silencieux. Comme premier titre à vous offrir, il y a Mouloud Feraoun, mon maître. J'ai aimé Le fils du pauvre, dès ma rencontre au primaire avec cette biographie romancée, à peine. J'ai très certainement retrouvé l'ambiance de mon entrée à l'école, à la fin des années cinquante. J'ai également retrouvé l'ambiance de ces maisons kabyles, qui nous tenaient chaud l'hiver et frais l'été. De plus, j'ai retrouvé cette quête du savoir, au demeurant gigantesque, d'un Algérien, au temps fort de la colonisation, de dépasser la misère par le savoir. J'ai relu Le fils du pauvre, récemment. Ce n'est pas la première fois. J'ai retrouvé cette manière d'écrire, particulière à cet écrivain ; ce style que j'aime par-dessus tout, en terme de littérature. Comme j'ai retrouvé cet amour de l'école, qui n'était pas répulsive comme elle peut l'être aujourd'hui. Toute la philosophie de l'effort, du savoir, de l'abnégation et de la foi en soi, est présente en termes naturels dans ce roman. Alors que de nos jours, dans notre pays, le ticket à la fainéantise est offert gracieusement par le fait du prince. Puisque les retardataires à l'examen du bac se sont vu offrir, sur un plateau en or, une seconde chance qu'ils ne méritent pas. Aussi, à ceux qui ont pris cette malheureuse décision, aux élèves tire-au-flanc, je leur propose de faire l'effort salvateur de relire (?), ou tout bonnement de lire, ce magnifique roman d'un pédagogue hors pair.
Amin Zaoui est désormais connu pour ses romans où la transgression est une simple limite, voire une liberté que l'écrivain s'autorise pour asseoir son texte où l'onirisme tient une place de choix. Désormais, je reconnais le style de Zaoui. Il va en cassant les tabous, décryptant sans cesse le sens du désir, du rêve et de l'aventure intellectuelle. Cette fois-ci, il n'est pas question d'un roman. Ni La chambre de la vierge impure. Ni Le dernier juif de Tamentit. Ni Le miel de la sieste. Autant de textes où le lecteur est ballotté par la furie d'une écriture elle-même écartelée. Irruption d'une chair dormante, une nouvelle surprenante où la femme tient toujours le rôle qui ne lui sied pas toujours. Sauf qu'Amin Zaoui bouscule la bienséance pour mieux faire passer son message. Son message relie immanquablement le besoin de liberté de tout être humain aux pesanteurs de la société.
Avec Le cri d'Alger, Samir Toumi a fait une entrée remarquée dans le monde du roman. Hymne à la ville natale. Angoisse d'une ville qui plonge en cascade vers la grande bleue. Peur d'un possible anéantissement possible (un peu comme dans Agadir, de Khair-Eddine) d'une ville qui l'habite. Samir Toumi ne s'arrête pas en si bon chemin. Il récidive avec L'effacement, un roman qui s'appuie, à mon sens, sur la technique de La métamorphose de Kafka. Sauf que chez notre écrivain, il y a un face-à-face herculéen entre le narrateur et son miroir, quand ce dernier, censé réfléchir une image, reste muet. Puis, c'est la descente aux enfers de l'angoisse de ne plus se voir, à l'inexplicable mutisme de ce carré de verre et à la folie qui risque d'aboutir à l'effacement psychique du narrateur. Bâti comme un polar de très grande qualité, ce texte provoque chez le lecteur un suspense haletant ; au point où, personnellement, j'ai été pressé d'arriver au bout, pour avoir le fin mot de la fin. Alors qu'il est prouvé que chez le lecteur invétéré, on retarde au maximum la lecture, parce que le plaisir du texte est à son apogée.
Chez Rachid Oulebsir, j'ai aimé sa passion qui le brûle de l'intérieur. S'il a préféré repartir aux sources de la vraie vie, c'est-à-dire la terre-mère, il a néanmoins gardé intacte cette passion du livre ; au point où il a créé sa propre maison d'édition ; ce qui n'est pas chose aisée. J'ai aimé Djurdjura, le temps des olives ; un essai où Rachid Oulebsir remet dans son contexte l'importance de cette arbre totémique qu'est l'olivier, longtemps abandonné par les Kabyles qui ont préféré le faux confort de la ville à la rudesse de la montagne. Cet essai est militant, à plus d'un titre. Du reste, j'ai retrouvé cette militance dans tous les écrits d'Oulebsir. Didactique, cet essai l'est assurément.
On y retrouve les «variétés des olives en Kabylie», les maladies qui touchent cet arbre dont la rusticité n'est plus à démontrer (au même titre que le figuier, du reste)... En fait, il est question dans cet essai d'un pan du patrimoine immatériel que Rachid Oulebsir observe, analyse, vulgarise, explique et restitue, pour qu'il reste pérenne. Notre écrivain est plein de cette connaissance du terrain, de la sagesse qui entoure la montagne et de la nécessaire récupération-sauvegarde de notre patrimoine, et de sa restitution à une génération fast-food.
D'une même voix avec Rachid Oulebsir, je reprends cette citation de Mouloud Feraoun : «Il y a des joies qui ne s'achètent pas, des plaisirs insoupçonnés, des bonheurs tranquilles... Ces joies, ces plaisirs, nous seuls les connaissons, lorsque nous allons le matin aux champs faire la cueillette dans la rosée.»
Chérif Kheddam est un monument de la chanson kabyle, même s'il est occulté depuis quelques années. Mais les mélomanes ne se trompent pas, en lui gardant une fidélité sans faille. Saïd Sadi lui consacre un essai-hommage qu'il a entamé, dit-il, dès la fin des années soixante. Humble, courageux, bosseur besogneux, mélomane averti, réservé, militant et attachant : ce sont là les qualités de Chérif Kheddam, selon Saïd Sadi, son ami et biographe.
Dans Cherif Kheddam, abrid iggunin ou le chemin du devoir, ouvrage de plus de quatre cents pages, Sadi nous propose en effet un chanteur à la voix mélodieuse, auteur de textes intemporels (Nadia, A lemri, Temzi...), personnage modeste à plus d'un titre et très proche des gens. Mais «pourquoi un livre sur Chérif Kheddam ?» Saïd Sadi considère que «la pudeur de l'homme et la modestie de l'artiste ont masqué les vertus les plus précieuses toute une vie durant par le chanteur kabyle le plus célèbre». Justement, le regretté Chérif Kheddam, dès 1968, se pose la question de l'utilité de l'artiste, homme public au demeurant, dans son poème Le chemin du devoir : «Avons-nous laissé quelque vertu/Ou bien le tout est-il englouti/Avons-nous anticipé le futur/Notre héritage n'est-il que cupidité/Avons-nous laissé quelque vertu/Qui inspirera la postérité.» Ce livre est une approche expliquée du poète, de l'interprète et de sa philosophie. Je ne parlerai pas de message, tellement ce mot est galvaudé. Aussi, il est intéressant à lire, à plus d'un titre.
Enfin, il est juste important de signaler qu'aucun fronton d'un quelconque édifice public ne porte le nom de Chérif Kheddam, ici, en Kabylie. Ni ailleurs. Un jour, peut-être !


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