Les perspectives de développement d'une industrie mécanique en Algérie sont encore une fois au-devant de la scène. Une remise en cause d'un processus lancé il y a trois années est à l'ordre du jour, à la faveur d'un changement de gouvernement. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Mourad Oulmi, P-DG du groupe Sovac, revient sur les choix de son entreprise et les enjeux futurs dans le secteur... Le Soir Auto : La pertinence de l'option de l'industrialisation dans le domaine automobile reste posée. Est-ce un bon choix pour le pays compte tenu de la situation économique nationale ? Mourad Oulmi : Il est un fait clairement établi aujourd'hui, l'économie du pays est loin d'être performante et la balance commerciale est négative. Les importations qui ont atteint des niveaux considérables sont financées essentiellement par les revenus du pétrole. Il nous appartient à nous, investisseurs et opérateurs économiques nationaux, de faire preuve de patriotisme et de solidarité pour prospecter, chacun dans son domaine, de nouvelles sources d'exportation pour l'Algérie. En ce qui nous concerne, un engagement est d'ores et déjà prévu avec notre partenaire, le groupe Volkswagen, pour qu'on lui exporte de la pièce de rechange qui sera prochainement fabriquée dans notre pays. Il devra en être de même pour tous les autres secteurs, médicament, électroménager, agroalimentaire, etc. Les chefs d'entreprise se doivent aujourd'hui d'avoir des clauses dans leurs contrats imposant à leur partenaire d'acheter une partie de la production réalisée en Algérie. Vous ne prévoyez pas l'exportation de véhicules produits par Sovac Production à Relizane ? Pour réaliser des exportations de véhicules, il faut d'abord atteindre un taux d'intégration au moins de 40%, et cela est loin d'être le cas maintenant. En attendant, il est impératif de commencer par la pièce de rechange et des composants de véhicules, dont la production pourra être effective dans de plus brefs délais. Je vous dirais qu'en définitive, ce qui doit être notre priorité en Algérie, c'est l'exportation tous azimuts, de tous les produits et dans tous les secteurs avec un seul objectif, la diversification de nos sources de revenus en devises et par là même, contribuer à la création d'emplois et à l'amélioration de la fiscalité du pays. Précisément dans ce cadre, est-ce qu'il n'aurait pas été plus intéressant et plus bénéfique pour le pays de commencer par la sous-traitance automobile que par le montage de véhicules ? Sans aucun doute, vous connaissez mes positions là-dessus, je n'ai cessé de militer depuis des années en faveur d'une telle option, mais probablement le contexte général n'y était pas propice ou alors la vision n'y était pas assez claire. Aujourd'hui, la situation a profondément changé et l'Algérie a plus que jamais besoin d'autres revenus en devises que ceux des hydrocarbures. Encore une fois, l'objectif de Sovac est de convaincre le groupe Volkswagen sur la nécessité d'un partenariat gagnant/gagnant. Et concrètement quelles seraient les grandes lignes de ce partenariat ? C'est un groupe de travail constitué de cadres du groupe Volkswagen et de Sovac qui se penche depuis quelques temps déjà sur la faisabilité de ce projet, avec des visites de hauts responsables du groupe allemand, notamment le vice-président de Seat en charge des achats pour réunir dès maintenant les conditions de lancement d'une industrie de sous-traitance répondant aux normes et aux exigences du groupe. Et je peux vous confirmer la volonté de ce dernier de prospecter le marché local de la pièce de rechange en visitant les installations de producteurs activant dans le secteur et afficher sa disponibilité pour contribuer à son développement. Il n'est pas prévu l'arrivée de sous-traitants du groupe pour une installation en Algérie ? Absolument, et cela dans une deuxième phase après la montée en cadence de la production de l'usine de Relizane. Dès qu'on atteindra le seuil de 70 000 unités par an, on sera en mesure de demander au constructeur de délocaliser une partie de ses sous-traitants en Algérie. Et notre démarche sera largement justifiée par l'importance des parts de marché du groupe sur le marché national et elle sera en conformité avec le principe d'un partenariat gagnant/gagnant. J'ai tenu un langage de franchise avec les responsables du groupe allemand : s'ils veulent rester en Algérie, ils se doivent de développer une activité d'exportation. Avec cette crise financière et économique qui perdure, ne pensez-vous pas que l'on s'acheminerait vers la mise sur pied de quotas pour la production locale de véhicules? Je ne le pense pas pour le moment. Car il s'agit en définitive et pour certains d'importation de véhicules en kits avec une plus-value locale insignifiante ? Je préciserai d'abord qu'il ne s'agit pas d'importation de produits finis. Il y a un cahier des charges établi par le gouvernement qui précise clairement les obligations des investisseurs et les conditions de leur installation en Algérie. C'est vrai que l'Etat a consenti une aide à ces opérateurs à travers le financement de ces kits importés ainsi que des avantages fiscaux et parafiscaux, mais il y a aussi des engagements pour l'investisseur d'atteindre des taux d'intégration tel que stipulé dans le cahier des charges, à savoir les 15% au bout de la 3e année et les 40% à la fin du 5e exercice. Cela aboutira forcément à une production locale de la pièce de rechange avec une obligation d'exportation, ce qui compensera, à terme, le manque à gagner du gouvernement. Et pour atteindre ce niveau de performance, il sera exigé de ces sous-traitants d'exporter quelque 80% de leur production et de consacrer les 20% restants à l'approvisionnement des usines locales. Un taux d'intégration de 15% à la fin de la 3e année d'activité, tel que stipulé dans le cahier des charges, justifie-t-il les opérations d'importation, par certains, de véhicules sur lesquels il ne manquait que quelques éléments et que l'opinion publique a largement dénoncés ? Je pense effectivement que la réglementation devrait évoluer, ces taux ont été établis dans un contexte défini. Aujourd'hui, on pourrait préciser que le taux de 15% par exemple devait concerner plutôt les exportations. On devrait exiger de l'investisseur la contre-partie de la valeur d'intégration en produits exportés. ça devait être la priorité des pouvoirs publics et nous avons fait il y a deux années plusieurs propositions dans ce sens pour essayer de promouvoir les exportations et sensibiliser l'ensemble des intervenants, banques, administration, douanes, impôt, créer une structure spécialement dédiée à l'exportation. Il est dommage de constater aujourd'hui que les opérateurs algériens maîtrisent parfaitement les circuits de l'importation et ignorent tout des procédures d'exportation. Pensez-vous que le taux d'intégration de 40% à la 5e année est sérieusement envisageable ? Honnêtement, j'estime que le délai de 5 ans fixé par le gouvernement est largement suffisant pour développer une activité de sous-traitance en Algérie. En deux années on peut mettre en place un tissu de producteurs locaux qui disposeront d'un temps suffisant pour l'homologation de leurs produits auprès du constructeur. Encore faut-il qu'il y ait la réunion des conditions favorables pour une telle activité. Pour notre part, nous avons réservé des espaces sur le site de Relizane pour nos futurs sous-traitants en leur préparant les meilleures conditions pour leur installation : construction de hangars, raccordement aux différents réseaux (électrique, téléphone, internet, eau) et même une base-vie pour leurs techniciens. C'est vous dire aussi qu'il y a une volonté de notre part d'anticiper sur les exigences de nos partenaires. Quel bilan feriez-vous de l'ouverture des premières commandes et de la grande affluence des clients vers les structures de Sovac ? C'est la confirmation du succès des marques du groupe Volkswagen en Algérie, et ce, en dépit de la campagne du dieselgate à travers le monde. Ajoutons à cela une période de pénurie de véhicules neufs sur le marché local et il y a également tous nos clients qui souhaiteraient renouveler leur confiance à la marque. De notre côté, nous avons fait un effort considérable sur les prix avec un engagement de les réduire par rapport à ceux pratiqués l'année dernière d'au moins 20%. Mais les prix restent néanmoins élevés compte tenu des avantages fiscaux et des exonérations de taxes dont vous bénéficiez ? Mais il ne s'agit pas d'importation de produits finis, nous avons réalisé des investissements, acquis des équipements, employé des dizaines de personnes et nous nous acquittons de plusieurs charges entrant dans le cadre de l'activité d'assemblage. Il y a une différence entre l'importation d'un véhicule fini sans les charges suscitées et un autre qui arrive démonté et qu'on doit remonter à Relizane avec en sus des surcoûts estimés entre 30 et 35%. J'insisterai sur l'effort que nous avons accompli sur les prix en concertation avec le constructeur, parce qu'on aurait pu ajouter quelque 200 000 DA sur celui de Seat Ibiza pour être plus rentable et profiter d'une situation de pénurie, mais nous avons tenu à préserver une image et une notoriété.