Les ministres des Finances de l'Union européenne (UE) ont, jusqu'à demain, mardi 5 décembre, pour adopter définitivement une liste noire européenne des paradis fiscaux. Après les récentes révélations des «Paradise Papers», ces ministres auront du mal à échapper à ce rendez-vous : réunis à Bruxelles, ils sont censés adopter définitivement une liste noire européenne des paradis fiscaux. Une telle démarche serait une première. Mais à la veille de l'échéance, les tractations politiques continuent d'aller bon train pour tenter de réduire cette liste. Selon plusieurs sources, le 27 novembre, à l'issue d'une ultime réunion d'experts nationaux (ceux du groupe «code de conduite» qui a passé au crible 92 pays durant près d'un an), la liste provisoire des pays considérés comme des paradis fiscaux par l'UE en comprenait 25. Les experts continuaient par ailleurs de s'interroger sur le sort de quatre pays supplémentaires dont les engagements à changer leurs pratiques n'avaient pas été jugés suffisants pour les dédouaner complètement. Pour éviter d'être classées sur la liste définitive, les juridictions doivent théoriquement respecter trois critères définis par Bruxelles : se conformer aux standards d'échanges automatiques de données recommandés par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), éviter de favoriser l'implantation de sociétés offshore et s'engager à accepter, d'ici à fin 2017, les lignes directrices de lutte contre l'évasion fiscale de l'OCDE. L'Union a choisi d'exclure d'emblée les pays européens de cette liste : ils sont déjà censés se conformer au droit de l'UE en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscale. Le Qatar pourrait y figurer Vendredi 1er décembre, les représentants des 28 Etats membres se sont réunis pour avoir une première discussion politique au sujet des 25 + 4 pays susceptibles de figurer sur la liste définitive. Selon une source européenne, il y a eu une discussion approfondie concernant les îles Caïmans. Aucune décision n'a été prise, mais «le risque, c'est que la liste définitive se retrouve taillée de moitié, avec les îles Caïmans qui pourraient disparaître», estime encore cette source. Selon nos informations, le Qatar était toujours dans la liste des 25 + 4 pays vendredi soir. Autre crainte : que de nouvelles lettres d'engagements de certains de ces 29 pays sur la sellette soient prises en considération au dernier moment sans qu'on ait eu le temps d'en évaluer le sérieux. Le groupe «code de conduite» leur avait pourtant fixé la date butoir du 18 novembre. «La date butoir, c'est demain, le mardi 5 décembre au matin, juste avant la réunion des ministres des Finances», glissait cependant un diplomate vendredi. «La composition de la liste va évoluer jusqu'au dernier moment et ce sera aux ministres de décider mardi s'ils la publient ou pas», a assuré vendredi un officiel européen. Le nombre de pays sur cette liste sera composé de ‘'deux chiffres'', a ajouté cette source. En plus de la liste noire, les ministres devront aussi décider s'ils rendent ou non publics les noms des pays ayant pris l'engagement de changer (dans les 12 mois) leurs pratiques. Le feront-ils ? Rien ne l'assurait vendredi. Les sanctions associées à la liste seront aussi soumises à leur choix, très politique. Dès la publication de la liste, les pays y figurant devraient certes se voir privés de fonds impliquant de l'argent européen (ceux de la Banque européenne d'investissement, par exemple). Mais des proches des discussions doutaient fort que les Etats parviennent à s'entendre sur des sanctions plus dissuasives. Le Luxembourg ou l'Irlande estiment que le seul fait de figurer sur la liste suffit. «Personne ne comprendrait que la liste soit l'objet de pressions politiques et diplomatiques», a martelé le commissaire à l'économie et à la fiscalité de l'Union européenne, jeudi dernier. Il souhaite aussi «une transparence totale sur la liste des juridictions non coopératives et sur les engagements pris par d'autres juridictions. Nous devons cette transparence aux opinions publiques encore sous le choc des scandales fiscaux en série.» C'est la Commission qui a initié le travail sur la liste en 2015. Elle craint désormais que les Etats, qui prennent leurs décisions à l'unanimité, ne privilégient des liens diplomatiques ou d'affaires peu avouables à la justice fiscale. Les ONG mettent la pression L'ONG internationale, Oxfam, de lutte contre la pauvreté a dévoilé, mardi 28 novembre, sa propre liste de pays qui, estime-t-elle, devraient être considérés comme des paradis fiscaux au regard des critères de l'Union européenne (UE). L'heure de vérité approche. Le 5 décembre, les ministres des Finances européens doivent définitivement adopter une liste des paradis fiscaux, à laquelle leurs experts travaillent depuis plus d'un an au sein du très opaque «groupe code de conduite». Craignant que les politiques, malgré les retentissantes révélations des «Paradise Papers» ne tentent, pour des raisons diplomatiques, de protéger certaines juridictions, Oxfam fait monter la pression : sa propre liste contenant 35 pays hors de l'Union qui, estime-t-elle, devraient être considérés comme des paradis fiscaux au regard des critères européens, si l'UE les appliquait «de manière objective», «sans céder à la pression politique». Transparence, fiscalité équitable et suivi des recommandations de l'OCDE Le «groupe code de conduite» a accepté, à la fin de 2016, de juger 92 juridictions dans le monde à l'aune de trois critères : la transparence (notamment la coopération administrative), une fiscalité équitable (ne favorisant pas l'implantation d'entreprises sans substance économique) et le suivi des lignes directrices de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pour Oxfam, l'Albanie, les Bahamas, les Bermudes, la Bosnie-Herzégovine, les Emirats arabes unis, Gibraltar, Hongkong, l'île Maurice, Jersey, la Nouvelle-Calédonie, la Suisse, Singapour ou Taïwan sont à considérer comme des paradis fiscaux. L'ONG va plus loin en réclamant que l'Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas, quatre pays de l'Union, soient aussi mis à l'index. C'est totalement exclu par les Européens qui partent du principe que ces Etats sont d'ores et déjà censés obéir aux lois communautaires, devenues plus restrictives en matière d'optimisation fiscale ces dernières années. «Sanctions dissuasives » Oxfam n'est pas la seule à craindre de petits arrangements politiques entre capitales européennes. La crédibilité des Etats membres «sera testée par cette première liste européenne des paradis fiscaux. Et pour que cette liste soit crédible, elle doit être ambitieuse et rapidement assortie de sanctions dissuasives», prévenait le commissaire à l'économie et à la fiscalité de l'UE ces derniers jours. Sur les 92 juridictions initialement retenues, vingt-deux ont fourni suffisamment de réponses au «groupe code de conduite» pour être écartées de la future liste. Leurs noms n'ont, cependant, pas été rendus publics. Tout comme celui des douze juridictions pratiquant un impôt nul sur le bénéfice des sociétés. La Commission espère qu'en plus d'une «liste noire» crédible, le 5 décembre, les ministres des Finances de l'UE (qui doivent se prononcer à l'unanimité) rendront publique celle des pays ayant pris des engagements fermes à changer leur législation dans l'année qui suit. Parmi eux, les territoires ayant subi de dévastateurs passages d'ouragans ces derniers mois pourraient bénéficier d'un délai de deux ans. En revanche, rien n'indique que les ministres seront prêts à adopter des sanctions coordonnées au niveau européen et vraiment dissuasives pour les pays figurant sur la liste noire (comme l'interdiction de déduire des bases fiscales les flux qui vont vers les pays de la liste). Le Luxembourg, Malte et l'Irlande s'opposaient même carrément à toute sanction ces derniers jours : le seul fait de figurer sur la liste suffirait amplement, estimaient-ils...