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3e conférence sur le financement du développement à Addis-Abeba Les pays riches bloquent la création d'un organisme au sein de l'ONU pour lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscales
La 3e Conférence internationale sur le financement du développement a eu lieu à Addis-Abeba (Ethiopie) du 13 au 16 juillet 2015. Elle devait évaluer les progrès accomplis dans la mise en œuvre du Consensus de Monterrey (2002) et de la Déclaration de Doha (2008). Au final, cette conférence s'est soldée par un échec : les pays riches ont bloqué la création d'un organisme fiscal intergouvernemental au sein de l'ONU pour lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscales. La conférence devait aussi se pencher sur les questions nouvelles ou naissantes, compte tenu, entre autres, des synergies entre les objectifs de financement dans les trois dimensions du développement durable — croissance économique, équité sociale et protection de l'environnement — et de la nécessité d'appuyer le programme de développement des Nations unies pour l'après-2015. La conférence a accouché d'un plan d'action a minima. Il y a bien quelques points de détails positifs, mis en avant par l'ONG One (lutte contre l'extrême pauvreté»), comme l'annonce d'aides ciblées «sur la santé, l'éducation et les droits économiques pour les femmes et les filles» arrachées au grand dam de pays du Golfe notamment ou «la mise en place d'une cartographie de données de l'extrême pauvreté et des ressources nécessaires pour y mettre fin». Mais selon nombre d'observateurs et d'experts présents, l'accord de façade marque un échec. Car le texte final «donne carte blanche au secteur privé pour financer le développement, sans contrepartie de responsabilité sociale ou environnementale et, surtout, il maintient les privilèges des pays développés dans la gouvernance économique mondiale», analyse l'ONG «CCFD-Terre solidaire». Les débats se sont d'ailleurs cristallisés sur l'initiative la plus forte, en gestation depuis quinze ans, mais à nouveau retoquée : la création d'un organisme fiscal intergouvernemental au sein de l'ONU pour lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscales et permettre de définir des règles globales. Corruption, pratiques mafieuses et évasion fiscale ont coûté près de 1000 milliards de dollars en 2013 Les partisans de ce projet estiment que cela permettra d'optimiser les ressources nationales des pays en développement : la pression fiscale y est deux fois moindre que dans les Etats riches. Parce que l'aide publique au développement (APD) sert de plus en plus essentiellement à la diplomatie économique... Et parce que, pour chaque dollar reçu – sous forme d'investissement ou d'aide extérieure –, environ deux s'échappent des pays en développement à cause de la fraude et de l'optimisation fiscales. Au total, si on additionne la corruption, les pratiques mafieuses et l'évasion fiscale, ils ont perdu 991,2 milliards de dollars en 2013, selon l'ONG Global Financial Integrity. Un «braquage» qui ne cesse d'augmenter. «C'est si facile à faire, explique un expert en évasion fiscale. De plus en plus d'entreprises échappent à l'impôt dans leur pays d'origine en transférant des activités à l'étranger vers des juridictions où la charge fiscale est faible ou nulle.» L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), club regroupant 34 pays riches, a lancé un plan d'action appelé BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices), qui vise à réduire les possibilités d'optimisation dans les paradis fiscaux. Cette réforme en 15 points — 1400 pages — devrait être avalisée à l'automne par le G20. «Elle profiterait aussi au Sud, explique le patron de l'OCDE. L'opacité, c'est fini ! Pourquoi les ONG n'en veulent pas —elles la trouvent insuffisante —, alors qu'on subit des pressions énormes des firmes contre cette réforme ?» Pour le patron de l'OCDE, impossible d'étendre ce plan à tous les membres de l'ONU : «Si on met tous les pays autour de la table, on sera bloqué par des paradis fiscaux comme les Bahamas !» L'argument fait tiquer le Nobel d'économie Joseph Stiglitz, présent à cette conférence, au taquet sur le sujet : «Ah bon, parce que les plus grandes places offshore ne sont pas abritées par les Etats-Unis (Etat du Delaware) et Londres ?» se moque l'économiste. «Les BEPS sont un pas dans la bonne direction, mais c'est très insuffisant. Il faut que tous les pays aient leur mot à dire sur la définition des taxes, question d'équité et de démocratie.» Pourquoi les pays riches étaient-ils réfractaires ? Même le Fonds monétaire international (FMI) le reconnaît : les pays du Sud sont trois fois plus vulnérables aux manipulations des multinationales que les pays de l'OCDE. Comment mieux taxer les industries extractives, par exemple ? Comment limiter les exemptions fiscales, qui font perdre 130 milliards par an de revenus, toujours selon le FMI ? Et surtout, «comment éviter que les droits à taxer ne favorisent pas, comme à l'OCDE, les pays de résidence, donc ceux du Nord ?» s'interroge un juriste. Sans parler des échanges d'informations automatiques sur les comptes bancaires d'étrangers avec la Suisse par exemple, qui ne se feront à partir de 2017 qu'avec l'Europe et les Etats-Unis.» Les pays émergents et les ONG souhaitent tout remettre à plat. Pourquoi les pays riches étaient-ils réfractaires ? Parce qu'ils entendent continuer à fixer les règles du jeu. «Les pays riches n'ont absolument pas l'intention de démocratiser la gouvernance économique mondiale dans plus transformateur et le plus critique : les taxes», brocarde l'ONG Third World Network. «Cette occasion ratée, comme celle de trouver un mécanisme international sur les dettes insoutenables, sape toute réforme systémique.» De fait, la question du multilatéralisme se pose de plus en plus dans un monde où les grandes puissances entendent cantonner l'ONU loin des sujets économiques, les plus cruciaux, ou s'interrogent sur son utilité. «Tout est fait pour marginaliser l'ONU sur la fiscalité, les dettes, les multinationales, dit le représentant à Addis-Abeba de l'ONG Society for International Development. On est de plus en plus dans un monde où on tolère que l'ONU identifie des problèmes, partage des diagnostics, mais surtout n'apporte pas de solutions. Ou alors avec le privé, sur l'éducation, la santé... Or, l'ONU, bien qu'imparfaite, reste un espace démocratique planétaire central.» Menaces contre les pays «rebelles» Les rapports de force demeurent. Les menaces de rétorsion ont fusé pour faire rentrer dans le rang les pays rebelles, comme l'Inde, ou édulcorer le texte. L'Australie s'est battue pour faire disparaître un appel à la «totale transparence» dans les revenus des multinationales (pour obliger les firmes à publier ce qu'elles donnent et reçoivent) et le remplacer par l'idée de «promouvoir la transparence»... Anecdotique ? Non, symbolique. Londres et les Etats-Unis ont été les leaders du camp des faucons. Pourquoi ne faut-il pas désespérer ? Ce qui a été édifiant une fois de plus à Addis-Abeba, c'est le silence des délégués des pays les plus pauvres qui, comme avec le climat, sont les plus touchés par le nivellement par le bas de la fiscalité. Silence sur la promotion du secteur privé, de partenariats sans réelle contrepartie, sur la multiplication des cadeaux fiscaux, l'absence de transparence pour tenter d'attirer les investisseurs. «Les pays les plus pauvres sont totalement tétanisés et leurs délégués sont souvent des élites déconnectées de la vie réelle de leur peuple», souffle, amer, un facilitateur des Nations unies. Un membre du réseau «Eurodad» (Réseau Européen sur la dette et le développement), l'assure : «Le changement ne viendra pas d'en haut mais d'en bas, par la montée de la pression de la société civile.» Synthèse presse internationale par Djilali Hadjadj