S'il fallait t�moigner du degr� de maturit� d'une soci�t� que l'on d�crit trop volontiers comme incivique et d�tach�e de la r�alit�, on accepterait plus volontiers de regarder le m�tier que nous exer�ons comme l'un des vecteurs qui conduisent le mieux vers les fr�missements — y compris malsains — de notre environnement. Un regard attentif, voire aiguis� est de ce fait loin d'�tre exclusivement journalistique. Beaucoup parmi les lecteurs qui �crivent � "Parlonsen" font montre d'une �tonnante vivacit� d'esprit quand ils ne vous font pas partager leur humeur du moment, dans cet humour caustique qui permet de survivre � tout et de surmonter parfois les situations les plus d�primantes. R�ussir � se moquer de soit n'est d�j� pas �vident. Mais quand on le fait sur un ton aussi d�capant, cela en devient presque g�nial dans le sens o� la d�rision apaise la col�re suscit�e par l'atmosph�re ambiante. La lucidit� n'�tant pas ind�niablement la premi�re qualit� d'un journaliste — on nous le rappelle assez souvent quand on ne nous reproche pas r�guli�rement notre "aveuglement" complice —, j'ai pens� qu'il ne serait pas inint�ressant de mettre en exergue de temps � autre, histoire de les partager avec d'autres lecteurs, quelques-uns des messages qui sont adress�s � la chronique. Celui choisi pour aujourd'hui parce qu'il est d�rangeant de r�alisme concerne le crachat. Aurions-nous, nous autres Alg�riens, un go�t prononc� pour la salet� ou un penchant trop �vident pour la crasse ? Voici ce que nous en dit, en tout cas, l'un de nos concitoyens qui ne court pas vraiment apr�s la c�l�brit� et gardera donc l'anonymat : Un autre sport national alg�rien est en train de d�tr�ner le football car pratiqu� par toutes les couches sociales, les deux sexes, jeunes, moins jeunes et vieux. Il s'agit du crachat. Tout le monde fait de son mieux pour le hisser � la premi�re place des activit�s du pays. R�serv� un temps � la gent masculine, il est depuis peu ouvert au sexe f�minin preuve des changements de mentalit�s. On n'arr�te pas de le dire : notre soci�t� n'est pas sexiste. Le jeune l'exerce sans complexe, une fa�on comme une autre de crier sa pr�sence et surtout de para�tre homme aux yeux des autres. A d�faut d'une voiture d�capotable qui lui permettrait de faire du "para�tre", le seul mode d'expression de son existence "r�ussie", notre jeune concitoyen fait virevolter ses glaviots de toutes les couleurs � la face des passants nonchalants avec une dext�rit� certaine. Parfois quelques rat�es, excusables disent les puristes, car notre champion a besoin d'entra�nement pour parfaire sa technique. Idem pour les personnes plus �g�es. Elles se soulagent sans honte m�me dans les lieux publics. Elles qui, par le pass� avaient toujours sur elles un mouchoir au cas o�... Finie cette p�riode, le crachoir est � ciel ouvert. M�me le fruit visqueux des narines est rejet� � des vitesses incroyables et sans encombres, apr�s moult pressions des doigts tr�s sonores. Reste la t�che la plus d�licate : essuyer sa main. Un jeu d'enfant ! Un arbre, une poign�e de main, ou tout simplement v�rifier la bonne cuisson du pain... et le tour est jou�. Les pneumologues parlent de recrudescence de la tuberculose en partie � cause de cette pratique, mais leur message ne passera pas. Car c'est tout un peuple qui s'adonne sans mod�ration � son sport national et � moindres frais. On murmure m�me �� et l� qu'une journ�e nationale lui sera consacr�e. Entre la journ�e de l'arbre et celle du patrimoine, il peut convenablement trouver sa place. A quand une Star Academy du glaviot ? Et surtout, surtout, touche pas � mon crachat ! Ni � nos cracheurs ! Rectifions tout de m�me pour ne pas assimiler ceux qui se soucient de vivre dans un milieu moins infect� et ne s'adonnent pas � ces comportements naus�eux, � ceux qui ne con�oivent pas d'�voluer autrement dans la vie qu'en agressant leur voisinage. Si tout le peuple ne pratique pas ce "sport" r�pugnant, il faudra cependant conc�der � l'auteur des lignes pr�c�dentes, d�sireux de nous communiquer son �cœurement, que les comportements d�crits par lui deviennent, h�las, de plus en plus courants. Ils sont en r�alit� la cons�quence d'une d�mission, d'un laisser-aller au niveau de la responsabilit� locale trop pr�occup�e par la pr�servation d'une autre esp�ce de confort. Aveugle et sourde � ce qui se passe autour d'elle, elle ne se sent ni interpell�e ni d�rang�e et encore moins concern�e, par exemple, par ces cours int�rieures, rez-de-chauss�e et autres coins d'immeubles transform�s, pour agr�menter le paysage, en d�charges ou en urinoirs publics. A cela, et au grand dam des passants, viennent copieusement s'ajouter les miettes et autres poussi�res dont on soulage tous les matins ce qui fait office de tapis et de literie, et que nos m�nag�res se croient oblig�es de secouer sur la t�te de malheureuses victimes de passage sans jamais se soucier de ce qui se passe au-dessous de leur balcon. On ne se soucie pas non plus du d�sagr�ment qu'elles occasionnent � ces derni�res ; sans omettre celles qui les arrosent abondamment malgr� des vocif�rations qui ne les perturbent pas outre mesure. Et quand elles ne les laissent pas totalement indiff�rentes, elles suscitent en elles la satisfaction d'avoir enfin fait r�agir quelqu'un, d'avoir attir� l'attention sur la lourde t�che qui leur est assign�e. Aucune remarque n'�tant en mesure de les d�concentrer de leur mission quotidienne, elles font ainsi supporter aux autres le poids de leur propre m�diocrit� mentale, de leur manque d'�ducation et de civisme : le pr�texte �tant qu'il faut bien se soulager de ses ordures quelque part et si possible pas tr�s loin de chez soi. Un peu plus loin et pour agr�menter le d�cor, certains commer�ants, comme les bouchers ou marchands de l�gumes, se d�barrassent sur les trottoirs de leurs os ou des fruits et l�gumes qui leur restent sur les bras parce que pourris et non recyclables. Souvent, on trouve la situation cocasse et on se contente de rire des lamentables aventures rapport�es par ceux t�moins de pareilles sc�nes ou victimes eux-m�mes d'actes hallucinants commis par des adultes cens�s pr�cher la bonne conduite sociale et pr�venir les tensions g�n�r�es par ce genre de pratiques. Aucune autorit� ne pointe le nez pour verbaliser, s�vir, punir l'acte que tous savent d�lictueux mais que personne ne craint de commettre. Pourtant, ces agissements demeurent inacceptables et les d�tenteurs de l'autorit� de l'Etat devraient faire montre d'une plus grande s�v�rit� � l'�gard des contrevenants. Dans ce cas, la complaisance �quivaut � faire la promotion de la salet�. Un ministre de la R�publique ne nous a-t-il pas ass�n�, il y a quelques semaines � peine, que cela ne relevait pas des attributions des maires de ramasser les ordures ? Soit ! Mais alors, qui paie les entreprises charg�es de nettoyer notre environnement puisqu'il existe un imp�t communal dont nous nous acquittons annuellement sans compter toutes les taxes qui nous sont pr�lev�es r�guli�rement est qui sont, entre autres, destin�es � cela ?