On attendait un match épique entre les trois meilleurs marathoniens du moment. On espérait un record du monde. Mais la bataille a tourné court hier à Berlin, où Eliud Kipchoge s'est imposé finalement, alors que ses rivaux Bekele et Kipsang ont abandonné avant le 30e kilomètre. Sous un fin crachin et sur une route détrempée par la pluie de la nuit, le champion olympique de Rio a tout de même couru en 2h03:32, soit la septième meilleure performance de tous les temps. Les deux autres grandissimes favoris Kenenisa Bekele et Wilson Kipsang, qui visaient aussi le record du monde, ont lâché prise avant le 30e km. Dans cette course où rien ne s'est passé comme prévu, la surprise est venu d'un jeune Ethiopien de 26 ans, Guye Adola, totalement inconnu du grand public. Ce spécialiste du semi-marathon, qui s'alignait pour la première fois de sa vie en compétition sur les 42,195 km, a tenu tête à Kipchoge jusque dans les deux derniers kilomètres, pour prendre finalement une incroyable deuxième place en 2h03:46. Kipchoge lui-même avoue avoir été surpris : «Je suis content d'avoir battu Adola. Je ne m'attendais pas à avoir à me battre contre quelqu'un d'autre que Bekele ou Kipsang», a-t-il dit. «Les conditions n'étaient pas faciles, à cause de la pluie. Heureusement, il n'y avait pas trop de vent.» «Barrière des deux heures» Agé de 32 ans, Kipchoge partait pour la première fois dans l'histoire du marathon avec un avantage psychologique indéniable: en mai, il était devenu le premier homme à approcher la barrière symbolique des deux heures, lors d'un test organisé par son équipementier Nike sur le circuit automobile de Monza, en Italie. En 2h00:24, il avait pulvérisé le temps du record du monde de deux minutes et demie mais son temps n'a pas été homologué car il avait bénéficié de conditions qui n'existent pas en compétition, notamment des lièvres qui se relayaient pour lui donner le tempo. Le Kényan en avait cependant tiré la conviction qu'il pouvait battre le record du monde dès cette année à Berlin. «Il y a d'autres athlètes aussi fort que lui physiquement», dit de lui son entraîneur et ami d'enfance Patrick Sang. «Mais ce qui le place au dessus des autres, c'est sa force mentale. Je pense qu'il peut courir un marathon en dessous de deux heures.» Pari manqué — pour cette fois — mais il ajoute tout de même une ligne à son phénoménal palmarès sur marathon, où figure la médaille d'or olympique de Rio, ainsi que deux victoires à Londres (2015 et 2016) et désormais deux à Berlin, après celle de 2015. Ce fils de fermiers des hauts plateaux kényans s'était révélé très jeune au monde de l'athlétisme, aux championnats du monde de Paris en 2003. A 19 ans seulement, il avait remporté le 5.000 mètres devant deux des légendes de l'époque, Kenenisa Bekele (déjà!) et le Marocain Hicham El Guerrouj. Ce passé de pistard lui permet, comme Bekele d'ailleurs, de s'appuyer dans le final des marathons sur son aptitude à changer de rythme et à accélérer brutalement la foulée dans les derniers hectomètres. Un talent qui lui a permis de déposer Adola dimanche à Berlin à l'approche de la ligne d'arrivée. Chez les dames, la compatriote de Kipchoge, Gladys Cherono, s'est imposée en 2h20:23.