Apr�s avoir lu �la France et l�Alg�rie en guerre : 1830-1870, 1954- 1962� de Jacques Fr�meaux paru chez Economica, on est s�rieusement tent� de faire l��conomie de la plupart des �crits historiques sur la question pour ne retenir en fin de compte que quatre r�f�rences. Il suffit en effet de compl�ter �Histoire d�un parjure� de Michel Habart sur les motivations profondes qui ont convaincu le microcosme parisien de se lancer � la conqu�te d�Alger, par �L�honneur de Saint-Arnaud� de Fran�ois Masp�ro, �Coloniser exterminer� de Olivier Lecour Grandmaison et, enfin, �La France et l�Alg�rie en guerre�. Ces quatre ouvrages, tous r��dit�s chez nous, � l�exception du dernier, suffisent amplement � constituer une bibliographie synoptique pour une bonne compr�hension de l�histoire coloniale. Si les trois premiers ouvrages concernent la conqu�te, le dernier tente une comparaison entre les deux guerres qui ont oppos� les deux pays, � un peu plus d�un si�cle d�intervalle, par une profonde introspection des parties ou forces en pr�sence. L�int�r�t documentaire de l�ouvrage tient principalement au caract�re in�dit de certaines archives consult�es pour compl�ter la documentation �crite sur la guerre d�Alg�rie : une vingtaine de cartons appartenant, pour l�essentiel, � la s�rie 1 H du Service historique de l�arm�e de Terre (SHAT). Il y a l� de quoi permettre � l�auteur d�esquisser une synth�se, un juste milieu qui d�limite la part des choses entre le fait historique, froid et t�tu, d�une part, la l�gende et l�id�ologie, d�autre part. Il traduit une sorte d��quilibre, de �retour de balancier�, entre les th�ses chauvines qui, des deux c�t�s� de la M�diterran�e, travaillent au pourrissement des int�r�ts alg�ro-fran�ais pour des raisons souvent inavou�es, en tout cas rarement ou non encore �lucid�es. Comme l��crit Jacques Fr�meaux, �loin de rapprocher les deux camps, l�usage de l�histoire � des fins r�cup�ratrices ne peut que contribuer � les s�parer�. Soci�t� pluriethnique class�e comme une �vari�t� d�Orient�, l�Alg�rie de la conqu�te se pr�tait mal � une nouvelle fusion par refus des Alg�riens et par blocage politique. La constante religieuse a immanquablement, et � deux reprises, fortement puis fatalement, contrari� les id�aux de chr�tient� et de civilisation qui ont accompagn� l�entr�e des troupes fran�aises, aussi bien lors de la guerre sainte d�Abdelkader et les insurrections qui l�ont suivie que pendant la r�volution du FLN. C�t� fran�ais, la premi�re guerre est motiv�e par la naissance d�un Empire, la seconde par la conservation d�un d�partement ; c�t� alg�rien, elle anticipe une construction nationale r�ellement �mancipatrice apr�s la substitution d�une situation de sous-d�veloppement � une situation anarchique. A la conqu�te succ�dent alors les insurrections, puis la guerre avec deux conflits �asym�triques� et de basse intensit� : ils opposent des contingents de guerriers sommairement �quip�s � des arm�es modernes. C�est, toutefois, une guerre de conqu�te totale visant � annexer le territoire d�un autre Etat et � se subordonner ses sujets, dirig�e par une autorit� militaire, avec au sommet un g�n�ral en chef qui est �galement gouverneur g�n�ral, autorit� � laquelle la Ve r�publique s�emploiera, tardivement et imparfaitement, � substituer un pouvoir civil. Dans cette guerre, les deux principes d�exigence morale empreints de mod�ration (celui de discrimination qui veut qu�on ne combatte que les combattants et celui de proportionnalit� qui limite les destructions � celles qui sont n�cessaires � l�accomplissement de la mission) prennent valeur de contre-exemples. Pour ne citer que les plus marquants : Bugeaud est le nom d�un monstre par lequel les m�res musulmanes menacent leurs enfants, P�lissier est coupable d�enfumades, l�in�vitable Saint-Arnaud reconna�t avoir emmur� vivants les insurg�s de la tribu des Sbihas en ao�t 1845, Lamorici�re est surnomm� Bou Haraoua (l�homme au b�ton) et le g�n�ral Boyer gagne, � Oran, le sobriquet de �Pierre le Cruel�. On comprend que l�identification des Ogres (Ghouls) et des chefs militaires fran�ais, ou des Fran�ais tout court, �tait chronique et cong�nitale, courante, inconsciente et naturelle dans l�esprit des populations rurales. Du c�t� des insurg�s, le poids de la tradition est lourd et la s�paration des pouvoirs n�a gu�re plus de sens face au pouvoir des armes quand tout est subordonn� � la victoire, qu�il s�agisse du politique et du religieux, du civil et du militaire, de l�int�rieur et de l�ext�rieur. D�une guerre � l�autre, la direction des �v�nements passe d�un commandement central et de la pr��minence de grands chefs cumulant toutes les responsabilit�s dans une strat�gie consistant d�abord � d�truire et, le plus souvent, � occuper tous les points fortifi�s (Bugeaud et Abdelkader), � l�absence de chefs en raison d�un c�t�, de l�instabilit� fran�aise des trois ann�es et demie de la IVe R�publique et de l�absence de suivi de la Ve, et, de l�autre c�t�, de la clandestinit� ou du peu de notori�t� des hommes qui d�clenchent la R�volution du 1er Novembre. Au cours du dernier conflit, la primaut� du �territorial� sur �l�op�rationnel� pr�vaudra dans les deux camps : le ma�tre ici est celui qui a domin� un �pr�carr� et qui le consid�re comme sa chose. Les chefs de guerre qui, instinctivement, mettent en pratique ce principe sont des hommes de terrain bien renseign�s. La �d�fense strat�gique� initi�e d�s f�vrier 1947 par A�t Ahmed lorsqu�il a �t� � la t�te de l�OS (dans laquelle figurent d�j� les futurs �chefs historiques�) est une �man�uvre par lassitude� parce que les Alg�riens n�ont pas de patrie de rechange et que les autres ne font, n�cessairement que passer. La guerre fait alors une large place aux services sp�ciaux. Les Fran�ais ont substitu� aux �bureaux arabes� de la conqu�te une noria de services en 1954. Les �ma�tres Jacques de la colonisation� que sont les �bureaux arabes� concentrent la recherche op�rationnelle, le renseignement politique et la police politique. Quatre premiers types d�officiers leur succ�deront pendant la Seconde guerre : l�officier de renseignement proprement dit relevant du deuxi�me bureau, l�officier du service �action�, l�officier d�action psychologique relevant du 5e bureau et l�officier de SAS. Il faudra leur ajouter la Gendarmerie nationale, les officiers du contre-espionnage ou SDECE d�l�gu�s en Alg�rie et les organismes civils relevant de la police (Surveillance du territoire, Police judiciaire, Renseignements g�n�raux). Dans les conditions de la guerre r�volutionnaire, tous rejoignent Lacheroy pour dire que �il n�y a peut-�tre plus besoin d�un g�n�ral, ni d�un pr�fet : il vaut mieux un boucher�. Par mim�tisme, par facilit� ou par survie, le camp adverse a, bien �videmment, tendance � s�aligner. L�inquisition sous le PPA et l�av�nement du MALG, puis les p�rip�ties de l�ind�pendance, inspirent de nos jours � de grands leaders nationalistes la pr�f�rence de �r�gime policier� comparativement � �dictature militaire�. Le radicalisme retrouve ici � notamment chez le PPA � plusieurs origines, dont l�une et non des moindres, est fort pertinemment associ�e par Ferhat Abbas � l�existence d�une �secte politico-religieuse qui tenait de l�esprit de zaouia, de la solidarit� franc-ma�onnique et de la discipline stalinienne�. �Sept ans de guerre ont privil�gi�, au sein des deux camps, la manipulation, la propagande et la tentation totalitaire�, conclut Fr�meaux dont l�originalit� et le souci d��quilibre fr�lent, � bien des reprises, le risque de mettre sur un pied d��galit� l�agresseur et l�agress�, le colonisateur et le colonis�, le ma�tre de maison et l�intrus. De m�me qu�il occulte la part de d�terminisme qui revient au syst�me colonial et � son p�re g�niteur, le capitalisme, dans la formation des profils, des motivations et de l��tat d�esprit des hommes qui ont �t� appel�s � s�affronter avant de vouloir sinc�rement se r�concilier. Faut-il s��tonner alors aujourd�hui, de ce que la r�conciliation avec autrui procure pour nombre de centres du pouvoir davantage d�int�r�t que celle entre nous et envers nous-m�mes ?