Novembre est certainement le mois du web. C'est le quinzi�me anniversaire de sa cr�ation, c'est la tenue du premier sommet mondial de Tunis sur la soci�t� mondiale de l'information en gestation (du mercredi 16 au vendredi 18 novembre) et c'est, enfin, la date de bouclage de l'op�ration �Une famille, un ordinateur� initi�e par les pouvoirs publics pour combler le retard enregistr� par notre pays en la mati�re. Il y a quinze ans �tait mis au point le www (le World Wide Web) par Tim Berner-Lee. Tim Berner-Lee attribue son invention � trois circonstances heureuses : une cr�ation surprenante ; une conjonction de technologies plus qu'improbable et l'absence d'interdiction l�gale pr�alable. Une cr�ation surprenante ? Toile de liens hypertexte, de protocoles de transfert et d'une uniformisation des ressources, Internet est une invention am�ricaine du temps de la guerre froide. On pr�te au Pentagone d'avoir cherch� alors � �laborer un syst�me de communication pouvant r�sister � une attaque atomique, et permettant aux responsables politiques et militaires ayant surv�cu de reprendre contact entre eux pour lancer la contre-attaque. Flash-back. Tout est venu de TELENET (anciennement connu sous le nom d'ARPANET jusqu'� son rachat par GTE) qui assure depuis 1964 sous les auspices du Pentagone les liaisons t�l�matiques essentielles pour le fonctionnement du complexe militaroindustriel de la recherche entre les centres universitaires et les lieux de d�cision strat�giques des forces arm�es des Etats-Unis. Dans cette politique de la d�fense, le gouvernement am�ricain y est totalement impliqu� : il est le r�gulateur, il est l'acheteur, il fixe les r�gles, etc. Il est alors ind�niable que les firmes am�ricaines tirent leur puissance technologique des commandes de l'administration f�d�rale pour mener � bien ses programmes militaires et spatiaux. Les semi-conducteurs, les commandes num�riques, les calculatrices �lectroniques et la production d'�nergie nucl�aire doivent leur d�veloppement � l'aide de l'administration f�d�rale. Le soutien de l'administration aux industries prend deux formes : il y a d'abord les contrats de recherche-d�veloppement : au cours de la p�riode initiale et d�cisive 1959-1965 pas moins de 100 millions de dollars avaient �t� allou�s � ce titre � Westinghouse, Texas Instrument et Fairchild pour r�pondre aux besoins de l'US Air Force. Au d�but des ann�es 1980, l'aide est all�e au soutien pour la mise au point de circuits int�gr�s � tr�s haute int�gration (VHSIC, very high speed integrated circuit) pour devancer les Japonais sur l'ordinateur de cinqui�me g�n�ration, et plus tard, � partir de d�cembre 1988, celle de la t�l�vision de haute d�finition. Il y a ensuite les contrats de production et les commandes de mat�riels r�sultant des progr�s techniques accomplis au titre des premiers contrats (90% de la production de circuits int�gr�s de Texas Instrument en 1964). C'est aussi l'Agence am�ricaine pour les projets de recherche avanc�e, l'ARPA (devenue plus tard DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency) du minist�re de la D�fense (Pentagone) qui, en 1969, a mis en commun les ressources des centres de recherches par un r�seau permettant aussi leur redistribution (r�seau interactif des ordinateurs). Plus tard, la DARPA financera l'ordinateur RP3 mis au point par IBM et l'Universit� de New York pour l'�tude en temps r�el des applications potentielles de divers ordinateurs parall�les. Aussi, dans la commutation en mode �paquets�, pour des r�seaux tr�s �loign�s les uns des autres, l'information �mise se propage dans un circuit r�serv� qui �limine l'attente due � la r�servation, et permet l'utilisation et le partage en permanence de toutes les lignes du r�seau. Aucune autre arm�e au monde n'avait la possibilit� de disposer d'autant d'informations en si peu de temps. C'est sur cette architecture et cette infrastructure que, plus tard, en 1989, les physiciens Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, chercheurs au Centre europ�en pour la recherche nucl�aire (CERN) de Gen�ve, mirent au point un syst�me hypertexte et invent�rent le World Wide Web, qui allait favoriser la diffusion des informations et l'acc�s du grand public � Internet, ainsi que sa formidable et fulgurante expansion. Ainsi, pendant une bonne partie de son histoire, Internet a �t� administr� par des ing�nieurs et professeurs am�ricains de l'�poque de Woodstock. Une conjonction de technologies plus qu'improbable ? L'infrastructure ouverte (qui utilise des standards non propri�taires permettant aux r�seaux de se connecter entre eux) a favoris� la libre expression, les faibles co�ts d'acc�s et l'innovation. L'absence de limitations l�gales ? Son origine li�e au secteur priv� a rendu Internet non bureaucratique, surtout si on le compare aux monopoles d'Etat du secteur des t�l�communications. �Maintenant que les juristes et tous les autres sont l�, cela veut dire que la prochaine g�n�ration du web sera celle du contr�le. Et ce n'est pas une perspective tr�s joyeuse", pronostique Tim Berners-Lee, am�re. Internet est alors sous le contr�le des Etats-Unis. Logique, dirions-nous, ils en ont �t� les inventeurs et les premiers utilisateurs. D'un point de vue politique et technologique, ils ont les cl�s du syst�me, affirment les chercheurs. M�me s'ils n'ont jamais appuy� sur le bouton, ils ont la possibilit� de bloquer le r�seau et comptent bien conserver ce contr�le total. Ils ont le pouvoir de couper l'acc�s � tous les sites de la plan�te et de paralyser l'ensemble des connexions. Comme l'a rappel� George W. Bush lors d'une rencontre avec le pr�sident de la Commission europ�enne, Jos� Manuel Barroso, pas question de rendre les cl�s du r�seau des r�seaux. Washington, qui a, in fine, la haute main sur l'infrastructure, entend continuer de superviser les d�cisions importantes de l'ICANN. Aujourd'hui, tous les tuyaux d'Internet sont sous contr�le am�ricain. Une soci�t� priv�e situ�e en Californie, l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), est seule habilit�e depuis 1998 � attribuer les noms de domaines et les adresses IP (qui permettent aux ordinateurs de communiquer), et donc de d�cider de la mise en ligne de chaque site. L'ICANN travaille sous contrat avec le minist�re du Commerce, et cet accord doit arriver � expiration l'an prochain. L'ICANN est le grand aiguilleur du r�seau. Il s'appuie sur un dispositif technique constitu� de treize puissants ordinateurs, dits �serveurs racines� : les Etats-Unis en poss�dent dix (quatre en Californie, six aux alentours de Washington) ; l'Europe en a deux (� Stockholm et Londres) ; le treizi�me se trouve � Tokyo. Selon ses statuts, l'ICANN �a pour mission de pr�server la stabilit� op�rationnelle d'Internet, de promouvoir la concurrence, d'assurer une repr�sentation globale des communications Internet et d'�laborer une politique correspondant � sa mission suivant une d�marche consensuelle�. Son pr�sident est un Australien et la majorit� de ses employ�s et du conseil d'administration ne sont pas am�ricains. L'ICANN a donc pour mission et objet la coordination des noms de domaine (Domain Name System, DNS), qui aide les usagers � naviguer sur Internet. Chaque ordinateur reli� � Internet poss�de une adresse unique appel�e �adresse IP� (pour protocole Internet). Au d�part, ces adresses IP sont des s�ries de chiffres difficiles � m�moriser, mais le DNS permet d'utiliser, � la place de chiffres, des lettres et des mots plus familiers (le �nom de domaine�). Par exemple, au lieu de taper une suite de chiffres, on tapera www.lesoirdalgerie.com en �vitant les accents et les apostrophes. Premi�re victoire linguistico- politique de l'anglais. Le DNS convertit le nom de domaine en la s�rie de chiffres correspondant � l'adresse IP, ce qui connecte l'ordinateur au site recherch�. Le DNS permet �galement le bon fonctionnement du courrier �lectronique. Tout cela � l'�chelle de la plan�te et � une vitesse ultrarapide. Dans un monde de plus en plus globalis�, o� la communication est devenue une mati�re premi�re strat�gique et o� explose l'�conomie de l'immat�riel, les r�seaux de communication jouent un r�le fondamental. Le contr�le d'Internet conf�re � la puissance qui l'exerce un avantage strat�gique d�cisif. Comme au XIXe si�cle, le contr�le des voies de navigation plan�taires avait amen� l'Angleterre � dominer le monde. Le diff�rend rev�t alors une dimension g�opolitique. La mainmise am�ricaine sur le r�seau est contest�e de partout et l'arriv�e � �ch�ance, en septembre 2006, du contrat qui lie l'ICANN au minist�re du Commerce am�ricain donne � l'Europe l'occasion de revendiquer une r�forme de la gouvernance d'Internet, avec, �ventuellement, la transformation de l'ICANN en organisme ind�pendant relevant des Nations unies. Washington se refuse tr�s logiquement � tout changement. Plusieurs pays, en particulier les pays en voie de d�veloppement, parmi lesquels l'Iran, la Chine, l'Arabie Saoudite et le Br�sil, rejoints par l'Union europ�enne, pas toujours pour les m�mes raisons, refusent la supr�matie des Etats-Unis et souhaitent que cet organisme international prenne le relais. Le Br�sil, la Chine, l'Inde et l'Iran, par exemple, menacent m�me de cr�er leur propre organisme national de gestion de la Toile, ce qui conduirait � une d�sastreuse fragmentation d'Internet. Tous �uvrent � faire plier les Etats-Unis dans le sens d'une approche multilat�rale de la gouvernance d'Internet.