Le sort n'a pas �t� tendre avec tous nos chefs d'Etat, pr�sidents de la R�publique et assimil�s du GPRA et du HCE. Un coup d'Etat (Ben Bella), un assassinat (Boudiaf), une obscure et longue maladie (Boumediene) et plusieurs r�volutions de palais (Ferhat Abbas, Benkhedda, Chadli, Zeroual) les ont emp�ch�s de mener leur mandat � leur terme. Tous, sans exception. Ces pr�c�dents ne sont pas de bon augure pour une fonction aussi importante, sensible et d�terminante pour l'�quilibre institutionnel et la stabilit�, donc la paix et la croissance, de notre pays. Et les choses semblent empirer : si Boumediene �tait le chef du syst�me et Chadli son candidat, leurs successeurs doivent, semble-t-il, se complaire dans un statut de moindre intensit� politique. Pourtant, c'est dans la paix et la stabilit� que se d�veloppement et prosp�rent les grandes Cit�s. C'est en cela que la fonction pr�sidentielle, sa consistance et sa gestion demeure centrale. Pour ne pas faillir � la tradition des comm�morations, nous n'�voquerons ici que la maladie et la mort du pr�sident Boumediene, douloureusement ressentie par plusieurs g�n�rations de nationalistes et de patriotes, pour revenir sur les myst�res qu'elles continuent � charrier jusqu'� nos jours. Son d�c�s continue � soulever nombre de controverses dans les mondes m�dical et politico-m�diatique ; trois d'entre elles demeurent d'actualit� : primo, l'acharnement th�rapeutique dans le cas des leaders politiques ; secundo, la gestion de l'information et du secret m�dical ; tertio, le libre acc�s des journalistes aux sources d'information et la place de la rumeur du fait des d�faillances de la communication institutionnelle et de la course � la succession qu'ouvre fatalement une absence prolong�e d'un chef de l'Etat. L'acharnement th�rapeutique aura dur� un peu plus de trois mois dans le cas de Boumediene. Longue (du 24 septembre au 27 d�cembre 1978) et myst�rieuse (il avait fallu attendre l'arriv�e � Alger du professeur Waldenstr�m pour disposer d'un diagnostic d�finitif) aura �t� sa maladie. De retour du Sommet de Damas du Front du refus et de la fermet�, le 24 septembre 1978, Boumediene est physiquement diminu� et ses premiers m�decins traitants de l'h�pital militaire Maillot rel�vent une insuffisance du fonctionnement r�nal et une l�g�re par�sie faciale. Une vitesse de s�dimentation acc�l�r�e, une an�mie importante, un amaigrissement, une albuminurie, un �tat de fatigabilit� extr�me, il n'en fallait pas plus pour que les premiers m�decins alg�riens consult�s pensent d'abord au cancer en g�n�ral, � un cancer r�nal en particulier et plus sp�cialement � un hypern�phrome. Le 5 octobre, il est � Moscou, officiellement �pour une visite de travail et d'amiti� en URSS�, alors qu'il y est imm�diatement hospitalis� sur la base de la premi�re piste urologique envisag�e par les m�decins alg�riens. De retour � Alger, le 14 novembre 1978, apr�s six semaines de soins � Moscou, toutes les notori�t�s de la m�decine mondiale se succ�dent alors � son chevet. Soixante-deux sp�cialistes de douze nationalit�s (chinois, fran�ais, allemands, am�ricains, yougoslaves, britanniques et d'autres nationalit�s) �changent leurs exp�riences et leurs �valuations dans des conf�rences quotidiennes d'une commission m�dicale anim�e chaque matin par le Dr Ahmed Taleb- Ibrahimi, alors ministre conseiller aupr�s de la pr�sidence. Le professeur Jan Waldenstr�m de Malmoe, dont la maladie de Boumediene porte le nom depuis qu'il l'a d�couverte et d�crite en 1944, y est �galement sollicit�. Il ne tarda pas � envisager le pire : le dernier stade de la maladie qui le condamne � une mort certaine, aucune intervention chirurgicale n'�tant possible pour �liminer le premier thrombus qui s'est form� dans le cerveau. Le temps perdu � Moscou et la persistance de l'erreur initiale �tablissent que certaines d�cisions politiques apportent un flagrant d�menti � l'affirmation que les hommes politiques sont mieux soign�s en cas de maladies graves. Aussi pertinente soit-elle, cette remarque n'�puise pas la question de savoir si l'acharnement th�rapeutique ne renvoie pas � ce que la personne incarnant l'institution, cette derni�re ne peut lui survivre et devient pr�caire et accessoire. En cela, l'Alg�rie ne fait nullement exception. Information et secret m�dical n'ont pas cohabit� de mani�re harmonieuse. Les controverses n�es des d�clarations au journal Le Monde du professeur Monsaillier, chef du service de r�animation de l'h�pital Cochin, � Paris, lui aussi appel� au chevet de Boumediene, avaient confirm� notre gravitation dans l'orbite juridique fran�aise. En droit p�nal fran�ais (art. 378), �l'obligation au secret m�dical est une r�gle de droit � caract�re g�n�ral et absolu�. Elle s'impose � �tout m�decin� et �trouve son fondement d�ontologique dans l'int�r�t des malades, de la m�decine et de la sant� publique�. Elle ne peut donc souffrir d'aucune exception, quels que soient la condition du malade, la nature de ce dont il souffre et le moment o� le secret peut �tre divulgu� puisqu'il est prot�g� m�me apr�s la mort. On a souvent oppos� � cette r�gle le cas des risques que fait encourir aux usagers de la route l'automobiliste que la maladie rend inapte � la conduite mais que le m�decin ne pourrait �ventuellement pas divulguer. Or, si le secret m�dical est justement dict� par l'int�r�t public, les citoyens qu'il est cens� servir ne sont-ils pas dans leur droit absolu, souverain et inali�nable de d�lier le m�decin de son obligation lorsqu'il s'agit de sauvegarder ce m�me int�r�t public ? L'exp�rience v�cue par Lord Moran, le m�decin de Churchill, illustre parfaitement bien le soin d'�quilibre entre le devoir de respect du secret professionnel et le droit de la communaut� � �tre tenue inform�e de l'�tat de sant� de ses dirigeants, de leur �quilibre mental et physique, parce qu'il y va parfois de la lucidit� et de la justesse de leurs actes. Cette responsabilit� qui p�se sur les m�decins est d'autant plus lourde que, comme on le sait, aucun chef d'Etat n'abandonne le pouvoir pour des raisons de sant�. En s'accrochant ainsi � leur fonction, ils alt�rent du m�me coup la relation m�decin-patient. S'abstenant de prescrire des interdits ou des restrictions, le m�decin � on l'a vu pour Kennedy � est souvent r�duit � prescrire des traitements agressifs, comme les d�riv�s de la cortisone. Lorsqu'il publia ses M�moires en 1966, un an apr�s la mort de son patient, Lord Moran subit les foudres de la famille du d�funt. Jusque-l�, il n'y a rien de plus humain, sauf que le bon sens britannique finit par rel�guer l'int�r�t familial au second plan pour reprocher au Lord non pas d'avoir divulgu� la maladie de Churchill, mais de l'avoir fait trop tard. Nul autre m�decin de son rang n'exprimera alors mieux que Lord Moran le dilemme dans lequel on se retrouve dans le traitement � m�diatique s'entend � des maladies des puissants : �Winston m'a demand� s'il aurait d� se retirer plus t�t. Je ne r�pondis pas, mais je me posai une question moi-m�me : �Dans cinquante ans, que dira-t-on du r�le que j'ai jou� ?� Je pense avoir �t� le seul � le presser de rester au pouvoir, tout en sachant que, un an au moins avant qu'il ne pr�t sa retraite, il n'�tait gu�re � la hauteur de sa t�che. Sa famille et ses amis le suppliaient de se reposer et de se retirer des affaires. Ils redoutaient qu'il ne f�t quelque chose qui ternirait sa r�putation. Je soutenais, pour ma part, que cela ne me regardait pas. Car, je le savais, de science certaine : s'il se retirait, il aurait l'impression que sa vie �tait finie � tout jamais et il serait tr�s malheureux d'avoir perdu sa raison de vivre. Etant son m�decin, il �tait de mon devoir le retarder ce jour aussi longtemps que je le pouvais.� Il faut dire que, autant par h�ritage que par tradition, nous sommes plut�t dans le cas du docteur Claude Gubler, m�decin personnel du pr�sident Fran�ois Mitterrand de 1981 � 1994, qui a d� attendre que la Cour europ�enne des droits de l'homme le r�tablisse dans ses droits apr�s la publication, en f�vrier 2005, de Le grand secret, consacr� � la maladie du chef de l'Etat fran�ais. Radi� de l�ordre des m�decins tout autant pour ses faux bulletins de sant� que pour la publication de son livre, qui aurait viol� le secret m�dical de mani�re �frontale�, il n'a pas r�ussi � faire passer �la raison d�Etat� pour remettre en cause la r�alit� et la port�e des infractions qui lui �taient reproch�es. Le commissaire du gouvernement avait estim� que la maladie du pr�sident Mitterrand ne relevait pas en soi de la s�ret� de l�Etat et que, n'�tant pas ��tablis en p�riode de crise pendant laquelle les institutions de notre pays, voire l�int�grit� de son territoire, auraient �t� menac�es�, les certificats de complaisance, erron�s et mensongers pendant plus d�une d�cennie, constituaient un manquement au code de d�ontologie. Dans le cas de Chirac, comme l'explique Paul Benkimoun, journaliste au Monde, la presse fran�aise a adopt� �une position de principe qui consiste � ne pas parler de la sant� du pr�sident tant que cela n'a pas d'influence sur la gestion des affaires du pays�. On peut regretter que cela ne vaut pas toujours pour tous les autres chefs d'Etat. La communication n'�tait �galement pas au rendez-vous. La rigueur juridique qui entoure le secret m�dical ne facilite pas l'information des citoyens, ni le travail des journalistes. D'autant que la communication institutionnelle aura plut�t tendance � les rassurer. Le communiqu� du Conseil de la r�volution ne laisse, comme on le devine, planer aucun doute sur l'issue finale : �Sur le plan de la maladie, un traitement est en cours. Sur le plan neurologique, le chef de l'Etat demeure dans un coma jug� r�versible avec un trac� anc�phalographique subnormal. La r�animation se poursuit dans de bonnes conditions.� La s�mantique vaut son pesant d'or ici : traitement, en cours, se poursuit, coma r�versible. On ne pense pas � l'issue fatale du mal, on entretient l'espoir. L'opinion est rassur�e et les ennemis, ext�rieurs de la r�volution, � leur t�te le pauvre vieux professeur Waldenstr�m qui n'est plus de ce monde, d�nonc�s par le canal de l'APS. �A aucun moment le pr�sident Boumediene n'a �t� plong� dans un coma d�c�r�br�. L'activit� de son cortex c�r�bral est parfaitement normale et il n'est � aucun moment en �tat de survie artificielle.� Pourtant, les d�clarations du p�re d�couvreur de la maladie �taient tr�s �logieuses � l'endroit de nos m�decins : il leur conc�da qu'ils avaient tr�s bien accompli leur t�che et qu'il ne pouvait pas faire mieux, y compris s'il avait �t� appel� plus t�t. * Le Grand Secret a �t� r��dit� par les Editions du Rocher, Monaco/Paris.