Jour férié mais non fêté, le 19 juin est évoqué avec un certain malaise par les officiels. Le 19 juin 1965 n'est qu'un épisode parmi d'autres, plus ou moins latents ou plus ou moins ouverts, du conflit qui oppose depuis 1956 les civils aux militaires. La plate-forme de la Soummam avait inscrit comme un des principes de la Révolution, «la primauté du politique sur le militaire», c'est-à-dire des instances dirigeantes du FLN sur l'ALN. L'un des rédacteurs de cette plate-forme, à savoir Abane Ramdane, a été purement et simplement assassiné par ses pairs de la Révolution, au Maroc, en dépit du fait que le numéro d'El Moudjahid, organe central du FLN, avait écrit que Abane était tombé au Champ d'honneur. Pieux mensonge qui reste encore à élucider. En pleines négociations serrées entre les représentants de l'Algérie combattante et ceux du général de Gaulle à Evian, les premiers couacs et les premières zébrures commençaient à apparaître sur la belle façade de la révolution. Le chef d'état-major, Houari Boumediene, était entré en conflit ouvert avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra). Du reste, le congrès de Tripoli, au cours duquel le colonel Houari Boumediene avait pris la parole, était resté ouvert, faute de consensus. En 1961, le différend avait atteint un tel degré d'intensité, que le président du Gpra, Benyoucef Benkhedda, avait été obligé de démissionner, se sacrifiant pour l'intérêt suprême du pays. La prise du pouvoir total par l'état-major allait se faire en plusieurs étapes. D'abord, il fallut à Boumediene un allié parmi les dirigeants politiques civils. Sautant par-dessus le Gpra, Boumediene ira le pêcher parmi le groupe des prisonniers célèbres du chateau d'Aulnoy, en France, et qui était composé des cinq dirigeants qui avaient été arrêtés dans l'avion détourné entre le Maroc et la Tunisie : Boudiaf, Aït Ahmed, Ben Bella, Khider, Lacheraf...Le choix de Boumediene oscillait entre Boudiaf, réfractaire à toute idée de manipulation, et Ben Bella, qui était entré dans le jeu sans rechigner. Tout ce qui s'est passé entre le 19 mars 1962 et la date de l'installation de Ben Bella en tant que président de la République, les conflits fratricides entre l'armée des frontières et certaines wilayas, est allé dans le sens de l'instrumentalisation des civils, représenté par Ben Bella, par la hiérarchie militaire. La question qui reste à poser, est pourquoi Boumediene a-t-il fini par déposer Ben Bella ? Tout en laissant le soin aux historiens de répondre à une telle question on ne peut qu'émettre une hypothèse : grisé par le pouvoir, Ben Bella était en train de prendre ses distances vis-à-vis des militaires, c'est-à-dire de Boumediene, qui contrôlait tout de même le ministère de la Défense. Le président essayait de grignoter petit à petit des espaces d'autorité, de récupérer des parcelles de pouvoir qui lui échappaient, et la conférence des Non-alignés, programmée à Alger, allait lui servir de tremplin extraordinaire pour se donner une stature internationale. Le poulain ruait dans les brancards et faisait montre d'un esprit d'indépendance qui remettait en cause le cahier des charges et le contrat passé entre les deux parties. Les relations entre les deux hommes s'étaient envenimées, mais pas au point de susciter un coup d'Etat. Il a fallu donc sûrement que des facteurs exogènes viennent précipiter les choses et rompre le fragile équilibre d'un Etat qui était en train de construire dans la douleur ses institutions, par la mise à l'écart des principales figures historiques : Boudiaf, Krim Belkacem, Ferhat Abbas, Ben Khedda, ... En enlevant sa casquette de colonel pour vêtir le costume-cravate de chef de l'Etat, Houari Boumediene a pour des décennies donné tout le pouvoir aux militaires sous l'apparence d'un civil. Que ce soit avec Chadli ou Zeroual, le masque n'est jamais tombé. L'élection de Bouteflika par le biais d'un scrutin pluraliste, puis surtout sa réélection en 2004, ont-elles rendu le sceptre au pouvoir civil? C'est l'histoire qui nous le dira.