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Nouvelle
Quelle r�paration ? Par Le�la Aslaoui
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 02 - 2006

Aux cinq Alg�riens, d�El Biar d�tenus en 1978 pour un crime qu�ils n�avaient pas commis. Acquitt�s en 1984 apr�s avoir purg� sept ann�es de pr�ventive.
Impossible de mettre les pieds � terre ce matin. Une �ni�me crise de polyarthrite me contraint � garder le lit. J�ai mal partout, mal � hurler, mal � me cogner la t�te contre un mur. J�ai l�impression que le traitement m�dicamenteux auquel je suis astreint depuis de nombreuses ann�es est devenu inutile. Je souffre de nuit comme de jour, comme si mes articulations endommag�es, voulaient que je me souvienne du ciment froid, de la paillasse pleine de puces et de punaises, de mes mains gel�es. Comme chaque jour, Yasmina mon �pouse, m�a aid� � faire ma toilette, � prendre mes deux tasses de caf� noir. Mes fils, mes brus et leurs enfants sont venus s�enqu�rir de ma sant�. Leur sempiternelle question : �Comment te sens-tu aujourd�hui ?� m�agace, parce qu�ils savent que la r�ponse est toujours ou presque toujours la m�me. Je parviens n�anmoins � dissimuler mon irritation car sans leur pr�sence et leur soutien que serai-je devenu ? Pauvre Yasmina ! D�vou�e, patiente, a-t-elle seulement pens�, ne serait-ce qu�un instant, un court instant, qu�elle aurait pu avoir un autre destin ? Lorsque je l�ai �pous�e elle avait vingt ans. Elle s�est occup�e seule de nos enfants, de mes parents. Son courage et sa r�sistance suscitaient l�admiration de mes proches et de nos voisins d�immeuble Voil�e � treize ans, elle n�avait pas �t� confront�e � la rue. Soudain, elle se mit � courir d�une administration � une autre, � accompagner nos enfants � l��cole, les d�dales du Palais de justice n�avaient plus aucun secret pour elle. Au fil des ans elle se familiarisa avec la proc�dure. Lorsque rong� par la jalousie, je lui reprochais ses sorties, elle r�pondait doucement : �Najib sois raisonnable, c�est l�injustice des hommes qui m�a fait conna�tre la rue. Comment les combattre autrement ?� Je savais qu�elle avait mille fois raison. Mais dans ma famille ce sont les hommes qui sont dehors, les femmes sont n�es pour rester � la maison. Du moins, c��tait ce que je croyais avant � Elle ne se plaint jamais ma Yasmina. Nos enfants ont �tudi�, r�ussi gr�ce � elle. A pr�sent ce sont des adultes. Ont-ils grandi trop vite ? Ai-je vieilli pr�matur�ment ? Yasmina est toujours aussi belle. J�allume la t�l�vision. Quelle d�licieuse compagne celle-l� ! Surtout pour ceux comme moi, qui ne peuvent conna�tre les joies de la lecture. Je me plonge dans le petit �cran jusqu�� l�overdose. Que pourrai-je faire d�autre � pr�sent que je ne peux plus travailler ? Lorsqu�une de mes petitesfilles vient m�annoncer que Fethi souhaiterait me voir, j�ai h�te de le voir gravir les marches d�escalier qui m�nent � ma chambre. Je regrette de ne plus pouvoir l�accueillir. Cela fait quelques mois que nous ne nous sommes pas revus et ses visites me manquaient. Fethi est mon ami. Mon unique ami. Mon ami d�infortune, devrais-je dire. En v�rit�, nous n��tions pas destin�s � nous rencontrer. Lui, brillant P.-D G d�une entreprise publique importante, moi, modeste chauffeur de taxi apr�s avoir �t� ma�on �, mon v�ritable m�tier � lui, �conomiste et matheux hors pair, moi, avec mes quelques souvenirs d��colier du primaire. C�est en prison que nous nous sommes connus et aujourd�hui nous sommes tous deux ch�meurs, mais pas pour les m�mes raisons. Lui a choisi d��tre un retrait�. La derni�re fois que nous nous �tions revus, je lui ai reproch� de ne plus vouloir mettre ses comp�tences d�excellent gestionnaire au service du pays. �Ce pays n�est pas leur propri�t�. Il t�apartient aussi�, lui aije dit. - Najib mon ami ce sont des slogans, de simples slogans. Nous avons besoin de cette terre pour survivre. Elle n�a gu�re besoin de nous. Elle nous harc�le, nous broie et finit par nous tuer. L�Alg�rie est une m�re qui croque ses meilleurs enfants�, m�a-t-il r�pondu. Fethi est de bonne compagnie et sa pr�sence m�apporte un grand r�confort. Son humour et sa mani�re de tourner toute chose en d�rision me font oublier pour quelques heures mes douleurs. Il s�empare de la t�l�commande et me dit : �Saistu qu�en ce moment sont diffus�s en direct des t�moignages de personnes acquitt�es dans un proc�s qui a fait beaucoup de bruit en France, �le proc�s d�Outreau� (1) ? Je te conseille de suivre leurs auditions devant les parlementaires fran�ais�.
- Allons Fethi soit raisonnable ! Crois-tu que je sois capable de comprendre ce qui se dit ? Aurais-tu oubli� que je suis analphab�te ?
- Et toi mon ami, crois-tu qu�il faille �tre savant pour savoir ce que ressent celui ou celle qui a eu la malchance de croiser sur son chemin l�injustice avec un I lorsque toi-m�me tu as eu � l�affronter ? Le jour grav� dans ta m�moire, o� ta vie a bascul� en quelques secondes alors que tu pensais qu�il ressemblait � tous les autres ? Ecoute plut�t ! Ces pauvres gens ce sont toi, moi. Nous nous taisons tous deux et les yeux riv�s sur l��cran nous �coutons. Sans doute ne suis-je pas en mesure de tout comprendre, mais en v�rit� Fethi a raison. Ces hommes, ces femmes qui disent qu�ils ont tout perdu, que leurs vies sont r�duites en miettes, qu�ils ne pourront plus jamais oublier c�est moi, oui c�est bien cela, eux c�est moi et ils sont moi ; ils sont Fethi et tous ceux qui lui ressemblent. Leurs larmes, leur col�re, leur haine sont miennes. Comment ai-je pu zapper cette cha�ne ? Peut-�tre ne savais-je m�me pas qu�elle existait. Comme Fethi, comme moi, ils avaient des vies tranquilles, rang�es et soudain tout a vacill� autour d�eux. Semblable � un s�isme de forte intensit�, la machine infernale a tout emport� sur son passage : leurs souvenirs, leurs familles, leur r�putation, leur honneur, leur dignit�. Comme Fethi � Comme moi � Durant de longues ann�es mon ami se rendait � son bureau � sept heures trente et n�en ressortait qu�� vingt et une heures. Lorsqu�il quittait la maison le matin, ses enfants dormaient encore, lorsqu�il revenait le soir, ils s��taient endormis. Ils ne les avait pas vu grandir et le temps qu�il aurait pu leur consacrer il pr�f�rait le garder pour l�entreprise. L�entreprise ! Sa vie, sa passion, ses convictions, son id�al. Lorsqu�il fut incarc�r� et que nous dev�nmes amis, je compris rapidement que �son� entreprise �tait son autre enfant, peut-�tre son v�ritable amour. Son autre amour apr�s sa famille. Un soir de l�ann�e 1995, �l�unique� (2) annon�a en grande fanfare son arrestation, avec d�autres collaborateurs. Pourquoi donc cette nouvelle au son des tambours et des fifres ? Allez savoir ! Durant quatre ans, quatre longues ann�es il se battit contre un mur en b�ton. Il �tait accus� de d�tournements et le juge d�instruction lui avait confi� que son dossier �tait vide puisqu�il n�y figurait aucune plainte. Courageux, sto�que m�me, il affrontait les refus de libert� provisoire justifi�s par son juge par une circulaire minist�rielle. On exigeait de lui qu�il se souvienne de tous ses actes de gestion mais il n�avait pas le droit de consulter son dossier. Et puis un soir d�hiver o� il faisait particuli�rement froid, Fethi et ses collaborateurs furent acquitt�s apr�s quatre ann�es de pr�ventive. Aucune explication, aucune excuse. Il ignorait pour quelles raisons il avait �t� un jour emprisonn�, il ne savait pas non plus pourquoi un autre jour on le lib�rait blanchi. La machine s�emballe, s�arr�te l�on n�y peut rien. J��coute le gardien de l�immeuble : �Le juge m�a dit j�ai trois ans pour instruire, vous aurez vingt ans pour r�fl�chir, aussi vaudrait-il mieux avouer�. C�est moi � oui je me souviens et n�ai rien oubli�. Les policiers sont venus me chercher � dix-neuf heures. Le fourgon, les menottes, les insanit�s, les coups qui pleuvent.
- Ce n�est qu�un acompte. Au commissariat, tu avoueras en cinq minutes. D�ailleurs, tes complices nous ont tout racont�.
- Avouer quoi ? me risquais-je � demander. Un coup de pied au ventre fut la seule r�ponse � ma question. J�ai bien cru que mes tripes avaient explos�. La garde-�-vue, les ge�les r�pugnantes de salet�. Le cauchemar ne fait que commencer. Je n�ai plus de montre, j�ai retir� ma ceinture et les lacets de mes chaussures. J�ai vid� mes poches. Je ne dors pas. Le ciment est glacial et les cafards me tiennent compagnie. J�ignore l�heure � laquelle deux policiers viennent me chercher. Je devine seulement que c�est la nuit. Dans une salle exigu�, mal �clair�e, j�aper�ois Sa�d, Mohamed, Hamdane et Farid. Mes camarades d�enfance, de quartier. Analphab�tes et modestes comme moi. Turbulents certes, mais aucunement des malfrats. Je les connais tous et n�ai jamais eu de probl�mes avec l�un ou l�autre. Ils sont s�rieusement amoch�s et profond�ment las. Pourquoi ont-ils cit� mon nom ?
� Comment as-tu tu� le vieux ?
� Quel vieux ? C�est quoi ce d�lire ? Coup de poing � la m�choire.
� Tes complices ont tout dit. Tu n�as pas int�r�t � nous mener en bateau. Gifles, coups de pied � nouveau. Je m�adresse � Sa�d : �Que t�ai-je fait pour subir tes accusations� ? Il baisse la t�te, je crois percevoir des larmes. Il r�p�te qu�il s�est introduit le premier dans la villa de l�artiste peintre. L�id�e de cambrioler et d�assassiner le pauvre homme �tait mienne. Je dis que le jour des faits, nous �tions tous les cinq � Oran pour assister � un match de football important. Je me souviens avoir conserv� mon billet de train. J�explique, je propose de pr�senter mon titre de transport. Ils sont sourds.
� Par o� es-tu rentr� ? Qui a mis � ta disposition le v�hicule et le lieu d�h�bergement ? Je refuse de r�pondre. Ils frappent � nouveau. De plus en plus nombreux, de plus en plus douloureux, les coups pleuvent. Au ventre, dans le dos, au visage. J�avais vingt-cinq ans, un m�tier, une femme, bient�t un enfant et j��tais heureux. Le monde entier m�appartenait. Je ne savais m�me pas o� se situait le domicile de l�artiste peintre mais je n�en pouvais plus. Il fallait que cessent les coups et la torture. J�appris par c�ur le sc�nario qu�ils m�avaient �crit. Je reconnaissais qu�un soir de l�ann�e 1975 l�id�e d�assassiner un artiste peintre mondialement connu, et son �pouse pour les cambrioler �tait mon id�e � moi. Puis je distribuais un r�le pr�cis � chacun de mes complices puisque j��tais le cerveau : Sa�d m�avait aid� � ex�cuter les victimes, Mohamed nous avait fourni le v�hicule, Hamdane �tait le receleur et Farid nous h�bergea dans le garage de son p�re. C��tait leur histoire, je n�avais qu�� bien l�assimiler et � la r�citer. Ce n�est pas sorcier tout de m�me ! Tout autre analphab�te aurait subi avec succ�s ce test d�intelligence. � Voyou, S... un artiste mondialement connu. Et sa femme, hein dis, que vous a-t-elle fait ? Tu vas r�pondre S... ? Des coups encore. Au moment de signer les proc�s-verbaux d�audition, Sa�d et moi nous regard�mes. Ce qui nous peina par-dessus tout c��tait d��tre accus�s d�avoir attent� � la vie de vieilles personnes. Notre code d�honneur en prenait un sacr� coup. Dans notre quartier les d�linquants les plus endurcis nous craignaient, car ils savaient qu�il leur �tait interdit de toucher aux vieux, aux femmes et aux enfants. Quiconque transgressait �notre foi� s�en mordait les doigts. Lorsque je quittais le commissariat, je respirais et me disais que le cauchemar allait prendre fin. Le juge d�instruction allait nous lib�rer puisqu�il s�agissait d�une cabale. Lui, me parlera, me disais-je comme l�on se doit de s�adresser � un �tre humain. Lui comprendra. La premi�re fois je l�ai vu cinq minutes. Il ne m�a pas dit que j�avais droit d��tre assist� d�un avocat. J�en voulais d�abord � �mes complices�, puis j�ai compris que nous �tions embarqu�s dans le m�me bateau. Il fallait des coupables pour clore le dossier. Cela est excellent pour les statistiques et le rendement. Celui-ci ouvre les portes aux promotions. Pourquoi nous avoir choisis � nous ? Jusqu�au jour d�aujourd�hui je ne connais pas la r�ponse. Il fallait des acteurs, nous f�mes retenus pour le casting et nous �tions d�j� condamn�s � la peine capitale. Puis nous avons connu les interdictions : paniers interdits. Visites interdites. Nous e�mes droit � l�isolement et aux psychotropes. La seconde fois j�ai vu le juge dix minutes � peine. Mon avocat �voqua le billet de train que j��tais en mesure d�exhiber. Cela n�int�ressait nullement le juge. Mon affaire ou plut�t �n�tre� affaire �tait celle du si�cle. Sa�d et les autres dirent que leurs aveux leur avaient �t� extorqu�s par les policiers. Le juge ne les �coutait pas, ne les entendait pas. Les t�moins � d�charge dont nos avocats souhaitaient l�audition ne furent pas convoqu�s. L��nigme de la porte d�entr�e du domicile des victimes ferm�e de l�int�rieur ne fut jamais �lucid�e. La page du �pari turf� retrouv�e dans le jardin, � une �poque o� la presse �trang�re ne p�n�trait pas dans notre pays fut emport�e par le vent, alors qu�elle �tait une pi�ce importante du dossier. Qui, en effet aurait pu �tre d�tenteur du pari-turf ? Certainement pas nous. Rien, absolument rien n�avait disparu du domicile de l�artiste. Ses tableaux, ses miniatures, les objets de valeur n�avaient pas �t� d�rob�s. C�est en prison que je ressentis les premi�res douleurs aux articulations. Aucun soin ne me fut prodigu�. Nous pass�mes de tr�s longues ann�es en prison et un jour d�avril nous f�mes tous les cinq acquitt�s. Dame Justice ne nous pr�senta aucune excuse et n�exprima aucun regret. Ce n�est pas son r�le. Ma col�re est intacte. Ma haine aussi. Je regarde mon corps quasiment impotent. Comment pardonner ? Je regarde Fethi. Son regard est triste. Il est �teint. Il a raison : ils l�ont tu�. Je n�en peux plus. Je ne veux plus �couter.
� Fethi, pardonne-moi de ne pas poursuivre, mais cela me fait plus de mal que de bien. J�ai l�impression de revivre mon cauchemar. Regarde ce qu�ils ont fait de nous. Crois-tu qu�en �coutant d�autres acquitt�s, on puisse gu�rir ?
� Je ne te parle pas de gu�rison. Je voulais juste te dire que nous ne pourrons jamais parler de nos souffrances et de l�injustice que nous avons subies par la faute des hommes. La loi te dit que la d�tention provisoire est exceptionnelle. Toi et tes camarades �tes rest�s en pr�ventive presque dix ans. Mes collaborateurs et moi avons pass� quatre ann�es en prison. Peut-�tre qu�en �coutant les acquitt�s d�Outreau, je recherche inconsciemment une r�paration ? Une th�rapie ? Quelle r�paration Fethi ? Dans mon affaire, on ne sait toujours pas qui a tortur� et assassin� l�artiste peintre, son �pouse et pourquoi ? Leurs tueurs sont-ils vivants,sont-ils morts ? Pourquoi ai-je �t� choisi pour payer � leur place ? Pourquoi devais-tu payer pour des faits que tu n�as pas commis ? Pourquoi une de tes collaboratrices est-elle morte avant d�avoir la joie de savoir qu�elle �tait acquitt�e ? Pourquoi ... Pourquoi ? Beaucoup de questions et aucune r�ponse.
� Sais-tu Najib ce que nous aurions d� dire � ton juge et au mien ? Il esquisse un sourire en coin. Nous aurions d� lui dire :
� Monsieur le juge d�instruction, rapportez la preuve que nous n�avons rien fait car nous, nous ne pouvons pas vous prouver notre innocence puisque vous avez besoin de coupables�. Nous rions, puis je vois son visage s�assombrir.
� J�ignore mon ami, si je revis ou si je survis. La prison, vois-tu Najib, ne se raconte pas. Elle se vit. Seuls les vrais coupables peuvent s�en accommoder. Tu as raison, il ne sert � rien de se faire du mal. L�acquittement te procure le bonheur de sortir la t�te haute du cachot, mais comment oublier et pardonner les �normes d�g�ts et les blessures ind�l�biles ?
Je lui dis que je refuse d�oublier et de pardonner. Ma seule r�paration serait de savoir qui �tait l�assassin (ou les) de l�artiste peintre et de son �pouse. Mais cela est une autre histoire qui me d�passe. Nous �teignons le t�l�viseur et pr�f�rons discuter car de r�paration il n�y en aura point. Fethi et moi savons par contre que derri�re les murs de la prison, le temps est long comme si les heures, les minutes et les secondes ne tournent pas. Fi�re et hautaine, Dame Justice passe son chemin.
L. A.
(1) Affaire mettant en cause des personnes accus�es de p�dophilie, de viols sur enfants. 13 accus�s ont �t� acquitt�s. L�Assembl�e nationale fran�aise a constitu� une commission pour entendre leurs t�moignages, auditionna leurs avocats et le juge qui a eu en charge l�instruction du dossier (8 f�vrier 2006). L�objectif �tant de savoir o� se situent les dysfonctionnements et comment y rem�dier ?
(2) Entreprise nationale de t�l�vision


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