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Il m'a offert de l'eau fraîche et des figues juteuses
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 13 - 05 - 2010

C'est moi, Djelloul, mon frère, c'est la carcasse craquante de ton épouse Fatna qui vient te rendre visite comme d'habitude. Ça fait un bon moment que je suis assise à tes côtés, mais essoufflée, je n'ai pas pu prononcer un mot !
La fatigue avait sucé les derniers débris de moelle qui merestait dans les os et le peu d'air que j'avais dans les poumons ! Mais louange à Dieu, la voix m'est revenue. Aujourd'hui, j'ai failli rendre l'âme hors de mon foyer ! Tu te rends compte du scandale ! On aurait retrouvé le corps de ta femme étalé sans pudeur dans la poussière comme celui d'un vagabond ! Mais le Seigneur n'a pas voulu que je devienne la pâture des langues de serpent qui sifflent sans répit dans toutes les maisons !
Ô Djelloul, il est fini le temps béni où mes pieds pouvaient dévorer joyeusement des kilomètres de chemin comme les pattes d'une gazelle. Maintenant, chaque jour qui passe emporte avec lui un lambeau de la vigueur qui bouillonnait dans mes jambes. Pour arriver jusqu'à toi, combien de fois j'ai été obligée de m'arrêter et de m'asseoir à même la poussière pour reprendre haleine ! C'est qu'aujourd'hui, en plus du long chemin raboteux qui me sépare de ta demeure, il fait une chaleur accablante, et mes yeux n'ont pas découvert un seul arbre pour abriter ma tête du feu qui pleuvait du ciel ! Sans la bouteille d'eau que j'ai emportée avec moi, le soleil m'aurait calcinée ! Ces soupirs et ces halètements que tes os ont entendus, il y a quelques minutes, n'appartenaient pas à une personne qui t'est étrangère, non Djelloul, mais à ta propre femme qui a failli étouffer auprès de ta tombe. Mais à présent, louange à Dieu, abritée par ce parapluie, j'ai repris mon souffle et je peux te parler. En dehors du fossoyeur qui marmonne, tout seul sous le figuier qui ombrage le mausolée, le cimetière est désert. À qui parle-t-il ? De quoi parle-t-il ? Dieu seul le sait. C'est un homme étrange mais conscencieux. Depuis qu'il travaille ici, les allées sont soigneusement dessinées et les herbes qui foisonnaient sur les tombes ont été éradiquées. Il a des mains divines ! Tantôt, quand il m'a vue franchir la porte d'entrée du cimetière, il s'est avancé vers moi, m'a saluée, et m'a dit : «Vous êtes en retard, aujourd'hui, ma sœur. Courez vers lui pour le rassurer, il doit se ronger d'inquiétude ? Il y a un instant, il m'a semblé entendre ses os s'entrechoquer d'impatience. Comme ça : tac, tac, tac. Où est-elle ? Où est-elle ?... Mais ne faites pas attention à ce que je dis... C'est dommage que vous ne serez pas enterrée à ses côtés, ma soeur. Des centaines de tombes vous sépareront. Les Arabes n'arrêtent pas de rejoindre leur Dieu !... Qui lui tiendra compagnie alors ?... Qui lui parlera ? Mais faites vite, ma sœur ! Je n'ai pas envie qu'il m'insulte, tout à l'heure pour vous avoir retenue !... Attendez ! Je vais vous chercher un vieux parapluie que je garde dans le mausolée. Le soleil tape dur aujourd'hui !» Un instant plus tard, il m'a remis l'objet et m'a encore dit : «Vous feriez peut-être mieux de ne pas vous attarder là-bas, ma sœur... Vous semblez très fatiguée... Vous aurez peut-être besoin, tout à l'heure, de vous reposer un peu à l'intérieur du mausolée... »...
Le cimetière est donc désert. C'est cette tranquillité que je voulais le jour où j'ai pris la décision d'éviter de venir me recueillir sur ta tombe par un vendredi. Car tu sais que cette journée sacrée attire ici une foule tapageuse et tourbillonnante qui m'aurait empêchée de me confier à toi, Djelloul ! Comment une femme pourrait-elle ouvrir son cœur à son mari quand elle est cernée d'énergumènes pourvus d'oreilles plus fines que celles d'un chien policier ? Surtout les femmes, qui ne prennent plus le chemin du cimetière pour se recueillir, mais pour ramasser les paroles des gens et les transformer en papotage venimeux.
En plus, pendant cette journée, le cimetière devient un marché public où les femmes viennent exposer, là aussi, la viande surchauffée de leurs fesses charnues et houleuses aux regards affamés de nos garçons, qui n'arrêtent pas de sucer des cigarettes, tentant vainement d'engourdir les serpents qui se tortillent furieusement dans leurs reins, les pauvres gosses ! Les choses ont changé, Djelloul ! Même les lieux sacrés ne sont pas respectés ! Ces polissons sillonnent le cimetière, piétinant les tombes, se lorgnant avec des yeux voraces, saturant l'air d'odeurs lourdes, comme un troupeau de chèvres en chaleur. Les bébés, que l'on retrouve étouffés dans des sachets en plastique, ou découpés en morceaux, ne tombent pas du ciel !...
Ô Djelloul, mon nez flaire un malheur ! Ces mâles aux yeux sombres, traversés de lueurs visqueuses, finiront un jour par bondir sur ces femelles frissonnantes et les déchirer avec leurs dents !... Le sang des vierges languissantes inondera les tombes !... La folie envahira le pays et aucune femme ne sera épargnée !... Insatiables, fougueux, des millions de jeunes fauves défonceront les portes des maisons et emporteront sur leur dos des proies soumises... Pendant des jours et des nuits, l'air s'emplira d'odeurs de chair déchiquetée... Hurlant de jouissance, folles, mais obéissantes, mais consentantes, les femmes offriront leur chair aux crocs pointus de leurs prédateurs... Mais qu'a-t-elle ma langue à radoter de la sorte ?!... Qu'a-t-il mon cœur à cogner comme un tambour ? Que se passe-t-il en moi ? Vers quelle boue puante Satan veut-il entraîner mon corps ? Au nom de Dieu, le Clémént, le Miséricordieux ! Au nom de Dieu, le Clémént, le Miséricordieux ! Ô Seigneur ! Pardonne-moi ces paroles tordues ! Que m'est-il arrivé ?...
Ô Djelloul mon frère, pourquoi m'as-tu abandonnée ? Il y a dix ans maintenant que tu m'as quittée pour venir roupiller ici ! As-tu une idée de l'enfer dans lequel mon corps a flambé durant toutes ces années ? Non, bien sûr !
En vérité, même vivant, tu me rendais folle de rage, toujours se plaignant, toujours en rogne, la gueule ruisselante d'insultes et de morale poisseuse, changeant d'humeur, toutes les minutes, alors que je ne désirais qu'une seule chose : que tu me serres, de temps à autre, dans tes bras pour calmer la bête féroce qui me dévorait le ventre !
En vain, j'ai attendu que tu cesses de hurler. En vain, j'ai attendu que tu cesses de m'insulter en crachant sans arrêt. En vain, j'ai prié Dieu pour qu'Il te débarrasse de ces fureurs subites qui saccageaient ta raison et empoisonnaient ma vie et celle de mes enfants. Les années s'accumulaient sur mon dos, n'apportant malheureusement avec elles aucun changement. Même notre pain quotidien a été, à la longue, imprégné par le goût âcre de tes hurlements. Jusqu'au jour où j'ai eu cette idée qui m'a délivrée de tes humeurs massacrantes. Alors, j'ai obtenu le silence derrière lequel j'ai haleté pendant des années. J'ai engourdi tes nerfs. J'ai embué ton cerveau. J'ai vidé ton corps des diables qui l'habitaient. Et une nuit, tu as poussé ton dernier soupir. Ô Djelloul, depuis que tu es parti, c'est la nuit surtout que ma chair redoute ! Dès que j'éteins la lumière, je sens les griffes brûlantes de Satan m'écorcher les hanches, et pour ne pas hurler et ameuter toute la maison, je plante mes dents dans l'oreiller et je pleure, et je pleure, suppliant la mort de venir mettre un terme à ma torture, et surtout empêcher ces bêtes visqueuses qui envahissaient mes nuits de m'entraîner par les cheveux vers les jardins luxuriants de Satan ... Mais la mort ignore mes cris comme si elle veut que je souffre encore ! Certes, lorsque je l'appelle, elle accourt, me palpe de ses doigts froids, me renifle un instant, mais finit toujours par s'éloigner de moi, comme dégoutée, et va chercher ailleurs de la pâture pour ses vers de terre. Pourquoi ? Pourquoi ? Que me reproche-t-elle ? Pourquoi ce châtiment? De quoi m'accuse-t-elle ?
Mais que les choses soient claires entre nous, Djelloul mon frère ! Il y a un moment dans la vie où la vérité doit être dite ! Quand tu étais encore en vie, mes nuits n'étaient pas meilleures ! Mais il y avait un corps qui respirait à portée de ma main, qui nourrissait mes espérances, qui me permettait de rêver. Et pourquoi le cacher ? De temps à autre, tu te métamorphosais en étalon fougueux, tu t'emparais de ma chair avec des bras qui me fascinaient, les lèvres ruisselantes de murmures qui disloquaient mon corps ; et la raison mise en pièces par ces folies que tu me chuchotais dans l'oreille, je te murmurais moi aussi des mots qui éperonnaient tes flancs, qui te faisaient galoper avec plus d'ardeur... La nuit s'emplissait de frissonnements douloureux et délicieux... Et repus, nous nous laissions couler voluptueusement au fond des eaux tranquilles du sommeil...
Mais tu criais et tu m'injuriais sans raison ! Chienne ! Vache ! Anêsse ! Mule ! Truie ! Chèvre ! Poule ! Tu me haïssais. Combien de fois tu as écrabouillé le cœur de mes enfants en me crachant dessus en leur présence ! La scène se répétant, ils se sont mis à me mépriser ! Ce n'était plus leur maman qu'ils avaient sous les yeux, mais un tas d'ordures puantes et couvertes de mouches ! Une merde !... Ils avaient raison de me regarder ainsi ! Sans un geste, sans un mot, soumise et rampante, je te laissais m'humilier devant eux ! Jusqu'au jour où j'ai eu cette idée qui m'a fait reconquérir le cœur de mes enfants.
Ô Djelloul mon frère, que Dieu bénisse tes parents, ne m'accuse pas ! Ne me rends pas responsable de ta mort ! Car je suis persuadé que tu me soupçonnes ! Chaque fois que je viens te voir, tu fais entrechoquer violemment tes os ! Depuis dix ans, tu n'as pas cessé ce crépitement ! Au lieu de te reposer au fond de ce trou, au lieu d'accepter ton destin, tu m'accuses de t'avoir tué ! Mais je ne t'ai pas tué. Je ne croirais jamais que les petites quantités de raticide que je mélangeais à tes repas ont été à l'origine de ta mort...
La vérité est que tu n'étais pas bien portant. Un visage verdâtre. Une poitrine tout le temps bouchée par des mucosités que tu as pris l'habitude d'avaler. Tu puais le tabac à des kilomètres. Des jambes maigres comme des clous. Je me demandais par quel miracle tu pouvais tenir debout. Souviens-toi, Djelloul ! Tu te mettais nu face au miroir de notre chambre et tu me demandais : «Ô femme, quel est ce bouc rachitique qui me regarde ? Ne me dis pas que c'est ton mari ? Dieu Tout-Puissant ! Serais-tu une chèvre ?» J'éclatais de rire ! Tu continuais tes plaisanteries. Tu te mettais à chevroter en grimaçant : «Où est ma douce chèvre ? Ma douce et chaude chèvre ! Je veux la mordre jusqu'au sang !» Alors, je bêlais de frayeur ! Je bêlais ! Je bêlais ! Et mes bêlements te rendaient fou... Et j'aimais cette folie... Qui transformait notre lit en paille fraîche et odoriférante... Mais il y avait ces cris et ces insultes...
Au fil des jours, les petites quantités de raticide t'ont calmé. Peu à peu, une lassitude a envahi ton corps. La poudre t'a plongé dans une torpeur ouatée. Tes mouvements sont devenus cotonneux. Ta voix s'est assoupie. Tes yeux se sont voilés. Ta chair s'est amollie. J'ai obtenu le silence derrière lequel j'ai haleté pendant des années.
Tes accusations ne sont pas fondées, Djelloul ! Je ne t'ai pas tué ! Je te connais assez pour deviner que tu ne me crois pas ! Ta tête est dure comme de la pierre ! Mais je vais te dire la vérité : quelques jours après ta mort, j'ai regretté tes hurlements et tes insultes, Djelloul mon frère !... Pourquoi hurlais-tu comme un fou ? Pourquoi ? Quelle bête tourmentait ainsi ton cœur ?...
Maintenant, laisse-moi partir ! Je vais essuyer d'abord mes larmes... Je ne veux pas que le fossoyeur me voit pleurer comme une sotte sur une tombe vieille de dix ans... Car avant de partir, je dois lui rendre son parapluie et me reposer un moment à l'intérieur du mausolée... Le cimetière est désert aujourd'hui... Cet homme est étrange... L'autre fois, il m'a offert de l'eau fraîche et des figues juteuses...


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