�L�oraison du juste est la clef du ciel, sa pri�re y monte, et la piti� de Dieu en descend� Saint Augustin Trente-cinq ann�es d�une vie active, dynamique, d�une rectitude morale de samaritain, se sont achev�es pour El Hachemi en cette mi-f�vrier, dans des conditions qui ni lui, ni sa famille et encore moins ses amis, n�ont imagin�es. Depuis quelques mois, nous le savions, il menait un combat bien in�gal contre une maladie implacable, qui a fini par avoir raison de son �nergie et de son immense courage. C�est � peine si certains savent qu�El Hachemi n�est d�j� plus l�. Malgr� la pr�sence massive et remarqu�e de tes ex-coll�gues de l�int�rieur� � ton enterrement, de nombreuses autres connaissances, qui t�ont appr�ci�, ont �t� prises de court par la rapidit� avec laquelle tu as enjamb� le fragile mur d�enceinte, s�parant la pr�caire r�sidence terrestre de tes parents situ�e au lieudit le �Cimeti�re� � A�n- B�nian, et ta toute nouvelle et �ternelle demeure, � l�int�rieur m�me du cimeti�re. Il faut dire que tu as, ta vie durant, excell� dans l�art de prendre les raccourcis, en bon montagnard. Jusqu�au bout, tu as �t� fid�le � toi-m�me. Sacr� Hachemi ! Ta derni�re volont�, la m�me que celle du grand po�te Jean S�nac, d��tre enterr� au magnifique cimeti�re de A�n B�nian, a �t� exauc�e. Une diff�rence de taille pourtant : les parents du po�te �taient originaires de la lointaine Espagne. Les tiens sont ceux-l� m�mes qui ont, par leur dur labeur, fertilis� de leur g�n�reuse sueur l�espace situ� entre �la for�t�, �le Plateau� et �le Grand-Rocher�. Hier, les lieux magiques de tes �coles buissonni�res. Aujourd�hui, ton lieu de repos �ternel. En ce matin ensoleill� de f�vrier, tu as profit� de ta vieille connaissance des lieux, pour prendre d�finitivement la cl� des champs et t��clipser. Aucun crieur public, aucun placard dans la presse, � ce jour. Pour avoir eu des escales �terrestres� en ce bas-monde quasi identiques aux tiennes et le m�me parcours professionnel � des contreforts du massif de Toudja, notre lieu de naissance commun, aux faubourgs de Bouzar�ah, notre lieu de r�sidence d�aujourd'hui, en passant par le CEG de Guyotville et l�ENA � je puis t�moigner ici, sans complaisance aucune, que tu as toujours appartenu � cette race d�hommes, dont on dit qu�ils ne se couchent que pour mourir. Ta silhouette �vocatrice de celle de ton d�funt p�re, qui a offert plus des deux tiers de sa longue vie (102 ans) � l�un des plus vieux �europ�ens d�Alg�rie� du �Plateau� de Guyotville, �tait s�che, osseuse, d�une rare �l�gance pourtant, parce toujours v�tue de peau fraternelle. Tes lunettes de technocrate fier d�avoir �t� l�un des tout premiers jeunes cadres du minist�re de l�Int�rieur, encadraient presque toujours un sourire accueillant, derri�re lequel se blottissait une l�g�re timidit�, que m�me ton brillant passage � la section diplomatique de l�ENA n�a pas pu corrompre. Le ton de ta voix, qui a emprunt� � ta vocation tardive pour la diplomatie, de nouvelles inflexions, a su garder sa chaleur premi�re, son affabilit� naturelle et ses intonations de sinc�rit� non feinte. Elle r�sonne encore sur les trottoirs du quartier Air-de- France � Bouzar�ah, en bas de chez moi, o� je te croisais souvent, depuis ton d�part � la retraite� � 49 ans ! Tes yeux, si expressifs et si ardents ont constitu� l�ultime rempart contre les assauts f�roces de la maladie. La veille de leur extinction d�finitive, j�en t�moigne, ils disaient encore mille mots d�espoir et un unique regret : ne pas avoir d�finitivement soustrait ta famille au besoin et � la voracit� des vivants. Sacr� Hachemi ! Tu n�as pas eu la carri�re de brillant diplomate que tu m�ritais, celle qu�ont pu avoir certains de nos camarades de la 9e promotion de l�ENA, qui forment aujourd�hui la strate technocratique sup�rieure du minist�re des Affaires �trang�res, parce que tu as pr�f�r� la douillette s�curit� � au sens affectif et alimentaire du terme � de la r�int�gration de ton �int�rieur� (comme tu disais toi-m�me), afin de prendre en charge mat�riellement les cinq enfants de ton fr�re a�n�, d�c�d� � un premier coup du sort � le jour m�me de ta soutenance de m�moire de fin d��tudes � l��cole en 1976 ! Plus tard, en 1997, tu as quitt� le �Palais�, ce second foyer, trop t�t, la veille de ton cinquanti�me anniversaire. La soudaine crise de d�samour que tu as v�cue avec l��int�rieur�, t�a us�. Tu �tais, en fait, destin� � un parcours professionnel � l�orbite plus large, un destin �ext�rieur�. �Ne s�use que si l�on s�en sert�, disait une c�l�bre r�clame, vantant la capacit� de r�sistance d�une pile �lectrique. Tu avais l��nergie de la pile et la capacit� lumineuse de ceux qui se sont consum�s pour �clairer les autres. L�Alg�rie, pourtant bien malade � l��poque, t�a us� en n�utilisant pas � leur pleine capacit� tes comp�tences �pile secteur�, comme tu aimais � te qualifier parfois, en plaisantant. Tu t�es retir�, incompris, sans faire de vagues, surtout sans ranc�ur particuli�re et sans faux proc�s aussi. Normal, tu �tais de ceux qui avaient fait le choix du travail aux honneurs, un parfait commis de l�Etat, en somme. La retraite que tu as cru devoir prendre trop t�t est finalement arriv�e trop tard ! Tu n�as m�me pas eu l�occasion d�am�nager un espace digne d�accueillir les quelques rares amis, qui �perdus� de n�avoir pu assister � tes obs�ques, sont accourus �chez toi� le soir de ta soudaine disparition et furtive inhumation. En effet, ton modeste appartement de Bouzar�ah, m�me agrandi apr�s un troc contre celui d�un chauffeur plus d�brouillard, �tait encore trop �troit pour honorer la c�r�monie fun�bre du grand Monsieur que tu �tais. Qu�importe, le haouch du papa y suppl�a, une fois de plus, une derni�re fois peut�tre, parce que c�est probablement ton d�part pr�matur� qui a d�cid� le juge d�un tribunal � ajourner l�audience qui devait prononcer ce 13 f�vrier funeste l�expulsion de ta m�re, aujourd�hui �g�e de 94 ans, de ton �chez toi�, de l��int�rieur� de ton enfance. Hachemi, j�ai tout compris ! Ton d�part, ta pr�cipitation, ta derni�re frustration. L�ancien de l��Int�rieur�, comme on t�appelle depuis ton d�part � la retraite, n�a pas support� de voir sa m�re vivre suffisamment longtemps pour essuyer, sans aller � son secours, une �ni�me spoliation ! Devant tant d�ingratitude des hommes et d�acharnement du sort, il m�a sembl� presque futile de parler de tes autres qualit�s, encore nombreuses. Tu m�en excuseras ! Un dernier mot quand m�me ! Tu avais coutume de r�p�ter �fils de paysan je suis et paysan je resterai�. Sache qu�au cours de ta veill�e fun�bre au quartier du �Cimeti�re�, les bonnets et les kachabia de ta famille paysanne pr�sente en masse ont largement r�chauff� l�ambiance de la soir�e, en suppl�ant g�n�reusement � la timide et froide pr�sence des quelques calvities vieillissantes de fonctionnaires que nous �tions et des inutiles smokings et autres cachemires que nous portions, pour nous prot�ger d�un autre froid, celui de �l�ext�rieur�. C��tait le type de brassage que tu affectionnais tant. C�est l�Alg�rie, celle dont tu as toujours r�v� ! Elle t�a �t� reconnaissante, elle, jusqu�au bout ! �Que l�id�al est immense et g�n�reux, que le monde est petit et �troit�, disait le grand po�te palestinien Mahmoud Darwich. Que les honneurs sont factices, que l�homme �tait g�n�reux et grand. C��tait Hachemi. Que sa m�re, sa famille, ses enfants et ses nombreux amis en soient fiers, pour toujours ! Adieu, l�ami.