L'Alg�rie a annonc� le 21 mars dernier, par la voix de son Premier ministre, qu'elle allait rembourser par anticipation 8 milliards de dollars, soit la totalit� de sa dette r��chelonn�e en 1994 et 1995 envers les membres du Club de Paris. La dette globale de l'Alg�rie qui �tait de 21,4 milliards de dollars � la fin 2004 se situait alors � 15,6 milliards de dollars. M. Ouyahia avait pr�cis� que la dette contract�e aupr�s de la Russie, estim�e � 4,7 milliards de dollars et qui venait d'�tre annul�e par Moscou, au terme de la visite le 10 mars � Alger du pr�sident russe Vladimir Poutine, n'�tait pas comptabilis�e dans la dette globale. Une r�union entre l'Alg�rie et le Club de Paris a eu lieu le 10 mai � Paris pour discuter du remboursement par anticipation de la dette ext�rieure de l'Alg�rie. Les pays membres du Club de Paris, cadre informel de gestion de la dette publique, s'�taient r�unis dans la capitale fran�aise le 5 avril dernier pour examiner la demande de remboursement anticip� de la dette alg�rienne, introduite officiellement par l'Alg�rie � la mi-mars 2006. A l'issue de la r�union du 10 mai, un proc�s-verbal agr�� est sign�. Ce texte, qui r�sulte des r�unions du Club de Paris, n'a pas de force contraignante. Il offre simplement un cadre multilat�ral, g�n�ral et unique � partir duquel sont mis en �uvre des instruments ex�cutoires : les accords bilat�raux. Il en est ainsi de l'accord de remboursement anticip� sign� avec la France le lendemain m�me, jeudi 11 mai. La dette de l'Alg�rie envers la France s'�l�ve � 1,6 milliard de dollars. Ses autres principaux cr�anciers du Club de Paris sont l'Italie (1,7 milliard de dollars) et les Etats-Unis (1,2 milliard). Qui paie ses dettes s'enrichit. Il y a trois raisons majeures qui plaident en faveur du remboursement anticip� de sa dette publique : 1. lorsqu'on ne sait pas quoi faire de son �pargne, autant r�gler ses dettes avec ; 2. pr�cipiter un retour respectable sur les march�s financiers ; 3. briser les conditionnalit�s attach�es au processus ant�rieur de r��chelonnement, en cours jusqu'� fin 2009. Le premier point est crucial. �Au moment o� je parle, il y a au minimum 10 milliards de dollars dans les banques qui attendent ceux qui veulent travailler avec cet argent (�) Depuis 1999, on entend parler de r�formes bancaires, mais il n'y a eu que de la gabegie. Le retard n'est plus acceptable dans ce secteur.� L'acc�s de col�re du pr�sident Bouteflika devant les cadres de la Nation � l'occasion du premier anniversaire de sa r��lection, contre le statu quo qui r�gne dans le secteur bancaire depuis longtemps, est fond�. De fait, cette situation entrave le d�veloppement du secteur productif alg�rien. De nombreux entrepreneurs en herbe ont vu leurs projets bloqu�s dans les tiroirs, tandis que trop d'entreprises priv�es ne peuvent compter que sur leurs fonds propres pour financer leurs �quipements et la formation de leurs employ�s. Sont en cause les banques publiques qui d�tiennent pr�s de 90% du march�, tant en termes d'actifs que de cr�dits � l'�conomie. Le secteur financier a subi le fardeau des politiques �conomiques renti�res et discr�tionnaires de l'Etat, traditionnellement favorables aux entreprises publiques, dont la plupart �taient d�ficitaires. L'octroi � sur ordre venu d'en haut � de cr�dits aux grandes entreprises publiques d�ficitaires a longtemps constitu� la principale cause de la fragilit� des banques publiques. La Soci�t� financi�re internationale (SFI) a r�cemment soulign� que la gestion et le recouvrement des pr�ts non performants sont unanimement reconnus comme des probl�mes-cl�s pour les banques alg�riennes, dont les dettes non recouvrables ont connu plusieurs restructurations successives par le Tr�sor public. Si l'on se fie aux estimations du Forum de recherche �conomique (Economic Research Forum), une organisation ind�pendante sp�cialis�e dans le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (R�gion Mena), en l'an 2000, les pr�ts non performants repr�sentaient plus de 6 milliards de dollars � soit la moiti� du volume total des cr�dits � l'�conomie. Les estimations de la Banque mondiale, quant � elles, chiffrent les pr�ts non performants � pas moins de 11% du PIB alg�rien en 2001. Le gouvernement a repris une grande partie de ce fardeau, r�duisant ainsi le montant des pr�ts non performants � environ 3,6 milliards de dollars en 2004, selon le minist�re des Finances. Ceci repr�sente encore pr�s de 20% des cr�dits � l'�conomie, et 4,5% du PIB. Le manque d'efficacit� de la gestion des pr�ts non performants au sein des banques publiques explique en partie le niveau relativement faible des cr�dits � l'�conomie alg�rienne par rapport aux ressources, aux liquidit�s et � la production du pays. En effet, les chiffres officiels indiquent qu'en 2003 l'encours total des cr�dits �tait de 18,5 milliards de dollars, soit 27% du PIB. Dans un entretien accord� � Libert� samedi dernier, M. Mohamed Djallab, Pdg du CPA, minimisait le ph�nom�ne en pr�f�rant la prudence au risque. Il faut �galement �couter ce qu'il dit : �La question des cr�ances non performantes n'est pas sp�cifique aux banques alg�riennes. Ce ph�nom�ne a touch�, aussi, les banques japonaises et isra�liennes. Ces cr�ances remontent � la fin des ann�es 1980 et d�but des ann�es 1990. Actuellement, elles ont diminu� consid�rablement. Les cr�ances non performantes du Cr�dit populaire alg�rien sont estim�es, aujourd'hui, � moins de 10% dont 88% sont provisionn�es. Ce taux repr�sente 27% dans les banques publiques tunisiennes.� La tutelle qui p�se sur les banques a pour cons�quence de r�duire les cr�dits aux entreprises priv�es, et en particulier aux petites et moyennes entreprises (PME). Le fond du probl�me est que les banques ont n�glig� de d�velopper l'expertise technique n�cessaire pour �valuer et analyser pr�cis�ment les risques. L'am�lioration de ces capacit�s augmenterait les profits du secteur bancaire � court terme, et stimulerait l'octroi de cr�dits � moyen terme. Les analystes s'accordent � dire qu'une telle expertise ne peut venir que du secteur priv�, mais les banques priv�es alg�riennes ont �t� contraintes de mettre la clef sous le paillasson (de peur d'un capital financier priv� qui fasse la jonction entre les sph�res bancaire et industrielle) et les grands groupes bancaires internationaux n'ont actuellement aucune incitation � augmenter leur pr�sence et � d�velopper un large r�seau d'agences en Alg�rie, dans la mesure o� ils sont pour l'instant condamn�s � se disputer seulement 10% du march�. Le groupe bancaire le plus actif dans ce domaine est pour l'instant la Soci�t� G�n�rale, qui s'attache � d�velopper un r�seau cons�quent, et qui devait compter 18 ou 19 succursales fin 2005. Dans ces conditions, la solution ne pourra venir que de la privatisation de certaines des six grandes banques publiques qui poss�dent environ 1100 agences � travers tout le pays. Le CPA a �t� s�lectionn� dans cette optique, mais bien que l'id�e de le privatiser ait �t� �voqu�e pour la premi�re fois fin 2002, des r�sistances internes et externes au secteur bancaire ont jusqu'ici bloqu� l'avancement de ce dossier. Les banques se d�fendent en soutenant que les dossiers de financement qui leur sont pr�sent�s sont de qualit� m�diocre et les garanties propos�es sont sur�valu�es. L'entreprise alg�rienne, disent-elles, est sous-capitalis�e et son management est souvent de qualit� m�diocre. L'absence de syst�me d'information �conomique fiable pose des probl�mes � la banque pour faire ses �valuations et ses analyses de risque, sur les projets d'investissement qui lui sont pr�sent�s. Pour sa part, le syst�me judiciaire, d'une lenteur excessive, ne facilite pas les choses aux banques pour le recouvrement des cr�ances aupr�s des d�biteurs d�faillants. Ahmed Benbitour a fait une intervention remarqu�e jeudi dernier au symposium international d'El-Oued � propos des audits r�alis�s sur la qualit� des actifs des banques, les risques li�s aux passifs et � la capacit� organisationnelle. L'ex-chef du gouvernement estime que la transition en cours de la budg�tisation � l'interm�diation financi�re porte imp�rativement sur la r�habilitation du r�le des banques, leur autonomisation (en les mettant � l'abri des injonctions administratives), leur harmonisation avec leur environnement et l'assainissement de leurs principaux clients qui sont des entreprises publiques. L'aisance financi�re (les r�serves de changes repr�sentent 10 fois le stock de la dette et d�passent actuellement les trois ann�es d'importations) ne leur fait pas ressentir le besoin de r�forme parce qu'elle autorise de financer les d�faillances de leur syst�me de gestion. Le secteur bancaire alg�rien souffre �galement de l'absence d'un syst�me de paiement �lectronique : seulement quelques institutions ont commenc� � d�livrer des cartes de retrait, et les cartes de cr�dit internationales ne sont accept�es que dans une poign�e d'h�tels cinq �toiles. L'instauration du syst�me de paiement �lectronique est cependant proche, et serait op�rationnelle en 2006. La r�ponse du Centre d�tonne par son simplisme : le minist�re des Finances pr�pare actuellement une r�forme visant � rationaliser la gestion des banques en s�parant la fonction de directeur g�n�ral de celle de pr�sident du conseil d'administration � aujourd'hui d�tenues par une seule et m�me personne � dans le but de renforcer le contr�le interne des banques. Pour rationaliser la gestion, il semble, au contraire, n�cessaire de favoriser l'�mergence d'administrateurs professionnels, admis en fonction de leurs comp�tences, et non plus coopt�s selon leurs consid�rations politiques. A contrario, ce qui guette l'�conomie nationale ici, c'est bien le �syndrome chinois�. La surchauffe de l'�conomie, les cons�quences de la bulle immobili�re et une gouvernance d'entreprises aux contours tr�s flous laissent pr�sager une nouvelle vague de mauvaises cr�ances en Chine, pr�vient le cabinet Ernst & Young dans son rapport annuel sur la situation des mauvaises cr�ances dans le monde, rendu public mercredi 3 mai. La Chine comptabilise 911 milliards de dollars (723 milliards d'euros), de mauvaises cr�ances. Un montant qui d�passe les r�serves en devises chinoises (les premi�res du monde), et repr�sente pas loin de 50 % du produit int�rieur brut (PIB) du pays en 2005. La seconde et derni�re raison qui plaide en faveur d'un remboursement anticip� de sa dette publique tient � la consid�ration suivante : faute de pouvoir orienter valablement les cr�dits, autant rembourser les cr�anciers. Il y a un int�r�t � le faire : le rel�chement des conditionnalit�s li�es au r��chelonnement et la possibilit� de se soustraire � la chape de plomb qui hypoth�que le pouvoir souverain de d�cision en mati�re de politique �conomique. L'assistance du Fonds mon�taire international qui conditionne le passage vers les Clubs de Paris et de Londres est assortie de conditionnalit�s plus ou moins rigoureuses, en fonction des tranches de tirages. Un contr�le de performance, traduit dans son jargon juridique par �clauses de r�alisation�, est associ� � l'accord de confirmation de 1994 et � la facilit� de financement �largie de 1995. Les consultations dites de �l'article IV� l'autorisent � une appr�ciation de la politique �conomique qui conditionne aussi bien la poursuite de son assistance que la disponibilit� de la communaut� financi�re internationale � donner suite aux besoins nationaux de financements ext�rieurs. C'est une approche de marchandage : chaque session de tirage est pr�c�d�e d'un examen � mi-parcours, appel� Review. Les crit�res de performance qui fondent le contr�le p�riodique du FMI reposent sur ce qu'il appelle �une strat�gie d'int�gration de l'�conomie alg�rienne dans l'�conomie internationale par l'ouverture du commerce ext�rieur, le r�ajustement (realigning) du taux de change et des prix relatifs et d'une place accrue aux forces du march�. Cette performance tient � six crit�res d'�valuation des progr�s en mati�re d'output et de prix, de fiscalit�, de monnaie et de cr�dit, de balance ext�rieure du commerce, de prix internes et �d'autres r�formes structurelles�. Autant de crit�res � dominante mon�taire et macro-�conomique. S'agissant d'une approche de marchandage, on se lib�re d'autant plus vite de la feuille de route qu'impose �le consensus de Washington� (un ensemble de prescriptions n�o-lib�rales �dict�es par le FMI et la Banque mondiale) qu'on n'�prouve pas de besoin d'argent frais ou, plus fondamentalement, qu'on est � l'abri d'une crise de liquidit�s et de solvabilit�. L'embellie p�troli�re a procur� une liquidit� in�galable. Il reste � l'adosser � une solvabilit� r�elle et durable par l'action raisonn�e et n�goci�e des forces internes capables de porter la croissance et le d�veloppement.