Ben Laden est la potion magique pour la r�ussite de tout ce qu'entreprend un Am�ricain aujourd'hui et ce, quel que soit son rang. Prenez William Blum. Son nom ne vous dit certainement pas grand chose. Aucun mordu de litt�rature n'�tait �galement capable de citer un tra�tre titre de ce qu'il a �crit. Jusqu'� ce que Osama Ben Laden diffuse un message sur la cha�ne de t�l�vision Al-Jazeera conseillant aux Am�ricains de lire Rogue State (Etat Voyou). L'information a imm�diatement �t� reprise un peu partout sur Internet et l'ouvrage est subitement sorti de l'anonymat pour caracoler en t�te des ventes. Du rang 209 000 des ventes en ligne d'Amazon, il est pass� � la quinzi�me place. Les ventes de ce livre avaient m�me d�pass� celles du Da Vinci Code. Le petit secret de la r�ussite tenait � cette petite phrase de Ben Laden : "Si le pr�sident Bush continue � mentir et � opprimer, il vous sera utile de lire Rogue State". Ben Laden a ensuite donn� une citation, inesp�r�e pour la promotion de son auteur, tir�e d'un autre livre de William Blum. Ce dernier est un historien de 72 ans qui soutient que la publicit� faite par Ben Laden de son ouvrage ne lui pose pas probl�me m�me s'il dit m�priser le fondamentalisme religieux. Il est tout de m�me l'auteur de nombreux ouvrages d�non�ant la politique ext�rieure des Etats-Unis. Dans Rogue State, il explique que "la guerre contre le terrorisme men�e par Washington est condamn�e au ratage, comme l'a �t� sa guerre contre la drogue", alors que les attentats du 11 septembre sont "des repr�sailles compr�hensibles contre la politique �trang�re am�ricaine". Dans son �dition de mercredi dernier, le quotidien libanais de langue fran�aise, L'Orient le jour publie un entretien �difiant avec l'�minent intellectuel am�ricain Noam Chomski. Il y soutenait, � l'issue d'une longue visite dans la r�gion, que �la guerre US contre le terrorisme est une farce�. Le propos est grave et celui qui le tient n'est pas le premier venu. Le prestigieux New York Times, qui est pourtant loin de partager les id�es de Noam Chomsky, le classe �au nombre des plus grands intellectuels vivants�*. Solitaire et irr�ductible, sa pens�e critique, radicale et rationnelle est une combinaison de lucidit�, de courage et d'optimisme. A 73 ans, c'est un monument de la contre-culture qui ne supporte pas l'organisation du monde au profit des oligarchies financi�res, d�cortique les m�canismes de la soci�t� de march�, l'�conomie invisible, la fabrication du consentement, les centres de pouvoir. Tout cela pour dire que Chomski m�rite bien qu'on l'�coute. Et plus on l'�coute, plus on r�alise la supercherie qui se profile derri�re l'alibi terroriste. Il voit l'Am�rique partag�e entre la peste et le chol�ra : �Le d�bat oppose deux extr�mes, d'une part, les "faucons" qui appellent � poursuivre le combat pour gagner la guerre (en Irak) et atteindre son but qui est de b�tir une d�mocratie, d'autre part, les "colombes" qui affirment que le co�t d'une telle guerre est exorbitant et qu'on ne peut imposer la d�mocratie par la force.� On se rend mieux compte de l'instrumentalisation de la n�buleuse int�griste arm�e lorsqu'il rappelle par ailleurs que �la guerre contre le terrorisme a �t� d�clar�e en 1981 par Ronald Reagan lors de son arriv�e au pouvoir. Il mettait ainsi en place une nouvelle politique �trang�re am�ricaine par opposition � celle que menait Jimmy Carter avant lui, qui consistait � d�fendre les droits de l'homme dans le monde. Le terrorisme international fut donc qualifi� de "peste des temps modernes". Depuis, les Etats-Unis n'ont fait que mener une guerre brutale, vicieuse et terroriste qui a tu� des milliers de personnes en Am�rique latine, au Nicaragua, au Salvador, etc.� C'est pourquoi, �l'actuelle guerre contre le terrorisme est une farce. La politique am�ricaine ne fait qu'encourager le terrorisme, et le gouvernement am�ricain le sait tr�s bien. Tous les pronostics pr�disaient l'aggravation de la menace terroriste en cas de guerre en Irak, et c'est exactement ce qui se passe�. La manipulation est, � ses yeux, d'autant plus �vidente que Saddam Hussein, qui est accus� aujourd'hui de crimes qu'il a commis � Doujail en 1982, n'a pu accomplir ce m�fait impardonnable que parce que, cette m�me ann�e, �Ronald Reagan a ray� l'Irak de la liste des pays terroristes afin de pouvoir fournir au r�gime de Baghdad une aide substantielle, notamment en mati�re d'armement. Et ce fut Donald Rumsfeld qui fut envoy� plus tard pour mettre en �uvre ce programme d'aide qui se poursuivra durant des ann�es, malgr� le fait que le r�gime de Saddam Hussein avait commis d'autres massacres �. Qui doit �tre aujourd'hui aux c�t�s du pr�sident irakien ? N'est-ce pas �galement ceux qui lui ont permis de commettre ces crimes ? s'interroge ensuite Chomski Bush agit donc selon la loi qui veut que �m�me si le terrorisme n'existe pas, il est dans notre int�r�t de le cr�er�. Il en a notamment besoin pour asseoir son concept d'action �pr�emptive �. La strat�gie des Etats-Unis d'Am�rique du pr�sident Bush, �labor�e il y a quatre ans, fixe trois grandes priorit�s en mati�re de s�curit� nationale et de politique internationale face aux menaces contre les Etats-Unis dans le monde : le terrorisme, les Etats qui le soutiennent et, enfin, la prolif�ration d'armes de destruction massive (ADM) en priorit� nucl�aire. Le texte, pr�sent� le 16 mars dernier, n'introduit pas de modifications notables par rapport au pr�c�dent de 2002. Le concept d'action �pr�emptive� face � une menace est reconduit malgr� les r�serves qu'il avait suscit�es y compris parmi les alli�s des Etats-Unis. C'est, se rappelle-t-on, au nom de la �pr�emption � que l'op�ration militaire en Irak visant � renverser le r�gime de Saddam Hussein avait �t� d�clench�e sans l'aval du Conseil de s�curit� des Nations unies. Pourtant, lorsqu'il lui arrive de jouer au juriste, le pr�sident am�ricain rattache organiquement ce concept � celui de l�gitime d�fense. Ce qui � du moins � sur le papier pourrait �tre conforme � l'article 51 de la Charte des Nations unies selon lequel la l�gitime d�fense, individuelle ou collective, est un �droit naturel� pour un pays attaqu�. Si donc pour l'ONU ce droit ne peut s'exercer que lorsqu'un pays membre est victime d'une agression arm�e, pour les Etats-Unis il peut en �tre fait usage sur la simple suspicion d'une future attaque sans qu'elle soit forc�ment �imminente� ou fond�e � comme n'arr�te pas de le confirmer la suite des �v�nements. Le d�bat n'est pas que th�orique. L'Iran remplace l'Irak comme l'ennemi num�ro un des Etats-Unis, largement devant la Cor�e du Nord, sur la base d'un �dossier� avec comme principales pi�ces � charge les efforts apparents du r�gime iranien pour se hisser au rang de puissance militaire nucl�aire, son parrainage de groupes terroristes, et ses menaces contre Isra�l. Certains analystes ont vu dans la nouvelle version de la strat�gie nationale des Etats- Unis du 16 mars dernier la fin de la �r�volution Bush� � post 11 septembre 2001 en la mati�re. Certes George W. Bush n'abandonne pas l'id�e de recourir � la force. Mais il reconna�t cette fois l'importance du combat id�ologique : �Dans le long terme, souligne le document, la victoire sur le terrorisme signifie gagner la bataille des id�es, car ce sont des id�es qui peuvent pousser des personnes d��ues � devenir des meurtriers tuant des victimes innocentes.� La victoire du Hamas aux �lections palestiniennes � incontestable, selon The National Security Strategy �, la situation en Afghanistan o�, proclame le document, les Afghans ont remplac� �la tyrannie par la d�mocratie�, et la guerre civile en Irak, d�montrent les difficult�s de la propagation de la d�mocratie au Moyen-Orient. Au-del�, les Etats-Unis ne d�sesp�rent pas de �convertir� �galement la Chine, accus�e d'avoir conserv� ses vieilles m�thodes de pens�e en continuant notamment son �expansion militaire d'une fa�on non transparente�. Le gouvernement Bush se garde bien d'aller au-del�, m�me si les rivalit�s sinoam�ricaines sont temp�r�es par un ��quilibre de la terreur mon�taire� entre l'alliance euro-japonaise pour des interventions communes sur le march� des changes, d'une part, et la �tr�s grande alliance� opposant la Chine et les Etats-Unis au reste du monde, et en vertu de laquelle l'Am�rique ach�terait � la Chine ses produits, tandis que la Chine financerait les d�ficits am�ricains, d'autre part. La Chine fait cause commune mon�taire avec les Etats-Unis depuis qu'elle a arrim� en 1994 sa monnaie (le renminbi, �monnaie du peuple�, nom officiel du yuan) au billet vert. La baisse du dollar lui a permis de maintenir sa comp�titivit� face � l'Am�rique, et de l'accro�tre face au reste du monde. L'asym�trie des rapports sino-am�ricains est frappante : le d�ficit avec la Chine s'�l�ve � lui seul � 207 milliards de dollars (plus du tiers du total). Aux Etats-Unis, l'afflux de produits chinois se fait � des prix d�fiant toute concurrence, au point que le g�ant de la distribution, Wal-Mart, qui est aussi le plus gros employeur du pays, importe jusqu'� 70 % de ses produits de l'ancien Empire du Milieu. Maintes fois r�it�r�e, la position officielle des dirigeants am�ricains est que le yuan serait sous-�valu� de 40 %, et que la Banque centrale chinoise devrait cesser d'intervenir massivement pour r�guler l'�volution de sa monnaie. La r�ponse de P�kin est ferme dans le fond et ambigu� dans la forme : � en croire M. Yi Gang, directeur du d�partement de politique mon�taire de l'institut d'�mission, P�kin va poursuivre sa �politique mon�taire d'un r�gime de taux de change unifi� et de flottement contr�l� afin de �pr�server la stabilit� et de promouvoir la croissance de l'�conomie chinoise�. P�kin n'arr�te pas de faire valoir son droit � la souverainet� mon�taire. Ses r�serves colossales de changes (900 milliards de dollars), ses taux exceptionnels de croissance � deux chiffres et l'�norme potentiel de son march� (1,3 milliard d'habitants) en font un eldorado pour toutes les multinationales. Le pays repr�sente d�j� 4 % de l'�conomie mondiale, contre 1 % seulement en 1976 et compte peser quelque 15 % de la production du globe en 2020. Si la Chine a accumul� autant d'actifs libell�s dans une monnaie dont la valeur s'effrite, c'est pour emp�cher l'appr�ciation de sa propre monnaie sur le march� des changes. Elle lui a privil�gi� la comp�titivit� de ses exportations. Et comme elle a par ailleurs une bonne partie de ses dollars en obligations du Tr�sor am�ricain, elle a, du m�me coup, contribu� � maintenir aux Etats-Unis des taux d'int�r�t tr�s bas. C'est peut-�tre cela �l'expansion militaire d'une fa�on non transparente� qu'�voquait George W. Bush. A. B. * On peut suivre les travaux de Noam Chomsky en visitant son site